mercredi 10 décembre 2008

Cochon d'allemand de Knud Romer

J’ai toujours eu peur de mon grand-père. Pour moi, il était « Papa Schneider ». J’ignorais aussi bien son vrai nom que son prénom, ce qui, du reste, n’avait aucune importance, car il ne me serait jamais venu à l’esprit de l’appeler par son prénom. Il n’était pas du genre à encourager la familiarité. Papa Schneider avait un visage balafré : des kilomètres de cicatrices, uniquement sur la joue gauche. Des souvenirs du siècle passé, il faisait alors partie de quelque Schlägerverein, cercle de bagarreurs. Ces gens-là mettaient leur point d’honneur à se taillader mutuellement la face d’un sabre – debout, sans sourciller, le bras gauche replié derrière le dos.



Ainsi commence « Cochon d’Allemand », un récit aussi court que dense de Knud Romer, né en 1960 à Nykøbing, une petite ville danoise située sur l’île de Falster.
L’île de Falster était située, en fait, au-dessous du niveau de mer ; elle n’existait donc que dans l’imagination des gens qui s’obstinaient à y croire. Et quand ces gens-là ne pouvaient plus se tenir debout et se couchaient pour dormir, l’eau montait tout doucement, passait par-dessus les digues et inondait les champs, les bois et les villages, qui redevenaient une partie de la Baltique. Eveillé, posté près de la fenêtre, je la voyais venir : le jardin se remplissait d’eau, des poissons nageaient entre les maisons et les arbres ; la ville de Nykøbing traversait la nuit, tel un paquebot de croisière.

Il revient sur son enfance douloureuse et sur l’histoire de sa famille, rejetée par les habitants à cause des origines allemandes de sa mère.  Knud sera rapidement confronté à l’ostracisme des habitants de la ville, qui n’ont jamais accepté la présence de sa mère, d’origine allemande et venue s’installer au Danemark après la seconde guerre mondiale. Ostracisme dont il fera également les frais, souffre-douleur habitué aux brimades quotidiennes de ses camarades d’école.

Pendant que je mangeais, mère restait à mes côtés avec un cigarillo et une bière ; elle semblait crispée, nerveuse et presque toujours triste. Elle ne tenait que par sa seule volonté, alors elle se refermait sur elle-même et serrait les poings. Ils ressemblaient à des grenades, les nœuds luisaient, blancs. J’aurais donné ma vie pour la rendre heureuse, je prenais sa main et la caressais, je lui racontais ma journée. Nous avions joué au football, j’avais été appelé au tableau, Susanne avait eu un appareil dentaire, les jumeaux m’avaient invité à leur anniversaire… Tout cela était faux. Pendant la journée, j’avais été le cochon d’Allemand, obligé de me cacher pendant la récréation, car tout – mon casse-croûte, mon vélo, ma tenue – servait de prétexte pour rire, même son prénom leur semblait ridicule et ils bêlaient : « Hilde-gard ! Hilde-gard ! » - quelle idée de s’appeler ainsi ! Jamais je n’eus le cœur de le lui dire, je l’entretenais de mon mieux ; elle me regardait, sa main se desserrait lentement – et j’y déposais tout ce que j’avais en ma possession, dans l’espoir que ce serait suffisant.

Cochon d’Allemand de Knud Romer est un récit d’enfance autobiographique écrit tout en finesse dans lequel l’évocation de sa famille allemande et danoise, allant des années trente jusqu’aux années soixante-dix, sert de ciment à la construction de l’histoire émouvante de ce petit garçon continuellement rejeté par les habitants de la petite ville danoise où il est né et où il vécut jusqu’à sa majorité. Beaucoup de tendresse dans ces portraits de famille, beaucoup de douleurs et de tristesses aussi dans ce rejet des autres.

Roman sensible et touchant, sans fioritures ni mièvreries, qui analyse les conséquences de la bêtise, des préjugés et des stéréotypes d’une communauté sur les quelques membres qui la composent et dont le seul tord aurait été d’être d’origine allemande dans ces années d’après-guerre, période durant laquelle être fils d’allemand ne pouvait que signifier fils de boche…
 
Cochon d'Allemand, Knud Romer, traduit du danois par Elena Balzamo, Les Allusifs, 183 pages.

Ce roman a reçu The Danish Bookseller's Golden Laurels, le prix BG Bank Debutant et le Weekendavisen's literary Prize.


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