lundi 20 octobre 2014

Un secret du docteur Freud d’Eliette Abécassis

« - Chers collègues, chers disciples, chers amis, je vous remercie d’être venus aussi nombreux pour entendre ce que j’ai à vous dire. Il est temps pour vous de commencer une histoire, différente de la vôtre, qui vous entraînera vers une nouvelle destinée. Vous allez quitter ce que vous avez de plus cher, ce que vous avez construit, votre vie, nos études, votre culture, votre langue, votre identité, vos amis, vos proches, vos habitudes : votre pays. Le cœur lourd, je vous le dis, aujourd’hui : mes chers amis, il est temps pour vous de partir. C’est un voyage sans retour qui s’impose, dont vous ne sortirez pas indemnes mais qui vous sauvera peut-être la vie. Car vous n’avez pas le choix : l’histoire a déjà commencé. » 

Ce sont par ces paroles que Sigmund Freud s’adresse, ce dimanche 13 mars 1938, à la soixantaine de membres et de disciples de la société psychanalytique de Vienne, tous réunis autour du maître. Nous sommes au lendemain de l’Anschluss, l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. Freud sait qu’il faut fuir l’Autriche : il est devenu une cible pour les nazis, autant que la psychanalyse, considérée comme une science juive dépravée diffusant l’idéologie sémite dans la culture germanique. Il est temps pour cette nouvelle discipline de quitter son lieu d’origine pour mieux se propager à travers le monde. Pourtant Freud ne part pas. Pourquoi veut-il auparavant récupérer les lettres qu’il avait écrites à son ami Wilhelm Fliess, au temps de leur bonne entente et avant leur rupture définitive ? Marie Bonaparte parviendra-t-elle à le convaincre de partir ? Et quel rôle jouera le nazi Anton Sauerwald, quand on sait qu’il détient des documents retraçant tous les virements du docteur Freud vers l’étranger, pouvant amener ce dernier à une condamnation à mort?

Eliette Abécassis, accompagnée dans l’écriture par sa mère Janine Abécassis (professeur et psychanalyste, à qui est dédié ce roman), revient sur cette période confuse de la vie de Sigmund Freud, soupçonné encore aujourd’hui d’avoir eu des sympathies pour le nazisme, d’être misogyne ou encore d’avoir lâchement abandonné ses sœurs malades et âgées, qui décèderont dans un camp de la mort.

L’auteur nous fait découvrir un homme entouré continuellement de femmes, malade et fortement affaibli suite à ses opérations successives à la mâchoire, dotée d’une prothèse en métal qu’il surnommera « le monstre » et qui lui laissera des séquelles douloureuses. Une phobie ferroviaire depuis sa plus tendre enfance compliquera également les préparatifs de ce déracinement dont il ne veut pas et qu’il redoute particulièrement. Mais ce sont ses amitiés masculines qui nous surprennent, par leur intensité et leur complexité. Ce roman aborde également les théories sexuelles de l’époque et les opérations chirurgicales absolument aberrantes et mutilantes des organes génitaux féminins. Et on bénit le docteur Freud d’avoir donné un espace de paroles aux femmes à la place des bistouris et des électrochocs, tout en remettant en cause les origines anatomiques de l’absence d’orgasme ou de l’hystérie féminines. Sans oublier Marie Bonaparte, qui employait tout son temps libre à traduire ses œuvres et qui avait eu le génie de traduire l’instance appelée l’inconscient, que Freud avait renommé « das Es », et qu’elle avait traduit sous le nom de « ça ».

Vous l’aurez compris, la recherche de ce fameux secret dans les lettres écrites à Wilhelm Fliess n’est finalement qu’un prétexte pour revenir sur une époque charnière et un épisode trouble de la vie de Sigmund Freud. Un très bon livre bien documenté sur un personnage finalement terriblement romanesque.

Marie Bonaparte et Sigmund Freud



Un secret du docteur Freud d’Eliette Abécassis, Éditions Flammarion, août 2014, 192 pages.


 Note


2 commentaires:

  1. C'est un Monsieur qui a beaucoup bousculé le bon sens des gens simples avec des analyses fouillées, argumentées pour instaurer une culture moins folcklorique que celle des médiums et autres voyants, il a aussi aidé à sortir la psychiatrie de son cachot.t'as très bien fait de signaler cette sortie de livre.

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    1. Il est de bon ton de critiquer vertement Freud ces dernières années, quitte à le parer de tous les pires défauts du monde. Comme Michel Onfray dans son livre Le crépuscule d'une idole, que j'avais lu à sa parution et qui du coup m'a fait douter de la pertinence de ses écrits, tant il manquait de rigueur et de nuance dans ses propos, prêtant sa plume aux pires calomnies et allant jusqu'à accuser Freud d'entretenir une relation incestueuse avec sa fille Anna ou de le soupçonner de sympathie pour le nazisme ! Il n'empêche, même si je peux comprendre la nécessité de désacraliser les grands personnages (mais pas à n'importe quel prix), tant ils ne sont que des êtres humains avec leurs faiblesses et leur qualités, Freud a marqué son époque d'une empreinte indélébile. Alors respect.

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