Extraits
[p.31]
Ma chère, dit-elle, pourquoi me serais-je mariée ? Je disposais d'une rente de cinq cents livres par an. Ah oui, je sais que ce n'est pas l'explication que vous désiriez entendre. J'en suis désolée mais, voyez-vous, je n'ai pas vécu un amour impossible. La seule excuse qu'on reconnaisse à une vieille fille est d'avoir sacrifié trente années de sa vie à un amant enfoui sous les perce-neige ou marié à une autre.
[p.113]
Mrs Branderton était une dame qui cultivait la mode dans les profondeurs de sa campagne ; une petite créature gloussante, aux cheveux grisonnants, qui parlait pour ne rien dire d'une voix haut perchée et cassée et qui se commandait des chapeaux de jeune fille à Paris. Elle était une dame, ce qui est on ne peut plus respectable ; elle en était fière (à la manière d'une dame), et avait pour habitude de dire que l'aristocratie était l'aristocratie, ce qui, si on y réfléchit bien, est une vérité profonde.
[...]
« Le fait est que l’aristocratie est l’aristocratie et que nous devons nous serrer les coudes en ces temps de charcutiers et de commerçants. »
[p.113]
- Les femmes sont semblables à des poules, confia-t-il à un ami. Donnez-leur un bon enclos, bien grillagé à l'aide d'un treillis solide de sorte qu'il ne puisse rien leur arriver et quand elles gloussent et caquettent n'y prêtez pas attention et attendez que l'orage passe.
[p.162]
- Moi ? répondit-elle. Je mets un point d'honneur à me ranger à l'avis de la majorité ; c'est la seule manière de s'assurer une réputation de sagesse.
[p.175]
Elle haussa les épaules et murmura la maxime de La Rochefoucauld :
« Entre deux amants il y a toujours un qui aime et un qui se laisse aimer. »
Elle la compléta d'une autre pensée qui paraissait résumer à merveille la situation ; n'en connaissant pas l'auteur, elle n'hésita pas à se l'attribuer.
« Celui qui aime a toujours tort. »
Mon avis
Contrairement
à ce qui est mentionné au tout début du roman, ce livre aurait pu
s'intituler le naufrage de l'amour en lieu et place du
triomphe de l'amour, tant Somerset Maugham s'ingénie à démontrer à quel
point tout amour est un gigantesque malentendu qui ne peut que déboucher
sur une impasse. Mais il le fait avec tellement de causticité et
d'humour que je le lui pardonne bien volontiers, même si l'amertume et
la mélancolie se font bien sentir derrière les apparences. Si j'avais
essentiellement lu jusqu'ici les nombreuses nouvelles écrites par
celui qui est considéré aujourd'hui comme un des maîtres en la matière,
ce roman ne perd rien de son mordant habituel et se lit tout
aussi facilement et agréablement que ses nouvelles. Cruel et
délicieusement désenchanté.
Quatrième de couverture
La future Mrs. Craddock, Bertha Ley, jouit d'un vaste domaine, d'une belle rente et d'un nom illustre.
Elle vit seule avec une tante dont l'esprit n'a rien à envier à Madame du Deffand. Bertha Ley se nourrit de Montaigne, de Marc Aurèle et de Madame de Sévigné; elle s'est mis en tête d'épouser un de ses métayers, Mr. Craddock, parce qu'il a des mains fortes et viriles, parce que ses botte font naître en elle un frisson de plaisir, par leur seule taille, qui suggère une fermeté de caractère et une autorité des plus rassurantes.
Sommerset Maugham se révèle d'une rosserie réjouissante. Peu à peu il distille un acide cynique qui ronge les pages d'abord imprégnées de niaiserie sentimentale. Les belles bottes de Mr. Craddock broient
une à une toutes les illusions de son épouse. Et Sommerset Maugham de laisser entendre que souvent, dans un roman d'amour, le livre de la vie pour l'un est écrit en italiques, pour l'autre, il est composé en grosses lettres capitales.
Mrs Craddock de Somerset Maugham, traduit de l'anglais par Paul Couturiau, Éditions Le livre de poche, mars 2011, 445 pages.
A découvrir sur ce blog :
* Les empreintes dans la jungle et 25 autres nouvelles de W. Somerset Maugham
* Le peintre Paul César Helleu (couverture du roman)
* Le peintre Paul César Helleu (couverture du roman)
Savoureux extraits ! un style subtil qui donne envie de redécouvrir cet auteur !
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup Somerset Maugham, pour avoir lu plus d'un millier de pages de ses nouvelles. Mais je commence juste avec ses romans, et celui-ci est un de ses premiers. Deux autres m'attendent déjà : Le fil du rasoir et L'envoûté. C'est toujours un régal de lire cet auteur, une valeur sûre en ce qui me concerne en tout cas. Et quelle plume savoureuse, comme tu le soulignes bien. D'ailleurs, je n'ai pas l'habitude de citer autant d'extraits mais je n'ai pas pu faire autrement avec ce roman ;-)
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