« Au milieu de l’été dernier, une petite ville de la côte norvégienne fut le théâtre d’événements tout à fait insolites. Un étranger arriva, un certain Nagel, charlatan étrange et singulier, qui fit nombre d’extravagances, avant de repartir aussi subitement qu’il était venu. »
Ainsi commence « Mystères » de Knut Hamsun : Johan Nilsen Nagel, étranger habillé constamment de jaune (jaune comme le soleil dont le rayonnement éclaire et réchauffe mais aussi ébloui et aveugle ?) débarque d’on ne sait où et s’installe pour un temps dans une petite ville norvégienne.
C’est un homme étrange qui suscite la curiosité mais aussi une certaine inquiétude auprès des habitants : le cerveau constamment en ébullition, à la spontanéité menant facilement au déraillement des pensées, ses propos étonnent et déroutent à la fois. Poussant la contradiction au paroxysme, il est aussi généreux, altruiste et honnête qu’il est menteur, manipulateur et escroc. Ne serait-il pas tout simplement atteint de folie ?
Une seule certitude, cet homme torturé est un homme qui a autant de compassion pour les âmes sensibles et justes, solitaires et rejetées que du mépris pour l’autoritarisme et la « grandeur » des hommes illustres. Etre renommé ne veut pas dire qu’on a l’esprit noble ! Pour Nagel, tout n’est que bluff et imposture, tout n’est que mensonge et vérité tronquée. Les hommes ne sont que des troupeaux qui trottinent volontiers derrière un chef et n’ont que trop tendance à se fier aux apparences que pour être facilement menés par le bout de leur nez. Il faut sans cesse traquer et aller au-delà du paraître, puiser dans les profondeurs de l’âme humaine et aiguiser sa capacité à entendre et comprendre ce qui se cache « derrière ».
Par opposition à cette société du paraître qui opprime et rejette, il y a la nature accueillante qui apaise :
« Il était dans un état mystérieux, empli de bien-être psychique ; chaque nerf en lui était en éveil, son sang chantait et il était en communion totale avec la nature tout entière : le soleil, les montagnes et tout le reste autour de lui ; son propre moi lui répondait à travers les arbres, les arbustes et les feuilles. Son âme, tel un orgue, résonnait en un crescendo, et jamais il n'oublierait la façon dont cette douce musique coulait dans ses veines. »
Le récit emprunte souvent le chemin des rêveries, contes et fantaisies, faisant apercevoir une réalité autre, un peu floue, une réalité imaginaire, cachée, différente et mystérieuse. C’est dans ces moments là que Nagel devient conteur, prenant les apparences d’un prédicateur livrant ses paraboles, enrichissant les hommes de sensations et de connaissances nouvelles.
« L'essentiel n'est pas en quoi l'on croit, mais comment l'on croit... »
« Que intérêt y a-t-il […] à enlever toute poésie, tout rêve, tout mystère, toute beauté, tout mensonge à la vie ? Vous savez ce qu’est la vérité ? Nous ne marchons que grâce à des symboles, et nous en changeons au fur et à mesure que nous progressons. »
On ne peut s’empêcher de faire un parallèle entre ce personnage principal et l’auteur lui-même tant ils semblent partager de nombreux points communs : volontiers pessimistes, désabusés et contestataires tout en étant sensibles et romanesques, ne comprenant pas la façon de penser des hommes, méprisant la société moderne, conteurs et rêveurs, ils se sentent différents, à jamais étrangers et en marge de la société. Même l’amour qui pourrait sauver les hommes et offrir un rempart de protection contre l’incertitude du monde échoue lamentablement, seuls les amours impossibles semblent demeurer et par delà-même, précipiter encore un peu plus la chute et le désœuvrement. Il ne semble pas y avoir beaucoup de consolations dans ce monde…
Cette errance solitaire et ce sentiment d’étrangeté n’étant toujours bien assumés, la question lancinante du suicide revient plusieurs fois hanter le récit en tant qu’ultime recours pour quitter – encore faut-il en avoir le courage - ce monde méprisant mais aussi débarrasser la terre de l’humanité.
Un roman assez déroutant et riche en symboliques qui malgré les multiples interprétations que nous pouvons en faire, semble malgré tout nous échapper indéfiniment. Une première incursion dans l’œuvre de Knut Hamsun (prix nobel de littérature en 1920) qui n’en restera certainement pas là tant les thématiques de son œuvre semblent riches et intéressantes.
Notons l’excellente préface d' Henry Miller qui vouait un culte à Knut Hamsun, auteur qu’il a cherché délibérément à imiter, sans jamais y réussir selon lui. Je le cite :
« L’ amertume, la folie, la haine, le mépris, les dénigrements qui se donnent libre cours dans Mystères ne doivent pas nous faire oublier qu’Hamsun était d’abord et avant tout un amoureux de la nature, un solitaire, un poète du désespoir. […] Mais si incisif que soit son humour, si mordantes que soient ses récriminations, cela ne nous empêche pas d’avoir la certitude, que c’est là un homme qui aime, un homme qui aime l’amour, et qui est condamné à ne jamais rencontrer une âme accordée à la sienne. »
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