samedi 25 août 2018

Silence de Shûsaku Endô

Vivre sa foi catholique au Japon n’était pas toujours bien perçu dans les années 30. L’œuvre de Shūsaku Endō, qui fut baptisé à onze ans avec sa mère, qui se convertit au catholicisme à son retour à Kōbe en 1934, se nourrira beaucoup de cet accommodement bien compliqué entre le christianisme et les traditions religieuses japonaises, bien éloignées de l’idée du monothéisme. 

Son roman « Silence », considéré comme le chef-d’œuvre de Shūsaku Endō, s’inscrit dans un contexte historique très particulier, celui des persécutions des missionnaires jésuites et des convertis catholiques japonais au 17e siècle. 

« Allez par le monde entier, proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné ». 

Christophe Ferreira, missionnaire envoyé par la Compagnie de Jésus portugaise et tenu en grande estime pour avoir évangélisé la population japonaise pendant trente-trois ans, subira à son tour les persécutions. Réputé pour être un théologien très averti doté d’un courage indomptable, l’Église de Rome est d’autant plus surprise d’apprendre qu’il aurait apostasié à Nagasaki, après avoir subi le supplice de « la fosse ». Que Christophe Ferreira ait pu abjurer sa foi en rampant devant les infidèles, voilà qui semble impensable. Raison pour laquelle l’Église de Rome réunira quatre prêtres pour leur confier une mission des plus périlleuses : se rendre au Japon et se frayer une voie dans les affres de la persécution, afin d’y mener un apostolat clandestin et de racheter l’apostasie de Ferreira, qui avait si profondément blessé l’honneur de l’Église. 

Shūsaku Endō questionne le fondement de la foi, à travers le parcours des suppliciés qui n’ont rien à envier aux martyrs des premiers chrétiens. Les tortures infligées aux croyants sont franchement atroces, mais l’auteur ne s’y complait jamais, en restant en plus près des questionnements de l’un d’entre eux, le jeune missionnaire Sébastien Rodrigues. Supplice, épreuve, souffrance, endurance, courage et sacrifice, toute la panoplie du parfait chrétien s’y retrouve, engagé dans le combat à la vie à la mort pour entretenir sa foi. Même la figure de Judas ne fait pas défaut, en apparaissant à multiples reprises sous les traits d’un converti japonais qui n’hésite pas à fouler aux pieds l’image du Christ ni à dénoncer Sébastien Rodrigues, pour sauver sa peau. 

Ne jamais abandonner sa sainte foi, oui, mais à quel prix ? Face au silence de Dieu, face à la culpabilité, à la souffrance des autres, à la solitude, au doute. Face à la mort des croyants japonais martyrisés, qui ne peuvent être sauvés que par une seule parole, celle du reniement de Sébastien Rodrigues face à ses persécuteurs. La vie n’est-elle pas aussi sacrée que la foi ? Que l’Église ? La vie réclame aussi son dû et le sacrifice qu’elle exige n’est peut-être pas celui auquel pensait Sébastien Rodrigues lorsqu’il débuta sa mission… 

« Il n’y a ni forts ni faibles. Qui oserait affirmer que les faibles ne souffrent pas plus que les forts ? » 

Silence de Shûsaku Endô a été adapté plusieurs fois au cinéma : par Masahiro Shinoda (1971) et par Martin Scorsese, très récemment. Le réalisateur américain se révèle très fidèle au roman, même si je le trouve plus complaisant que l’auteur dans la démonstration des différentes méthodes de torture. Martin Scorsese serait-il plus fasciné/captivé que Shūsaku Endō par la violence des hommes ? 

Quelques éléments de la fin diffèrent également, parfois au bénéfice de Martin Scorsese (plus explicite dans le dénouement), d’autres fois au bénéfice de Shūsaku Endō, qui nous présente par exemple un très bel acte de générosité vers la fin de son roman. La foi trouve toute sa justification dans les accommodements imposés par les épreuves, dans le partage et le pardon, plutôt que dans "l'héroïsme" d'un martyr, semble nous murmurer Shūsaku Endō.


J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Marilyne : son avis est ICI 



12 commentaires:

  1. Konichiwa Sentinelle-San ! Merci de rappeler ce livre à mon bon souvenir: je crois que tu viens de déterminer ce que sera ma prochaine lecture. J'avais beaucoup aimé le film de Martin Scorsese, de fait assez violent, mais qui pose de nombreuses questions importantes... tout en étant d'une grande beauté plastique (et auditive, si j'ose dire).

    Bon week-end !

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    1. Hello Martin !

      Tout d'abord, je te souhaite un bon retour. J'espère que la reprise ne fut pas trop difficile.

      Sentinelle-San... mais ça me va très bien, dis donc :-)

      Si tu avais beaucoup aimé le film, tu devrais t'y retrouver très facilement. Reviens-par ici nous en parler, si tu veux bien ;-)

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    2. Coucou. Me revoilà ! J'ai bien aimé le bouquin également, mais je pense que, si je n'avais pas vu le film avant, il ne m'aurait pas forcément intéressé. Disons que c'était plus simple d'avoir quelques images en tête au moment de découvrir la source écrite.

      La toute fin, très "administrative", m'a surpris et un peu dérouté. Je l'ai en outre trouvé un peu expéditive (mais c'est peut-être parce qu'en comparaison, le film était plus long que la moyenne). Bref, pas de déception littéraire de mon point de vue, mais pas forcément l'envie de me ruer sur un autre livre d'indo pour autant.

      Sinon, c'est moi ou le personnage principal est bien plus souvent appelé par sa fonction ("Le prêtre") que par son nom ? J'ai trouvé que ça mettait une distance qui n'a pas forcément lieu d'être, à l'égard d'un livre qui démarre quand même par une lettre.

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    3. Coucou Martin !

      La lecture du roman n'apporte finalement pas grand chose si on a vu le film précédemment. Par ailleurs, j'ai retrouvé ce ton distancié dans les deux, peut-être un peu plus dans le roman, il est vrai. Disons que l'image n'est pas là pour compenser. Sinon, je n'avais pas remarqué l'usage plus fréquent de la fonction par rapport au nom, cela ne m'a donc pas gênée plus que cela. Merci beaucoup pour ton retour sur le roman ;-)

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  2. Je ne l'ai pas lu, et n'ai vu que l'adaptation de Scorsese, à laquelle je n'ai vraiment pas accroché : je me suis mortellement ennuyée !

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    1. J'avoue que je n'ai pas trouvé non plus le film très palpitant, et le roman guère plus. Genre introspectif plutôt qu'aventure...

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  3. Comme toi, j'ai pensé aux premiers chrétiens et j'ai été interpellée par la deuxième phrase que tu cites. Je me souviens de la violence de la BO du film, je craignais un peu cette complaisance. Et je suis tout à fait d'accord avec ce que semble nous murmurer l'auteur, j'au lu La fin de ce roman comme ça aussi.
    C'est vraiment un plaisir ces LC en ta compagnie, je nous trouve bien complémentaire :)

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    1. Bien d'accord avec toi, et je suis partante pour en faire d'autres en ta compagnie !

      Dans ton billet, tu notes que l'auteur, en se faisant baptiser, a reçu comme nom de baptême Paul. C'est intéressant car Sébastien Rodrigues se fera appeler Paul l'apostat, et ce n'est sans doute pas un hasard. Toutes les questions de Rodrigues sont, sans doute aussi, un peu celles de l'auteur

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  4. Pas lu.
    Vu le film, et voilà qui ne va pas m'inciter à ouvrir le livre.
    Je vais peut-être revoir 'Mission' de Joffé plutôt.
    ++

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    1. Ouf, je ne l'ai plus vu depuis vingt ans, au moins ! Très différent de Silence, pour ce que je m'en souviens.

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  5. Vu le film qui m'avait paru bien long. Comme Inganmic. Je confesse même un léger assoupissement. Alors...non.

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    1. Il m'a paru tout aussi long que toi, mais j'étais curieuse de revenir aux sources du film.

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