Nous sommes aujourd’hui le 21 juin, une date pareille aux
autres pour le commun des mortels mais une date particulière dans la
vie de Mingli, plus exactement une date qui porte malheur.
Cette année, une marque rouge tracée à la date d’aujourd’hui sur le
calendrier souligne la disparition depuis exactement trois mois de sa
fille adoptive Rongrong.
« A-t-on jamais vu un enfant ne pas donner signe de vie à ses parents pendant trois mois ? Il est vrai que cette fille est ambitieuse. Elle est tellement avide de réussir et de gagner de l’argent, tellement absorbée par ce qu’elle fait, qu’elle est capable d’en oublier sa famille. »
Sa fille, âgée de 20 ans, semble effectivement plus préoccupée par
sa réussite professionnelle que par sa famille, un peu à l’image de
cette Chine aventurière et affairiste d’aujourd’hui.
« Quand une chose qui aurait dû rester petite grossit démesurément, elle inspire l'horreur. Rongrong, ma fille, serait-elle devenue trop grande ? »
Pour conjurer le sort qui s’acharne sur elle habituellement à cette
date et combattre son mauvais pressentiment, Mingli décide, contre
l’avis de son époux, de suivre ses instincts et de prendre
congé afin de partir pour Pékin à la recherche de sa fille.
C’est à travers cet étonnant voyage que Mingli, quadragénaire
habituellement plus effacée et considérée à tord comme une personne un
peu naïve et simplette, nous fera quelques confidences sur sa
vie, son couple, son pays, son enfance, ses premiers émois mais
aussi sur les valeurs ancestrales et les tourments de la vie moderne.
« Jadis, nous faisions attention au moindre détail de la vie quotidienne, nous étions économes, travailleurs, il ne fallait rien négliger, chaque tâche devait être accomplie avec soin. Dans cette existence soigneusement réglée, le temps s'écoulait lentement, de sorte que nous n'en avons rien oublié. Quand nous passons la main sur cette vie, il nous semble l'entendre craquer sous nos doigts. Alors qu'aujourd'hui, la vie est devenue tellement banale qu'on ne se souvient même plus de ce que l'on a fait la veille. »
L’amitié et la maternité se seront pas en reste, car Mingli nous
livrera également les instants précieux de son enfance partagée avec son
amie Ruifang, au milieu des sentinelles des blés, ces
graminées que le père de Mingli, un éminent agronome, leur avait
appris à reconnaître. Elle reviendra également sur les circonstances
tragiques qui la mèneront à l’adoption de Rongrong, qui n’est
autre que la fille biologique de son amie d’enfance Ruifang,
aujourd’hui en institut psychiatrique.
« Ce sont mes compagnons de nage, l'histoire de ma vie et les témoins de mon existence. Ils sont les rambardes qui empêchent ma vie de s'égarer. »
Sans oublier les improbables rencontres qui se présenteront sur sa route…
J’ai beaucoup aimé ce court récit qui s’apparente à une méditation
sur le sens de la vie. Il y a beaucoup de sagesse dans les paroles de
Mingli, incarnation parfaite de ces femmes habituellement
soumises qui ont appris à se taire tout en n’en pensant pas moins.
Chi Li lui donne la parole par l’entremise d’une plume aussi poétique
qu’élégante. Une très belle découverte pour ma première
lecture de cette auteure, souvent qualifiée d'écrivain néo-réaliste
par sa présentation des multiples facettes de la société chinoise.
« Les sentinelles des blés » est son
huitième et dernier roman traduit en français à ce jour.
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