[p.23] Mon cas n’est pas unique : j’ai peur de mourir et je suis navrée d’être au monde. Je n’ai pas travaillé, je n’ai pas étudié. J’ai pleuré, j’ai crié. Les larmes et les cris m’ont pris beaucoup de temps. La torture du temps perdu dès que j’y réfléchis. Je ne peux pas réfléchir longtemps mais je peux me complaire sur une feuille de salade fanée où je n’ai que des regrets à remâcher. Le passé ne nourrit pas. Je m'en irai comme je suis arrivée. Intacte, chargée de mes défauts qui m'ont torturée. J’aurais voulu naître statue, je suis une limace sous mon fumier. Les vertus, les qualités, le courage, la méditation, la culture. Bras croisés, je me suis brisée à ces mots là.
La Bâtarde de Violette Leduc, première parution en 1964.
Préface de Simone de Beauvoir,
Collection L'Imaginaire (n° 351) Gallimard,
Parution 13-09-1996, 496 pages
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