Dans la communauté mormone de l'Utah en 1860,
Erastus Hammer, éleveur de chevaux et chasseur renommé, est un mormon prospère
vivant dans son ranch isolé en compagnie de ses quatre épouses : sa première
épouse Sœur Ursula, une femme aussi pieuse que rigide qui dirige d’une main de
fer la vie courante du ranch et l’éducation des enfants, la seconde épouse Sœur
Ruth, éleveuse de vers à soie et mère biologique de tous les enfants de la
ferme, la troisième épouse Sœur Thankful, femme sensuelle et aguicheuse qui se
flatte d’être la compagne sexuelle quotidienne d’Erastus et la quatrième épouse
Sœur Dorrie, qui n’est encore qu’une enfant discrète et solitaire le jour de
son mariage.
Dorrie doit cette place de quatrième épouse à sa passion pour la taxidermie :
Erastus voit là un excellent moyen de s’entourer de ses trophées de chasse qui
flattent son égo, même si ses talents de chasseur se sont considérablement
amoindris depuis qu’il connait des problèmes de vue, raison pour laquelle il
doit ses récents exploits à l’excellent chasseur indien païute qui l’accompagne
à tous ses déplacements. Dorrie est une enfant étrange qui ne se souvient plus
de son passé jusqu’au jour où son mari lui rapporte à la maison une louve et
ses petits destinés à compléter sa collection de trophées de chasse. A partir
de cet instant, elle ne cessera de rêver la nuit de nuées d’oiseaux, de loups
dévoreurs de cadavres et d’horribles scènes de violences et de tueries.
Bendy Drown, le nouveau garçon d’écurie du ranch Hammer, remarque cette jeune
fille solitaire et décide de l’apprivoiser à l’insu de tous. Les adolescents se
rapprocheront dans un jeu dangereux au sein de ce ménage mormon tendu par
l’envie et les jalousies. Pendant ce temps, un loup rôde sur les terres de
Hammer à la recherche de la famille qu’il a perdue. Sa quête nocturne dévoilera
les tensions et les secrets de cette famille mormone polygame...
« Effigie » est le deuxième roman de la Canadienne Alissa
York, considérée comme l’une des auteures les plus originales des lettres
anglo-saxonnes.
Fiction historique au souffle puissant, avec en toile de fond le massacre de
Moutain Meadows, (massacre perpétré en Utah en 1857 et dans lequel une centaine
de migrants venus du Missouri furent massacrés par un groupe de mormons et
indiens païutes), l’ouest américain de la ruée vers l’or et l’implantation de
la communauté mormone, Alissa York n’en oublie pas pour autant ses personnages
en leur donnant la parole à tour de rôle avec subtilité pour mieux disséquer
leurs pensées, envies, tourments mais également l’origine pour chacun d’eux de
leur adhésion à la communauté mormone.
Des scènes oniriques de la petite Dorrie côtoient des passages plus réalistes
mais également plus âpres, notamment ceux concernant la taxidermie, où l’auteur
nous décrit dans le moindre détail les techniques de la taxidermie et les
opérations de dépeçage, pas toujours très ragoutants. Outre une certaine
fascination de l’auteur pour le dépeçage, le sang, les organes, la charogne et
les prédateurs en tous genres, nous retrouvons dans ce roman une certaine
sauvagerie et animalité, composées de violences autant psychologiques que physiques,
imposées par les conditions de vie très rudes de l’époque mais également
induites par les rancœurs multiples de chaque membre de la famille Hammer,
certains dévorés par la jalousie et les rivalités mais tous réunis par la foi.
C’est dans cette atmosphère sourde et inquiétante que nous pressentons
d’emblée, dès les premières pages, l’imminence du drame à venir dans ce monde
clos qu’est le ranch de la famille Hammer.
J’ai beaucoup aimé « Effigie », et lirai sans aucun doute son premier roman, «
Amours défendus », best-seller dans son pays. Notez que son style d’écriture et
la multiplicité des points de vue demandent de la concentration, du temps et
une attention soutenue. A lire donc si vous avez du temps et du calme autour de
vous, sinon passez votre chemin ou reportez votre lecture en attendant de
réunir les conditions voulues ;-)
Citation :
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Et si, par le miracle du dédoublement, elle était capable de s’empailler elle-même ? Cette pensée était apaisante, presque soporifique. Elle sentit ses membres abandonner toute résistance, sentit son cœur se contenir et se ralentir.Ce serait quelque chose de détacher sa peau fine, de débarrasser son corps de tous ses boyaux. D’enlever la matière gris-bleu de son crâne bombé, de contempler cet espace vide par les orbites qui avaient abrité ses yeux. Quelle taille de globes lui faudrait-il ? Elle pourrait en peindre une paire avec fidélité, marron foncé comme les siens, ou elle pourrait faire quelque chose d’audacieux, choisir une paire d’yeux de biche, peut-être. Un regard si doux, si indulgent.D’autres changements seraient possibles. Elle pourrait avancer les yeux – de biche ou autre – dans les orbites, rembourrer les joues et le nez. Ce ne serait pas un mensonge, juste présenter son spécimen à son avantage. N’avait-elle pas réparé la courbure de la queue du chat de la grange, redressé l’os de l’aile cassée du faucon ?
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