jeudi 28 février 2013

Bilan du mois de février 2013








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Equador de Miguel Sousa Tavares
Léon et Louise de Alex Capus



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Le marin de Gibraltar de Marguerite DurasProfanes de Jeanne Benameur
Kornwolf - Le Démon de Blue Ball de Tristan Egolf
Dans l’or du temps de Claudie Gallay










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Wadjda de Haifaa al-Mansour - 2013  ❤
Les Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch - 2013
La cinquième saison de Peter Brosens et Jessica Woodworth - 2012
Broken de Rufus Norris - 2012



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Hitchcock de Sacha Gervasi - 2012


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Möbius de Eric Rochant - 2013


dimanche 17 février 2013

Le marin de Gibraltar de Marguerite Duras

Un homme décide de se dépouiller de sa vie : il quitte la femme avec laquelle il vivait sans amour depuis deux années et renonce définitivement à son travail monotone au ministère des colonies. C’est dans un petit village italien, à l’embouchure d’un fleuve dont lui a parlé un chauffeur lorsqu’il se rendait à Florence, qu’il trouvera le courage de se défaire du poids devenu trop pesant de ce qu’était devenu sa vie inodore et incolore. C’est là qu’il rencontre la belle Anna, surnommée l’Américaine, jeune veuve richissime qui parcourt le monde à bord d’un yacht avec quelques matelots à la recherche du marin de Gibraltar, un homme qu’elle a aimé et qui a disparu depuis des années.
 
Libre mais sans le sou, le narrateur se fait engager sur le bateau pour partir à son tour en compagnie de la belle à la recherche de ce marin évanoui dans la nature, passant de Sète à Tanger, de Tanger à Abidjan, et d'Abidjan à Léopoldville. Il sait que le jour où ils retrouveront la trace du marin de Gibraltar sonnera la fin du couple qu’il forme à présent avec cette femme qu’il aime.
 
Quatrième roman de Marguerite Duras, dont le précédent « Un barrage contre le Pacifique » lui avait valu une première reconnaissance de la critique et du public, « Le marin de Gibraltar » fut publié en 1952 aux Editions Gallimard. Si son précédent roman était largement autobiographique, elle s’en écarte ici délibérément dans ce qui peut apparaître comme une rupture dans son écriture, annonçant par ce roman son œuvre future.
 
Proposant une narration lancinante et volontairement évanescente, on finit par se demander si ce marin de Gibraltar n’est pas juste une figure chimérique offrant de par son inaccessibilité un but à l’existence trop monotone s’il n’existait pas dans l’imaginaire de tous les personnages du roman. Chacun finit par avoir sa propre vision du marin de Gibraltar et la poursuite de ces nombreux avatars fournit le prétexte idéal aux diverses escales qui jalonnent ce récit.
 
La quête de l’inaccessible où l’essentiel se situe du côté de la recherche dans laquelle on finit par s’oublier que de l’opportunité de retrouver l’objet en question. La place du désir dans la passion. Car la meilleure façon de préserver un amour n’est-il pas de le menacer toujours ? Et quelle meilleure menace que celle du retour d’un hypothétique marin de Gibraltar ? 
 
- Dites-moi, dit-elle, quel est le signe annonciateur de la fin d’un grand amour ?
- Que rien, apparemment, ne l’empêche de durer toujours, dis-je, non ?


Profanes de Jeanne Benameur

Quatrième de couverture
 
Ils sont quatre, ils ne se connaissent pas mais ils vont rythmer la vie du docteur Octave Lassalle qui les a soigneusement choisis comme on compose une équipe -- comme avant autour de la table d'opération, mais cette fois-ci, c est sa propre peau qu'il sauve, sa propre sortie qu'il prépare. Ensemble, cette improbable communauté progressivement tissée de liens aussi puissants qu'inattendus, franchira un seuil, celui des blessures secrètes. Un hymne à la vie et un plaidoyer pour la seule foi qui vaille : celle de l'homme en l'homme.
 
Des liens qui se tissent, le partage de nos failles et de nos doutes dans les mots mais aussi dans les gestes et les non-dits, le désir, la perte mais aussi l’élan de vie et la foi en l’homme. Un texte court mais intense, qui demande du temps, qui se déguste. Porté par une écriture finement ciselée.
 
« Ils sont là, derrière la porte. Il ne faut pas que je rate mon entrée.
Maintenant que je les ai trouvés, tous les quatre, que je les ai rassemblés, il va falloir que je les réunisse. Réunir, ce n'est pas juste faire asseoir des gens dans la même pièce, un jour. C'est plus subtil. Il faut qu'entre eux se tisse quelque chose de fort. Autour de moi, mais en dehors de moi. »
 
« Je m’embarque pour la partie de ma vie la plus précieuse, celle où chaque instant compte, vraiment. Et j’ai décidé de ne rien lâcher, rien. »
 
« J’ai besoin de confronter mon doute à d’autres, issus d’autres vies, d’autres cœurs. J‘ai besoin de frotter mon âme à d’autres âmes aussi imparfaites et trébuchantes que la mienne. »
 
« C'est l'arrêt du désir qui fait le nid à tout ce qui crève. Plus d'élan, plus de vie. Et moi je veux vivre. Pas en attendant. Pleinement. La liberté est terrible. »
 
« Si petite pour chacun. La si petite liberté humaine. Et ce désir parfois de l'enfoncer sous la terre. Parce que trop. Si petite mais déjà trop. »
 
« C'est là. Pour toujours. Comment enterre-t-on les souvenirs ? Dans quel charnier les abandonner une bonne fois ? La mémoire est une hyène. Elle fouille, trouve toujours un lambeau à arracher. »


vendredi 15 février 2013

La cinquième saison de Peter Brosens et Jessica Woodworth (film)

Synopsis
 
Un village agricole perdu au milieu des Ardennes belges est soudain frappé par une calamité naturelle et existentielle : le printemps refuse d'arriver. La révolte de la nature ne se limite cependant pas au village. Le silence et l'immobilité se sont répandus partout. Alice et Thomas, deux adolescents du village, vont se battre pour donner un sens à leur vie dans un monde qui s'effondre autour d'eux.
 
Dernier volet d’un triptyque traitant des rapports conflictuels entre l’homme et la nature, après leur premier long-métrage « Khadak », réalisé en 2006 en Mongolie et le second « Altiplano », tourné en 2009 dans les Andes.
 
La cinquième saison se déroule dans un petit village belge isolé aux allures intemporelles. La nature se rebelle et ne veut plus offrir ses meilleur fruits : quand tout tombe en berne, quand le souffle manque, quand tout s’éternise dans une froideur, un calme plat, une terre stérile. Un propos d’une grande noirceur porté par une belle photographie : quelques plans font penser aux tableaux de grands maîtres comme Pieter Bruegel ou James Ensor. Quelques scènes surréalistes , quelques rites païens extrêmes et féroces lorsque les villageois désignent l’étranger du village comme victime expiatoire. 

Un film lancinant aux allures de fable cruelle, à découvrir pour ceux qui ne craignent pas de voir un film « différent ». 
 






Wadjda de Haifaa al-Mansour (film)

Synopsis 

Wadjda, douze ans, habite dans une banlieue de Riyad, capitale de l’Arabie Saoudite. Bien qu’elle grandisse dans un milieu conservateur, c’est une fille pleine de vie qui porte jeans et baskets, écoute du rock et ne rêve que d’une chose : s’acheter le beau vélo vert qui lui permettra de faire la course avec son ami Abdallah. Mais au royaume wahhabite, les bicyclettes sont réservées aux hommes car elles constituent une menace pour la vertu des jeunes filles. Wadjda se voit donc refuser par sa mère la somme nécessaire à cet achat. Déterminée à trouver l’argent par ses propres moyens, Wadjda décide alors de participer au concours de récitation coranique organisé par son école, avec pour la gagnante, la somme tant désirée. 

J’avais des craintes quant à ce film : le voir pour de mauvaises raisons (premier film saoudien réalisé par une femme, en voilà un bon argument commercial), peur de subir des propos trop caricaturaux et appuyés, jeux des acteurs moyens. Et bien il n’en fut rien : le film est touchant, beaucoup de sujets sur le statut de le femme mais abordés avec finesse et subtilité, le tout porté par d’excellents comédiens - dont la petite Wadjda, jeune fille malicieuse et débrouillarde confondante de naturel. Une très bonne surprise donc et un joli film que je vous conseille. 





lundi 11 février 2013

Equador de Miguel Sousa Tavares

Quatrième de couverture 

Luis Bernardo Valença, un brillant mondain lisbonnais, est convoqué par le roi Don Carlos. Ce dernier, sous la pression des Britanniques le charge de mettre fin au travail forcé dans les plantations de cacao de Sao Tomé et Principe. Lourde tâche pour un dandy accoutumé à boire du champagne dans les escarpins des dames! Dans l' archipel du golfe de Guinée, les colons l' attendent de pied ferme... 

 En voilà un très bon roman ! Non seulement il fait la part belle à l’histoire, l’économie politique et l’héritage colonial mais il soulève aussi la question de l’esclavagisme tout en passant par les affres de la passion dévorante. Un récit qui a demandé beaucoup de documentation à son auteur sans pour autant que cela nuise à l’aspect romanesque du récit : les personnages ont une réelle épaisseur et l’écriture est vraiment très soignée. Une histoire qui prend toute son ampleur dans les dernières pages, donnant une tonalité extrêmement tragique si pas fatale à l’ensemble. 

Mon seul regret : c’est le seul roman à ce jour traduit en français de Miguel Sousa Tavares (écrivain, avocat, journaliste et chroniqueur politique portugais), quelle déception. 

Miguel Sousa Tavares est originaire de Porto. Il a exercé la profession d'avocat avant de se consacrer définitivement au journalisme. Il est aujourd'hui un des journalistes les plus connus de la télévision et de la presse écrite. Lauréat de nombreux prix parmi lesquels le Prix national du reportage pour un film de 52 minutes sur l'histoire de la colonisation de l'Amazonie et le prix du Festival de cinéma et de télévision de Rio de Janeiro, il a écrit plusieurs livres - documents, chroniques politiques, contes pour enfants. Equador est son premier roman.

Source : http://www.seuil.com/

vendredi 8 février 2013

Kornwolf - Le Démon de Blue Ball de Tristan Egolf

Quatrième de couverture
 
Owen Brynmor ne comptait plus retourner dans la Pennsylvanie profonde de son enfance, pays provincial et rétrograde partagé entre " Habits rouges " et " Bataves ", autrement dit entre beaufs américains et amish rigoristes. Mais à peine engagé comme reporter au journal local, il décroche un scoop : le retour du Démon de Blue Ball, cette bête mystérieuse qui jadis ravagea la région. À moins qu'il ne s'agisse d'un canular... Or, si son enquête l'amène à exhumer la légende du Kornwolf, ce loup-garou qui hanta l'Europe du dix-septième siècle, elle croise aussi, à chaque pas, la trajectoire d'Ephraim Bontrager, un orphelin muet qui vit en marge de sa communauté religieuse. Mais où s'incarne vraiment le Mal ? Dans un monstre quelconque, ou parmi les humains qui le pourchassent ? Dans ce dernier roman, Tristan Egolf renoue avec la veine truculente et enragée du Seigneur des porcheries. Tout en pastichant la littérature fantastique, il manifeste une verve gourmande et une énergie langagière de tous les instants pour offrir une peinture vengeresse d'une Amérique dégénérée, dont seuls les parias méritent d'être sauvés. On n'est pas près d'oublier la puissance visionnaire de cette écriture torrentielle.
 
Tristan Egolf renoue avec les thématiques déjà présentes dans son premier roman Le seigneur des porcheries, à savoir une figure désignée en marge de sa communauté qui cristallise toutes les peurs, haines et rumeurs malveillantes, ainsi que le rejet de cette incarnation du mal par la communauté humaine dans la violence, la victime devenant bien malgré elle le catalyseur de toutes les bassesses humaines.
 
Cette figure sacrificielle prend ici les traits d’un jeune garçon innocent atteint de lycanthropie, maladie dégénérative qui lui a été transmisse par héritage familial. Une fois de plus, personne n’est épargné dans ce roman, ni la communauté Amish ni les « Gens simples » ni les « Habits rouges » et encore moins la police locale. Même la plus petite structure humaine, à savoir la famille, est totalement défaillante : tout n’est qu’asphyxie, paralysie, destruction et désolation. L’auteur n’est décidément pas tendre envers le genre humain !
 
Un roman moins puissant que l’excellentissime « Le seigneur des porcheries » mais qui séduira néanmoins le lecteur.


jeudi 7 février 2013

Dans l’or du temps de Claudie Gallay

Quatrième de couverture
 
Le narrateur passe l'été en famille, avec sa femme et leurs jumelles de sept ans, dans leur maison normande au bord de la mer. II rencontre par hasard Alice, une vieille dame abrupte et bienveillante à la fois, volontiers malicieuse. Il lui rend visite à plusieurs reprises et une attente semble s'installer : l'homme est en vacances, vacant pour ainsi dire, intrigué et attiré malgré lui ; Alice a des choses à raconter, qu'elle n'a jamais pu dire à personne, des souvenirs qui n'attendaient que lui pour remonter à la surface et s'énoncer. Tout commence par un voyage à New York qu'elle a effectué dans sa jeunesse, en 1941, en compagnie de son père photographe et d'André Breton. Ensemble, ils ont approché les Indiens hopi d'Arizona, dont l'art et les croyances les ont fascinés. Dans l'or du temps plonge au plus intime de ses personnages par petites touches, l'air de rien. Hommage à la figure d'André Breton et à la culture sacrée des Indiens hopi, ce magnifique roman célèbre les rencontres exceptionnelles, celles qui bouleversent l'âme et modifient le cours des existences.
 
Une rencontre singulière entre une vieille femme et le narrateur, le poids de la mémoire et du passé pour l’une, le poids de l’indécision et du présent pour l’autre, et la révélation d’un lourd secret. Une façon subtile et irrévocable d’imprégner l’autre par son vécu, manière peut-être de se délester d’un poids trop lourd avant de passer de vie à trépas mais aussi de continuer d’exister malgré le temps qui passe. Le narrateur devient le témoin d’une autre vie alors qu’il a bien du mal à être acteur de sa propre destinée, avec comme toile de fond la culture indienne hopi.
 
J’ai bien aimé ce roman pour l’atmosphère particulière qui s’en dégage même s’il peut sembler par moment un peu décousu, certains pans du récit s’imbriquant tant bien que mal. Je retiens également l’écriture dépouillée assez particulière de Claudie Gallay, faite de phrases courtes et abruptes. Un peu déconcertant au début mais on s’y fait. Il ne reste que les personnages et leurs intentions restent assez impénétrables tout au long du récit : il y a beaucoup de non-dits, de bas-fonds, de secrets, de mouvements souterrains derrière les mots, les gestes et les silences. Peu d’empathie donc pour les personnages, tant ils demeurent insaisissables et lointains. Une certaine propension au fatalisme un peu bancale aussi.
 
Quant au personnage d’Alice, je n’ai pas cessé un seul instant de me la représenter sous les traits de Marguerite Duras ; cette incroyable ressemblance entre les deux femmes ne peut être accidentelle sans très bien en savoir plus sur les intentions de l’auteur à ce propos.
   
Sans doute cette grenouille-là venait de la mare, tout près, dans le champ à côté. Je me suis baissé. Mes mains. Je les ai refermées sur le corps froid. Devenu captif entre mes paumes. Je le sentais. Le rythme accéléré du cœur. Les pulsations effrayées. J’ai ouvert les mains. J’ai vu la grenouille. Et j’ai vu la lumière. La lumière par en dessous. En transparence. Dans le ventre même de la grenouille. Elle venait de l’intérieur, elle traversait la membrane fine de la peau. J’ai regardé. De plus près. La rainette dans le creux de la main. Elle ne bougeait pas. Je n’ai pas compris tout de suite. C’est après. Cette lumière c’étaient les larves de lucioles qu’elle venait d’avaler. Des larves pas encore mortes mais dans cet entre-deux. Et qui continuaient de briller.

mercredi 6 février 2013

Léon et Louise de Alex Capus

Quatrième de couverture
 
Léon et Louise n’ont pas vingt ans lorsqu’ils se rencontrent dans un petit village français vers la fin de la Première Guerre mondiale. Connus, reconnus, perdus de vue, séparés par les hasards de l’Histoire et les vents contraires du destin, les deux jeunes gens ne s’oublieront jamais.
 
En explorant la vie secrète de son propre grand-père sur plus de quarante ans, Alex Capus signe le roman d’un amour plus fort que le tourbillon de la vie, une irrésistible épopée intime et ample qui a déjà séduit plus de 200 000 lecteurs outre-Rhin.
 
Une écriture limpide qui coule de source pour une histoire d’amour à l’épreuve du temps.
 
Léon est marié et père de famille lorsqu’il retrouve par hasard Louise, son premier et grand amour, laissée pour morte depuis une dizaine d’années après une attaque aérienne à la fin de la première guère mondiale. Pas question pour autant de ne pas honorer ses engagements à l’encontre de son épouse et de ses enfants. Pas question non plus d’oublier Louise, la seule femme dont il est réellement épris.
 
Un récit qui se déroule sur plusieurs périodes historiques (la Normandie pendant la Première Guerre mondiale, Paris sous l'Occupation pendant Seconde Guère mondiale, la récession, la libération), très bien rendues sous forme d’anecdotes personnelles d’un fonctionnaire du département scientifique de la Police française (Léon) et d’une employée de la Banque de France (Louise, qui fuira l’occupation allemande en assurant son service jusqu’au bout, se sauvant vers le Sénégal avec ses supérieurs hiérarchiques dans une surprenante opération de sauvetage de l'or de la République).
 
Lorsque l’amour est plus fort que tout sans pour autant faire des ravages autour de soi. Un beau roman sur la persistance des sentiments, le temps qui passe, les petits et grands arrangements avec la vie et le respect sous toutes ces formes. Une belle histoire comme on les aime, pleine de tact, de délicatesse, d’affection, de considération et de loyauté que je vous conseille vivement.