« A l’époque, dans toutes les familles flamandes, on avait un oncle dans les missions. La souffrance causée par son absence était largement compensée par la nouveauté du monde dans lequel entrait la famille : des missionnaires en congé ramenaient des histoires de brousse et venaient déjeuner le dimanche, laissant des taches de vin d’un rouge profond sur la nappe damassée et la maison entière imprégnée d’épaisse fumée de cigare.»
Lieve Joris part dans les années 80 en direction du Zaïre, ex-Congo belge, sur les traces de son oncle missionnaire. Vu la situation chaotique du pays, on lui conseille ne pas trop se faire remarquer une fois sur place.
« Il ne fallait pas que je raconte à tout le monde que j’étais journaliste, pensaient-ils, il valait mieux dire que je faisais un « petit travail pour la famille. »
Lieve prend la route pour le Zaïre via le Fabiolaville, un bateau majoritairement pris par d’anciens coloniaux nostalgiques du Congo de l’époque.
« Je comprends soudain pourquoi ces gens préfèrent aller en Afrique en bateau plutôt qu'en avion. Ils se sentent dépaysés en Belgique, et le Zaïre non plus n'est plus ce qu'il était. Sur le bateau, entre ces deux mondes, le passé est toujours vivant. »
Paternalistes, volontiers méprisants à l’égard des africains et s’amusant de sa naïveté, Lieve se sent souvent mal à l’aise au bastingage du Fabiolaville.
« Je pars pour un pays qu’ils connaissent tous et sur lequel ils ont tous la même opinion. Ils disent qu’ils ne comprennent pas les Noirs. Moi, c’est eux que je ne comprends pas. »
Hésitante mais avant tout curieuse et désireuse d’aller à la rencontre des Africains en se lançant sur les traces laissées par les missionnaires de l’ex-Congo belge dont faisait partie son oncle, Lieve se compte pas seulement raviver les bons et moins bons souvenirs laissés par l’ancien régime colonial au hasard des rencontres et des anecdotes pris en chemin. Car l'auteur veut à son tour initier son propre chemin en se détachant de celui emprunté par son oncle afin d’explorer le Zaïre de Mobutu.
« En revenant sur le chaos de l’indépendance, la montée au pouvoir de Mobutu en tant que général de l’armée et l’échec de la zaïrianisation du pays, c’est toute une identité zaïroise établie par Mobutu qui semble bien précaire : […] je vois la notion de nation s’écailler comme une fine couche de vernis. Le tribunal provoque des émotions brutes qui réveillent en chacun l’idée de tribu.»
Problèmes ethniques qu’ironiquement l'ancienne puissance coloniale ne connait que trop bien, sauf que nous les désignons pudiquement sous le vocable « problèmes communautaires ».
La misère et la corruption ne sont malheureusement pas en reste :
« Diriger un pays, ça ne veut pas dire rouler dans des Mercedes noires et organiser des défilés.
Ici, le pouvoir est au bout du fusil.»
Lieve Joris nous convie à une très intéressante balade africaine, sans misérabilisme mais sans angélisme non plus, entre les derniers vestiges d’un passé révolu et les conséquences d’une décolonisation bien mal préparée.
Un regard lucide mais terriblement humain d’une femme sur un pays d’Afrique qui a bien du mal à se donner une identité commune.
Laissons la dernière parole à un politicien zaïrois :
La Belgique a abandonné sa colonie dans un état lamentable. « Vous ne nous avez pas donné l’indépendance, vous nous l’avez crachée au visage ».
Mon oncle du Congo (1987) est le premier volume consacré au Congo/Zaïre/RDC, suivi par Danse du léopard (2001), L’Heure des rebelles (2006) et, dernier en date, Les Hauts Plateaux (2009).
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