Roman
construit essentiellement comme un thriller ‘classique’, l’histoire consiste à
poursuivre deux dangereux tueurs en série, à savoir le Spectateur et
l’Empoisonneur, dans la ville de Madrid légèrement futuriste. Mais c’est la
méthode utilisée qui donne toute la saveur et l’originalité de ce roman : on ne
poursuit plus la piste des meurtriers mais on les attire à l’aide d’appâts
humains initiés aux techniques des Masques, techniques basées sur le décryptage
des œuvres de Shakespeare et qui consistent à jouer des scènes en prenant
certaines postures afin d’attirer pour ensuite neutraliser le meurtrier. Le
grand écrivain et dramaturge de l’époque élisabéthaine aurait en effet fourni
toutes les clés nécessaires pour décoder le genre humain et l’analyse de ses
œuvres aurait permis de dégager une cinquantaine de philias, à savoir des
catégories de profils psychologiques particuliers réagissant à certains stimuli
spécifiques pouvant être reproduits à la ville comme sur une scène de théâtre.
On ne dégaine plus son arme pour neutraliser un psychopathe mais on le paralyse
momentanément en lui faisant subir une overdose de plaisir en le matraquant de
stimuli adéquats, stimuli engendrant sur sa psyché des effets tout aussi
immédiats qu’incontrôlables pour celui qui en subit les conséquences.
Mais
il semblerait que le Spectateur échappe à toute catégorisation : il fait bien
partie de la philia de l’holocauste mais pas seulement, ce qui complique la
donne et rend ‘la pêche’ plus difficile. Diane Blanco, meilleur appât en
activité à ce jour et ultime arme secrète d’une méthode ultraconfidentielle du
gouvernement, part sur les traces du meurtrier d’autant plus volontiers que sa
jeune sœur, appât débutant, vient de se faire enlever.
Faux-semblant,
manipulations psychologiques, règne de l’apparence et des masques, mensonges,
impostures, magouilles et dérives en tous genre, l’auteur s’amuse et nous avec,
enfin surtout pendant les ¾ du récit. Car le dernier quart va un peu trop dans
tous les sens : de rebondissement en rebondissement, on finit malheureusement
par passer du grand théâtre Shakespearien au Grand-Guignol tant il abuse des
retournements.
L’appât de José Carlos Somoza est un roman qui arrive à insuffler un certain malaise si pas
une certaine fascination par son inventivité et le côté subversif et provocateur de la méthode
utilisée. Un régal dans son genre, haletant et très
prenant. Je retire une étoile pour le final excessif.