samedi 12 décembre 2009

Des hommes de Laurent Mauvignier

Quatrième de couverture

Ils ont été appelés en Algérie au moment des " événements ", en 1960. Deux ans plus tard, Bernard, Rabut, Février et d'autres sont rentrés en France. Ils se sont tus, ils ont vécu leurs vies. Mais parfois il suffit de presque rien, d'une journée d'anniversaire en hiver, d'un cadeau qui tient dans la poche, pour que, quarante ans après, le passé fasse irruption dans la vie de ceux qui ont cru pouvoir le nier.

Laurent Mauvignier revient sur une page douloureuse de l’histoire de France, celle de la guerre d'indépendance algérienne.

« On avait renoncé à croire que l'Algérie, c'était la guerre, parce que la guerre se fait avec des gars en face alors que nous, et puis parce la guerre c'est fait pour être gagné alors que là, et puis parce que la guerre c'est toujours des salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n'y en avait pas, c'étaient des hommes, c'est tout... »

Que d’atrocités et de massacres accomplis pendant cette guerre qui fut longtemps fallacieusement appelée « les événements d’Alger ».

« […] comment on peut faire ça. Parce que c'est, de faire ce qu'ils ont fait, je crois pas qu'on peut le dire, qu'on puisse imaginer le dire, c'est tellement loin de tout, faire ça, et pourtant ils ont fait ça, des hommes, des hommes ont fait ça, sans pitié, sans rien d'humain [...] »

Mais plus que la guerre d’Algérie, c’est avant tout l’importance du vécu familial et des non-dits, leur empreinte dans la mémoire collective des membres de la famille et la conséquence de certaines rivalités qui sont mis à l’honneur dans ce roman, la guerre d’Algérie et ses conséquences s’imbriquant adroitement au récit familial.

Mais ce qui m’a le plus interpellé dans ce récit n’est pas l’histoire en elle-même mais l’écriture très particulière de Laurent Mauvignier : les phrases sont aussi pressées que brisées tandis que les mots sont martelés et se cognent sans cesse à de multiples virgules et points de suspension. Cela donne un ton très singulier à l’ensemble du roman, il y a comme une précipitation et une urgence à dire des mots qui se bousculent dans la tête : nous sommes dans l’émotion de l’instant vécu et non dans la reconstruction ‘par après’, nous sommes ici et maintenant dans les pensées des protagonistes, contraints de plonger la tête la première dans leurs angoisses, nous errons au plus près de leurs doutes et incertitudes. Ce procédé confère au récit une grande puissance d’évocation : cette écriture empêche toute mise à distance, on ne peut qu’être ému de partager la pensée hésitante de ces hommes qui ont connu la guerre et qui ne trouvent pas les mots pour en parler à leur retour. De toute manière, ces mots, on ne les attends pas vraiment non plus, tellement l’entourage préfère ignorer les atrocités commises plutôt que se les entendre dire par ces hommes du retour.

« Ils les avaient tous vus, les uns après les autres.
La vérité, c'est que le passé, le passé on n'en parle pas, il faut continuer, reprendre, il faut avancer, ne pas remuer. Et lui, il était resté seul à les entendre dire et redire, comme une incantation ou une prière, ce bout de phrase. Refaire sa vie. »

Un roman dont on retient surtout la force, la justesse et l’intensité des émotions. L’écriture si particulière de l’auteur y étant pour beaucoup, mais je me demande tout de même si le risque de m’en lasser ne me guetterait pas à un moment donné, tant j’ai le sentiment que ce style d’écriture peut vite tourner au procédé au risque de tomber dans une certaine facilité. Ce n’est pas du tout le cas dans ce roman, mais je ne peux m’empêcher de me poser la question…


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