« Il poussa la porte qui donnait sur la balustrade et le jardin de derrière et il vit soudain l'ombre de sa femme morte qui se tenait à ses côtés. Ils marchèrent sur la pelouse. Il se prit de nouveau à pleurer doucement. Ils allèrent jusqu'à la barque. L'ombre de Madame de Sainte Colombe monta dans la barque blanche tandis qu'il en retenait le bord et la maintenait près de la rive. Elle avait retroussé sa robe pour poser le pied sur le plancher humide de la barque. Il se redressa. Les larmes glissaient sur ses joues. Il murmura : - Je ne sais comment dire : Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids. »
« Tous les matins du monde » nous conte les premières années d’apprentissage du jeune Marin Marais, futur violiste de la cour du roi Louis XIV qui fera ses premières gammes auprès de son maître janséniste monsieur de Sainte Colombe et de ses deux filles Madeleine et Toinette.
Ce très court roman, dépouillé et sobre, prend des allures de conte pour nous parler de l’essentiel dans la musique, à savoir non pas la virtuosité et la gloire que peut engendrer la maîtrise de son instrument mais l’émotion et les sentiments que le musicien arrive à nous transmettre à travers son art, avec humilité et sans vanité aucune. Véritable hymne à la sincérité, la pureté, la sobriété et la simplicité, sans oublier une certaine austérité, Pascal Quignard applique ces préceptes à son propre talent d’écrivain. Il y a beaucoup de mélancolie dans ce récit, mais aussi parfois quelques rayons de lumière qui viennent irradier quelque peu cette tristesse de ton, faisant penser à ces toiles de peintres utilisant la technique du clair-obscur que j’affectionne particulièrement.
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