samedi 7 mars 2009

Dora Bruder de Patrick Modiano

Il y a huit ans, dans un vieux journal, Paris Soir, qui datait du 31 décembre 1941, je suis tombé à la page trois sur une rubrique : « D' hier à aujourd' hui ».  Au bas de celle-ci, j’ai lu :
 
« Paris
On recherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1m55, visage ovale, yeux  gris-marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport marron.  Adresser toutes indications à M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris. »
 
C’est avec ces quelques phrases que débutent le roman et la quête de Patrick Modiano : retrouver les traces d’une jeune fille anonyme disparue dans les rues de Paris de l’Occupation.
Revenir sur les pas de cette jeune fugueuse permet non seulement à l’auteur de faire resurgir certains résonances personnelles mais également de ressusciter quelques-uns parmi cette foule d’anonymes broyés par la bureaucratie, les ordonnances, les autorités de l’occupation, les bourreaux, les camps, par le cours de l’Histoire, tout simplement.
 
« Il faut longtemps pour que resurgisse à la lumière ce qui a été effacé.  Des traces subsistent dans des registres et l’on ignore où ils sont cachés et quels gardiens veillent sur eux et si ces gardiens consentiront à vous les montrer.  Ou peut-être ont-ils oublié tout simplement que ces registres existaient. »
 
C’est en arpentant les pavés de Paris que Patrick Modiano se souvient des rues qui ont aujourd’hui changé d’aspect : habitations délabrées, établissements disparus, que reste-t-il de toutes ces personnes aujourd’hui disparues, si ce n’est qu’une simple précision topographique correspondant à une banale adresse ?
 
« Ce sont des personnes qui laissent peu de traces derrière elles. Presque des anonymes. Elles ne se détachent pas de certaines rues de Paris, de certains paysages de banlieue, où j'ai découvert, par hasard, qu'elles avaient habité. Ce que l'on sait d'elles se résume souvent à une simple adresse. Et cette précision topographique contraste avec ce que l'on ignorera pour toujours de leur vie - ce blanc, ce bloc d'inconnu et de silence. »
 
« On se dit qu’au moins les lieux gardent une légère empreinte des personnes qui les ont habités.  Empreinte : marque en creux ou en relief.  Pour Ernest et Cécile Bruder, pour Dora, je dirai : en creux. J’ai ressenti une impression d’absence et de vide, chaque fois que je me suis trouvé dans un endroit où ils avaient vécu. »
 
L’errance dans les rues de Paris, l’angoisse  du vide que l’on éprouve devant ce qui n’est plus aujourd’hui, le flux et le reflux des souvenirs, l’importance des traces et des empreintes de ce qui fut, le devoir de mémoire, la lutte contre l’oubli, tous ces éléments qui, accumulés,  redonneront une certaine identité à toutes ces personnes – mortes ou vivantes – que l’on range aujourd’hui dans la catégorie des individus non identifiés.
 
Les thèmes de Modiano me touchent, forcément j’ai envie de dire : comment être insensible à cette peur du vide, à cette angoisse de l’absence, à cette envie de faire sortir de l’anonymat ces hommes et ces femmes de tous les jours, pris dans la tourmente de l’histoire, à cette quête de l’identité ?
 
J’ai tout de même toujours un peu de mal avec son procédé d’écriture.  J’ai expliqué ci-dessus les raisons qui font que Modiano accorde tellement d’importance aux noms des rues, aux changements d’aspect, à l’évolution des quartiers, tous ces élément tangibles qui marquent de leur empreinte des événements passés et aujourd’hui disparus, seul vestige et seule preuve de ce qui a été, une sorte de carte d’identité topographique objective d’expériences vécues et éphémères.
Du coup, Modiano ne peut s’empêcher d’énumérer avec une grande précision tous les noms des rues de Paris que ses pas empruntent chaque jour. J’avoue que cela m’agace dans la mesure où ces noms de rues ne me disent rien.  J’ai chaque fois le sentiment d’être coupée dans mon élan, avec l’impression de trébucher sur un caillou le long de ma route chaque fois que je tombe sur ces descriptions lassantes qui entravent ma lecture. Ce procédé répétitif m’agace vraiment, j’ai même tendance à sauter ces descriptions qui ne m’apportent plus rien à partir du moment où j’ai compris leur intention. Mais je passe outre ces petits désagréments tant l’univers de Modiano apporte d’autres agréments et de plaisirs de lecture !
« Beaucoup d’amis que je n’ai pas connus ont disparu en 1945, l’année de ma naissance. »
 
« D’autres, comme lui, juste avant ma naissance, avaient épuisé toutes les peines, pour nous permettre de n’éprouver que de petits chagrins. »
 
« La fugue –paraît-il- est un appel au secours et quelquefois une forme de suicide. Vous éprouvez quand même un bref sentiment d’éternité. Vous n’avez pas seulement tranché les liens avec le monde, mais aussi avec le temps. Et il arrive qu’à la fin d’une matinée, le ciel soit d’un bleu léger et que rien ne pèse plus sur vous. Les aiguilles de l’horloge du jardin des Tuileries sont immobiles pour toujours. Une fourmi n’en finit pas de traverser la tache de soleil. »

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