samedi 31 mars 2018

Une vieille maîtresse de Jules Barbey d'Aurevilly

« Ne savait-il pas que le mal qui vient de la personne aimée est une raison pour l’aimer davantage, et que les grandes passions savent vivre de ce qui tuerait de médiocres sentiments ? »

Personne n’a été l’objet de plus de commérages que M. de Marigny : aventurier, joueur, simple gentilhomme sans titre, libertin aux nombreuses conquêtes féminines mais revenant toujours, au bout du compte, chez sa vieille maîtresse. Il s’agit de l’espagnole Vellini, la maîtresse-sérail qui règne sur sa destinée depuis maintenant dix années, une courtisane ni jeune, ni belle mais dont la laideur possède des incroyables prestiges, une femme libre ne connaissant pas les convenances de son époque, ténébreuse et ardente à la fois. Une femme de tous les contrastes qui a maintenu vaille que vaille un ascendant sur M. de Marigny, qu’elle n’a jamais perdu. Sorcellerie, pacte de sang, diablerie, fatalité ? Il y a quelque chose en tout cas qui n’a rien à voir avec l’amour ou les tendres sentiments quand on en vient à aimer son bourreau dont on devient l’esclave. 

Il n’en reste que M. de Marigny veut rompre avec ce passé révolu de vanité étrange et d’ardeur désordonnées. Il veut fuir cette brulante domination du passé qu’elle ramène à chaque fois, une passion toujours prête et souveraine, à son plus grand désespoir. Il pense pouvoir rompre l’ascendance de Vellini la Malagaise en se mariant à la blanche Hermangarde de Polastron, une jeune fille à la beauté sans égale et l’une des plus riches héritières de France. Une femme douce et aimante qui a fait renaître dans son cœur de trente ans, prématurément vieux et usé, la faculté d’aimer de ses vingt ans. Mais peut-on se défaire aussi facilement de ces nœuds incessamment refaits ? 

Il y a finalement bien plus d’orgueil, de fierté, de passion, de domination/soumission dans ce roman, que d’amour ou de tendresse des sentiments. L’amour légitime, respectueux, calme et serein d’un foyer est bien démuni face à la puissance indomptable d’une telle passion, qui triomphe dans le ravissement des sens, et qui témoigne de l’étrange et insondable puissance de l’emprise dans une relation. 

Jules Barbey d'Aurevilly s’intéresse moins à l’amour qu’à la possession diabolique qu’entraîne une liaison passionnée, cette attraction fatale qui le fascine tant et si bien qu’il y reviendra à multiples reprises par la suite, comme dans son roman « L'ensorcelée » et le recueil de nouvelles « Les Diaboliques », pour ne citer que ceux-là. On retrouve donc toute son emphase habituelle, portée par une écriture affectée, précieuse et tourmentée, très plaisante par moment mais lassante à d’autres, particulièrement dans la dernière partie, qui a pour cadre le Cotentin. L’auteur avait confié qu’il avait eu beaucoup de mal à terminer ce roman et cela se sent, tant les éléments finissent par se répéter, donnant lieu à une certaine redondance que je n’ai pas pu m’empêcher de trouver ampoulée. Petite lassitude donc en fin de lecture, mais je me souviens également de m’être délectée pendant les trois-quarts du roman. Il faut dire que l’auteur excelle dans ces petites phrases pleines d’humour et de causticité, particulièrement lorsqu'il évoque, non sans bienveillance d’ailleurs, l’amitié des vieilles gens et les affres de la vieillesse. Et c’est encore ces passages-là que je préfère. 

« Si, dans toute âme, l’amitié est, sans comparaison, le plus beau des sentiments de ce monde, elle devient sublime dans une femme placée aux confins de la vie, qui semble avoir tout épuisé et être devenue inséductible. Le jeune qui l’inspire doit être plus fier que de toutes les turbulentes passions qu’il a semées dans des cœurs par l’âge plus rapprochés du sien. Harmangarde aussi, comme Mme d’Artelles, savait bien que sa grand-mère aimait Marigny pour lui-même, et la tendre et généreuse fille en était heureuse pour son fiancé. » 

Bilan plus que positif dans son ensemble, même si je ne conseillerai pas particulièrement ce roman à celles et ceux qui ne connaissent pas encore Jules Barbey d'Aurevilly. 


J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Ingannmic : son avis est ICI 



A lire également, sur ce blog :

* L'Ensorcelée de Jules Barbey d’Aurevilly


4 commentaires:

  1. C'est vrai qu'il y a des redondances, des insistances qui auraient pu être évitées, mais dans l'ensemble j'y ai pris beaucoup de plaisir tout de même. Et j'ai eu le sentiment que l'auteur lui-même était parfois sous l'emprise de son personnage...
    Merci pour cette LC, sans laquelle je ne suis pas certaine que j'aurais lu un jour ce titre...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'y ai pris aussi beaucoup de plaisir dans l'ensemble, sauf à la fin, trop redondante (je manque de patience dans ces cas-là, je le reconnais bien volontiers). Je suis contente également de cette lecture commune, car sans cela, il serait encore resté longtemps dans ma PAL. Je pense qu'il restera longtemps dans ma mémoire également. Et je suis donc plus que partante pour une prochaine LC avec Le chevalier Des Touches :)

      Supprimer
  2. Je te proposais le 5 juillet, sur mon blog, pour la LC du Chevalier Des Touches, cela te convient ou tu préfères plus tard ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, je l'avais lu mais je n'avais pas eu l'opportunité de ton répondre. C'est parfait pour moi !

      Supprimer