lundi 21 septembre 2009

Mort d’un parfait bilingue de Thomas Gunzig

Disons-le d’emblée, j’aime bien Thomas Gunzig : j’aime bien sa bouille, j’aime bien sa fantaisie, son sens du grotesque et du dérisoire, son côté décalé et son ton grinçant. Nous sommes du même âge et nous habitons la même ville, nous avons donc inévitablement quelques points communs, et pas des moindres (lire mon précédent billet portant sur ma lecture 10.000 litres d’horreur pure - Modeste contribution à une sous-culture).

Thomas Gunzig excelle surtout dans l’écriture de nouvelles, sa dernière publication Au Diable Vauvert et s’intitulant Assortiment pour une vie meilleure ne devrait pas le démentir (ce recueil de textes écrits entre 2004 et 2009 rejoindra sans nul doute très prochainement ma PAL déjà bien remplie).

« Mort d’un parfait bilingue » est le premier roman de l’auteur, premier roman pour lequel il empochera un des prix les plus prestigieux de Belgique : le Prix Victor Rossel, en 2001.

Nous sommes en pleine guerre, dans un pays qu’on ne nomme jamais mais qui n’est pas sans rappeler le conflit de l'ex-Yougoslavie. Guerre militaire mais aussi – et surtout - guerre médiatique où les émissions de télé-réalité tiennent le haut du pavé : jamais les sponsors-multinationales n’ont investi autant de sommes astronomiques, raison pour laquelle ils seraient prêts à sacrifier pères et mères sur l’autel de l’audimat.

Roman découpé en deux parties et alternant les chapitres : première partie où Chester est un légume dans une chambre d’hôpital sous les soins d’une garde-malade pas toujours très sympathique surnommée Nicotine, chambre d’hôpital dans laquelle il va petit à petit reprendre ses forces et retrouver la mémoire sur les circonstances de sa présence dans ce triste lieu et deuxième partie dans laquelle nous suivons Chester, mercenaire et assassin par nécessité, sur le chemin de cette drôle de guerre.

Satire de notre société, ce roman ne fait pas dans la dentelle : beaucoup de violence, de cynisme mais aussi d’invraisemblances. Il y a des choses intéressantes mais d’autres nettement moins, cela part un peu dans tous les sens et n’est pas toujours du meilleur goût non plus. Il n’en reste qu’il y a un ‘ton’ propre à l’auteur, mais qui n’est sans doute pas le mieux exploité dans ce premier roman.

mercredi 16 septembre 2009

Les veilleurs de Vincent Message

Quatrième de couverture

Oscar Nexus a tué trois personnes dans la rue, puis il s'est endormi sur les cadavres. Nexus est un marginal auquel son emploi de veilleur de nuit n'a donné qu'un ancrage très fragile dans la réalité. Interné dans une clinique, il est pris en charge par Joachim Traumfreund, un médecin atypique et brillant qui a participé dans sa jeunesse aux mouvements de réforme de la psychiatrie. C'est à lui et à Paulus Rilviero, un officier de police, qu'on confie le soin de tirer au clair les mobiles de Nexus et de déterminer s'il est responsable de ses actes. Afin de se consacrer à ce cas intriguant, Traumfreund transfère le criminel dans une annexe de la clinique, un bâtiment situé dans un coin de montagne que l'hiver isole peu à peu. Une fois sur place, nos deux enquêteurs découvrent que Nexus est un dormeur pathologique qui reprend nuit après nuit le fil du même Grand Rêve. Pour comprendre son crime, Traumfreund et Rilviero vont devoir s'immerger dans cet univers onirique où Nexus mène une véritable vie parallèle. Captivés par les récits du meurtrier, ils sont parfois rattrapés par le doute : comment être sûrs qu'ils n'ont pas affaire à un fabulateur ? A partir de ce fait divers, Les Veilleurs nous entraîne dans une exploration passionnante des territoires de la folie et du sommeil. Reprenant certains codes des grands thrillers hollywoodiens, l'auteur compose une fresque sur la place de l'imaginaire dans la société moderne, plus rationaliste qu'aucune autre, mais aussi fascinée par les mondes virtuels et les faces nocturnes de la réalité.

Comment ne pas être appâté par un tel résumé ? Premier roman très remarqué d’un jeune auteur, qualifié de révélation de la rentrée littéraire 2009 par certaines critiques, « Les veilleurs » ne pouvait que susciter ma curiosité : qu’en était-il de ce roman décrit comme extraordinaire par certains et décevant par d’autres ? Où allais-je me situer sur l’échelle de satisfaction après lecture ? Force est de constater que je me situe à mi-chemin entre les deux extrêmes : si je ne crie pas au génie ni au roman sensationnel, je ne le trouve pas insignifiant ou ordinaire pour autant.

D’abord ce roman est ambitieux, très ou trop peut-être ? Mélangeant allégrement les genres (fiction politico-sociale et psycho-philosophique, polar, science-fiction, thriller), il prend le risque de décourager le lecteur qui peut se perdre dans les méandres du récit, se trouvant emmêlé dans un fatras de questions philosophiques, environnementales, sociétales et relationnelles qui peuvent l’excéder ou du moins l’éloigner de la trame au fur et à mesure de son avancement. Ajoutez à cela certains passages au style un peu lourd et alambiqué et certaines longueurs (on a parfois l’impression de faire du surplace) et vous comprendrez aisément pourquoi certains lecteurs se lassent de l’histoire et finissent même par s’y ennuyer.

Je suis moi-même passée par ces différentes phases si ce n’est que l’intrigue est bien fichue et tient en haleine jusqu’au bout : Nexus est-il un manipulateur de génie, un usurpateur, un fabulateur ou un témoin, une sorte d’homme passerelle entre deux mondes ? Le monde onirique qu’il décrit existe-t-il vraiment ? Peut-il passer d’un monde à l’autre en passant par le sommeil et le rêve ? Cette question nous vrille et nous taraude tout au long du récit, nous poussant à tourner les pages pour connaître la suite du récit, guettant un indice, une phrase, une anecdote pouvant nous mettre sur la voie de la vérité.

Il y a également de très bonnes trouvailles dans cette histoire, dont celle du Bateau-Pierre, œuvre architecturale aux pièces changeantes et mouvantes d’un ingénieur délirant - ancien patient du clinicien Joachim Traumfreund qui la lui transmet en remerciement de ses soins - une immense maison perdue et totalement isolée dans les montagnes et dans laquelle vont se retrouver les protagonistes.

Au final, un premier roman touffu, ambitieux, qui ne fait pas dans la facilité mais qui se perd quelquefois, ne manquant certes pas de qualités sans pour autant être dénué de certains défauts. Un premier roman qui n’a peut-être pas soulevé chez moi une adhésion sans réserve mais qui m’a intriguée et fait passer un bon moment de lecture. L’auteur est jeune et cela se sent. Mais il a sans conteste du talent, et je suis bien curieuse de découvrir la suite de son œuvre lorsqu’il gagnera en maturité (l’auteur n’a que 26 ans après tout) et en simplicité, dans le bon sens du terme.
« Plusieurs personnes intelligentes affirment que l’homme n’est pas une chose en soi mais une histoire qu’il se raconte à lui-même. On pourrait de la sorte construire sa vie par la parole. Je n’ai aucun moyen de savoir si cette proclématie est vraie. Si je décide de l’admettre, ça me laisse de la marge : je suis un homme capable de parler longtemps, de mettre sur pied des dizaines d’histoires minuscules ou de leur servir le Grand Récit. Je ferai de Nexus ce que je souhaite, jamais ce qu’ils attendent de moi. Avouons : je m’y suis pris très en avance. J’ai déjà commencé. »

Les veilleurs de Vincent Message, Éditions du Seuil, Collection Points, 2 septembre 2010, 760 pages
Première édition dans la Collection Cadre Rouge des Éditions du Seuil, 20/08/2009, 636 pages

mardi 15 septembre 2009

Pierres de mémoire de Kate O'Riordan

« Que pouvons-nous devenir, sinon ce dont nous avons le souvenir ? Et tout ce que nous tentons d'oublier. »

Nell, une Irlandaise dans la quarantaine, vit à Paris depuis plus de vingt ans. C'est une oenologue reconnue, l'une des rares femmes dans le monde à avoir le statut de Master of Wine. Elle profite du calme de la vie parisienne comme d'un bon verre de rouge, en compagnie de Lulu, un caniche qu'elle méprise, et de son amant Henri, un homme marié propriétaire d'un vignoble. Mais un coup de téléphone nocturne va venir briser le monde clos qu'elle a construit. Un voisin de sa fille unique Ali, qui vit en Irlande, lui donne à son sujet d'inquiétantes nouvelles. Celles-ci vont obliger Nell à retourner dans son pays d'origine, ce qu'elle n'avait pu se résigner à faire depuis son arrivée en France, et cela non sans raison. Pierres de mémoire est une poignante histoire d'amour maternel, dans laquelle l'auteur dissèque avec tendresse et précision les relations filiales, et interroge l'emprise d'un passé que l'on tente de garder à distance.

Je ne connaissais pas du tout Kate O'Riordan avant la lecture de ce roman mais je peux vous assurer qu’elle figure déjà dans mon panthéon de la littérature irlandaise. Comme vous pouvez vous en douter, on ne rit pas beaucoup en lisant les romans d’auteurs irlandais, celui-ci ne faisait pas exception à la règle.

Roman sur l’exil comme refuge, roman sur la filiation et la transmission, roman sur l’amour maternel avant toute chose, car comment ne pas culpabiliser et ne pas se sentir responsable de son enfant aujourd’hui adulte mais tellement désorientée lorsqu’on sait tout ce qu’on lui a donné mais également tout ce qu’on lui a transmis malgré soi, à travers nos silences, non-dits, malentendus et autres secrets les plus intimes.

Roman typiquement irlandais dans sa poésie d’un pays de pluie mais également dans la finesse psychologique de l’analyse des personnages, Kate O'Riordan nous plonge dans l’intimité d’une femme qui se cherche après tellement d’années passées à fuir les siens et sa terre natale. Un retour au pays pour éviter toute répétition de la souffrance et du manque chez les siens mais aussi pour mieux affronter ses propres démons lorsque la nécessité de revenir sur les traces de son passé se fait sentir si l’on veut pouvoir avancer sur le chemin de la vie. Un très beau roman porté par une très belle plume.

« Ca vous atteint par vagues, le manque de quelqu’un. […] Comme un bruit de fond qui crépite sourdement les jours bien remplis où l’on n’a pas le temps de réfléchir, une pointe acérée lorsqu’on oublie un instant et que quelque chose vient raviver le souvenir. La culpabilité d’avoir oublié, ne serait-ce qu’une seconde. »

« Si seulement les gens pouvaient se contenter de ça, se dit Nell. Si seulement un geste tendre et un murmure apaisant pouvaient soulager la douleur de vivre ordinaire. Et pourtant, il y a des moments où l'on n'a rien d'autre à faire face au chagrin que caresser et murmurer - tout notre savoir, toutes nos certitudes réduits à des gestes primaires et instinctifs ? Des grognements de compassion quand les mots sont trop affectés, trop tout. »

lundi 14 septembre 2009

La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole

Ecrit dans les années 60, « La Conjuration des imbéciles » est le chef-d’oeuvre de John Kennedy Toole, un roman humoristique qui ne sera jamais publié de son vivant, un cuisant échec qui finira par conduire l’auteur à se suicider à l’âge de 32 ans (nous sommes en 1969). Il faudra encore attendre plusieurs années et les efforts acharnés de sa mère pour le faire publier dans les années 80, date à partir de laquelle il connaîtra un succès retentissant qui aboutira à l’obtention du prix Pulitzer en 1981 à titre posthume. Devenu depuis un classique de la littérature humoristique américaine, ce livre demeure un des livres majeurs de la littérature du Sud des Etats-Unis, le roman se situant à la Nouvelle-Orléans, lieu de naissance de l’auteur.

Nous sommes donc à La Nouvelle-Orléans dans les années soixante. Ignatius J. Reilly, étudiant en littérature médiévale, est un jeune homme de 30 ans aussi intelligent et cultivé qu’il est égocentrique, hypocondriaque, arrogant, boursouflé de sa suffisance et paranoïaque à ses heures. Il vit avec sa mère arthritique et alcoolique dans la mesure où il est bien incapable de se prendre en charge, aussi inadapté socialement que professionnellement, son mépris à l’égard de ses contemporains et des valeurs véhiculées par son époque ne lui apportant aucun aide à son intégration. Ignatius J. Reilly présente aussi un handicap majeur à son insertion sociale : outre une obésité de taille, son anneau pylorique se ferme à la moindre contrariété, entraînant de nombreux désagréments dans sa vie quotidienne. Mais lorsque sa mère se voit contrainte de rembourser les dégâts occasionnés par un accident de voiture dont elle est seule responsable, son fils Ignatius J. Reilly se voit obligé à son tour d’abandonner l’écriture de son autobiographe dans les cahiers « Big Chief » pour aller trouver du travail…

Ce roman est un ovni littéraire ! Humour déjanté, critique au vitriol de la société américaine, situations pittoresques et personnages haut en couleurs, ce récit a vraiment été une totale surprise pour moi. Impossible à résumer tellement les situations absurdes et décalées se suivent et ne se ressemblent pas, je ne peux que vous conseiller de lire ce récit délirant et jubilatoire à la fois.

Un conseil : ne lisez pas ce roman d’une traite au risque de vous lasser du procédé. « La Conjuration des imbéciles » se lit par petites touches, il faut le voir comme des petites scénettes aussi drôles qu’originales qui ne peuvent se savourer pleinement qu’à petites doses pour ne pas frôler l’indigestion.

A la lecture de ce récit, on ne peut s’empêcher de se demander ce que nous avons perdu à la mort du John Kennedy Toole, un grand auteur qui aurait laissé sans aucun doute d’autres œuvres aussi impérissables que celle-ci.


dimanche 6 septembre 2009

Tous les matins du monde de Pascal Quignard

« Il poussa la porte qui donnait sur la balustrade et le jardin de derrière et il vit soudain l'ombre de sa femme morte qui se tenait à ses côtés. Ils marchèrent sur la pelouse. Il se prit de nouveau à pleurer doucement. Ils allèrent jusqu'à la barque. L'ombre de Madame de Sainte Colombe monta dans la barque blanche tandis qu'il en retenait le bord et la maintenait près de la rive. Elle avait retroussé sa robe pour poser le pied sur le plancher humide de la barque. Il se redressa. Les larmes glissaient sur ses joues. Il murmura : - Je ne sais comment dire : Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids. »

« Tous les matins du monde » nous conte les premières années d’apprentissage du jeune Marin Marais, futur violiste de la cour du roi Louis XIV qui fera ses premières gammes auprès de son maître janséniste monsieur de Sainte Colombe et de ses deux filles Madeleine et Toinette.

Ce très court roman, dépouillé et sobre, prend des allures de conte pour nous parler de l’essentiel dans la musique, à savoir non pas la virtuosité et la gloire que peut engendrer la maîtrise de son instrument mais l’émotion et les sentiments que le musicien arrive à nous transmettre à travers son art, avec humilité et sans vanité aucune. Véritable hymne à la sincérité, la pureté, la sobriété et la simplicité, sans oublier une certaine austérité, Pascal Quignard applique ces préceptes à son propre talent d’écrivain. Il y a beaucoup de mélancolie dans ce récit, mais aussi parfois quelques rayons de lumière qui viennent irradier quelque peu cette tristesse de ton, faisant penser à ces toiles de peintres utilisant la technique du clair-obscur que j’affectionne particulièrement.


Une promesse de Sorj Chalandon

Quatrième de couverture

Nous sommes en Mayenne, une maison à l'orée d'un village. Tout est silencieux, les volets fermés et la porte close. Nuit et jour pourtant, sept amis en franchissent le seuil. Les uns après les autres, chacun son tour et chacun sa tâche. S’accomplit ainsi le serment de sept âmes vives à deux âmes sombres : la parole donnée pour retarder le deuil. Voici l’histoire d’un mystère et d’une fraternité. 

Une promesse a obtenu le prix Médicis 2006. 

Ce roman ne s’est pas d’emblée imposé à moi au début de ma lecture, ayant eu un peu de mal à me laisser entraîner par cette histoire mais il a fini pas creuser son sillon en moi et m’a donc apprivoisée au fur et à mesure de ma lecture. Au final, j’ai trouvé ce roman plein de finesses et de sensibilités, abordant par des personnages attachants et des mots simples un sujet douloureux et des émotions complexes. Un beau roman sur le deuil, l’amitié, l’engagement, la mémoire, le respect aussi. Un roman que j’ai finalement quitté à regret et qui nous interroge sur notre propre rapport à la mort et à la perte d'êtres chers...