David est un modeste fonctionnaire travaillant pour le
compte d’une administration sans âme, une vie décevante sans
agrément et d’un morne ennui. L’exaltation, le danger et la prise de
risque, ce sont ses rêves qui les lui procurent, lorsqu’il
retrouve ses fidèles complices – dont la belle et attirante Nadia –
dans le but d’accomplir les plus audacieux et périlleux cambriolages qui
soient.
Une vie réelle sans substance et une vie rêvée exaltante, de quoi préférer la vie onirique au quotidien décevant, même si les psychologues lui affirment que cet univers parallèle n’est rien d’autre que le produit de son imagination :
Une vie réelle sans substance et une vie rêvée exaltante, de quoi préférer la vie onirique au quotidien décevant, même si les psychologues lui affirment que cet univers parallèle n’est rien d’autre que le produit de son imagination :
« Essayez de toujours conserver à l'esprit que ce qui se passe "en bas" n'a aucune existence réelle. Il n'y a pas d'en bas. Ne donnez surtout aucune épaisseur à ces fantasmes ou vous finirez schizophrène. [...] Ne devenez pas comme ces vieux plongeurs qui croient que les personnages de leurs rêves continuent d’exister « en bas » pendant leur absence, et qu’ils se languissent d’eux. »
Mais David n’est pas qu’un simple rêveur, il possède le don de pouvoir plonger en profondeur dans ses rêves et de remonter à la surface en matérialisant ceux-ci sous forme d’ectoplasmes oniriques, très convoités des collectionneurs avides de leurs pouvoirs apaisants, offrant une véritable cure de jouvence à ceux les disposant à leur proximité :
« C’est quoi au juste ? On dirait de la chair, de la peau, et en même temps ça n’appartient pas à notre monde. […] il y avait là quelque chose d’incroyablement fragile, une architecture organique ( ?) à la peau plus fine qu’une pétale. Une sorte d’être indéfinissable, roulé en boule et touchant à peine terre. Des volumes harmonieusement agencés mais sans fonction vitale précise. […] Un soupir en instance de matérialisation, hésitant encore entre l’existence et la dissolution. »
Ces descentes dans le monde « d’en bas » sont comme des plongées aquatiques dans lesquelles David devient une sorte de scaphandrier des profondeurs. Mais ces plongées ne sont pas sans danger : remonter trop brutalement sans respecter les paliers de décompression pour fuir un cauchemar peut devenir mortel, descendre trop souvent et trop profondément épuise l’organisme du rêveur, qui se vide de sa substance vitale à chaque fois qu’il remonte un ectoplasme à la surface, sans oublier l’obligation de recourir à la surveillance médicale pour nourrir et hydrater le corps du rêveur le temps de la plongée. Mais le plus grand danger guettant ces chasseurs de rêves est bien « le syndrome du scaphandrier » : ce besoin irrésistible de redescendre, de rester au fond de son monde onirique et de ne plus jamais vouloir remonter à la surface du monde réel.
Aussi, lorsque le département de santé du musée d’Art moderne constate que les derniers ectoplasmes de David sont de bien piètres qualités, plus rentables du tout et juste bons à alimenter le circuit des boutiques de fantaisie, David s’entend dire qu’il serait bon qu’il arrête de rêver pendant une année le temps que son corps récupère de sa fatigue.
« David savait que les ectoplasmes épuisaient l’organisme. Chaque fois qu’il parvenait à ramener quelque chose du fond du rêve il perdait du poids, comme si l’objet expulsé par sa bouche correspondait à une portion de chair réelle. Chaque fois qu’il grimpait sur la balance au terme d’une plongée, il avait la conviction d’avoir subi une mystérieuse amputation. On lui avait enlevé quelque chose, il ne savait pas quoi, c’était indolore, et pourtant son anatomie n’était plus complète. Chaque rêve lui mangeait un organe. Cette idée prenait parfois des proportions obsédantes. »
Mais que faire lorsque l’appel et l’ivresse des profondeurs sont plus forts que tout ?
Serge Brussolo nous convie à un voyage très visuel et poétique à la fois, non sans noirceurs et désillusions : monde clos et étouffant, pauvreté du quotidien et puissance du fantasme et de l’imaginaire, fuite en avant, folie qui nous guette, corps transfigurés et dévorés de l’intérieur, exposition anatomique, utilisation de l'Art et place de l'artiste dans une société consumériste et mercantile, asservissements divers… voilà un univers bien singulier que nous propose l’auteur, univers qui nous interpelle et pousse à la réflexion tant la richesse des métaphores s’y déploie avec intelligence et subtilité.
Un roman qui ne se dévore pas (ne vous attendez pas à de l’action ni à des rebondissements à n’en plus finir) mais qui se découvre posément et précautionneusement, tel un objet délicat, unique et étrange à la fois.
Une lecture que je dois à Fantasio, qui a force de louer les qualités de Serge Brussolo sur son blog, m’a donnée envie de découvrir cet auteur pléthorique que je ne connaissais pas. Grand bien m’en a fait car non seulement je ne suis pas déçue de la traversée mais je compte bien poursuivre mon voyage dans le monde sombre et inquiétant de l'auteur.
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