lundi 30 novembre 2009

L'enfer des rêves de Theodore Roszak

Quatrième de couverture

Deirdre Vale, seule rescapée avec sa fille Laney, 12 ans, d'un drame épouvantable, travaille à la clinique psychiatrique du docteur Devane, spécialiste des enfants autistes. La jeune femme possède un véritable don : celui d'entrer dans les rêves de ses semblables, de manipuler ainsi leurs désirs les plus inconscients, leurs peurs les plus secrètes. Le jour où une religieuse expulsée du Guatemala à cause de son activisme politique et social arrive à la clinique, Deirdre est loin de se douter de l'implacable mécanique qui va l'emporter.

On retrouve dans ce récit aux nombreux rebondissements, où l'on va de surprise en surprise, tous les thèmes chers à Theodore Roszak, que ce soit l'exploration de l'inconscient, le complot ou la corruption du pouvoir. Une fois encore, l'auteur traite de la liberté de l'homme et de la lutte sans fin entre le bien et le mal.

« L’enfer des rêves » est le petit dernier de Theodore Roszak, roman dans lequel l’auteur revient sur les traces du psychanalyste Sigmund Freud pour qui les rêves étaient la voie royale de l’inconscient.

Aussi lorsque le docteur Devane découvre le don de Deirdre Vale, qui a le pouvoir d’entrer dans les rêves des personnes qui lui sont proches, il lui demande très rapidement de participer à ce qu’il prétend être une des recherches les plus importantes de l’histoire de la psychiatrie, à savoir l’établissement d’une sorte de carte des hauts-fonds de l’inconscient par l’observation empirique directe des rêves.

Ce que le docteur Devane omet de lui dire, c’est que non seulement il a déjà découvert d’autres personnes possédant ce don – de jeunes patients autistes - mais que ‘les recherches’ dont il parle sont avant tout financées par les renseignements militaires en vue d’accomplir une nouvelle forme d’espionnage ‘psychique’.

Non contents d’arriver à explorer le monde secret des rêves d’autrui, le Bureau Central a appris à ces autistes comment prendre la direction des rêves afin de mener le rêveur dans ses bas-fonds les plus sordides : en leur faisant affronter leurs peurs et phobies les plus inavouables, ces trafiquants de rêves arrivent à affaiblir le rêveur au point de le rendre aussi manipulable que malléable.

Lorsque la Mère Constancia, une religieuse activiste au statut de Sainte, se retrouve aux USA après avoir été expulsée du Guatemala, cela ne plait guère au Bureau Central, d’autant plus que des bruits courent qu’elle risque de recevoir prochainement le Prix Nobel de la Paix. Pour éviter toutes publicités à mère Constancia, on décide très vite en haut lieu de recourir aux guetteurs pour faire de ses nuits et… de ses jours un enfer sur terre.

« L’enfer des rêves » est un très bon thriller. On retrouve les thèmes chers à Theodore Roszak, à savoir les manipulations, croyances, complots, malversations du pouvoir sans omettre la force de l’inconscient mais je trouve qu’il brasse beaucoup moins de thèmes que d’habitude, rendant ce roman plus facile d’accès et lui conférant du coup une plus grande efficacité dans le genre. Les amateurs de Theodore Roszak peuvent y aller les yeux fermés, les autres… je dirai que ce roman est peut-être le plus abordable jusqu’à présent ?


vendredi 27 novembre 2009

La légende de nos pères de Sorj Chalandon

« J'ai laissé partir mon père sans écouter ce qu'il avait à me dire, le combattant qu'il avait été, le Résistant, le héros. J'ai tardé à le questionner, à moissonner sa mémoire. Il est mort en inconnu dans son coin de silence. Pour retrouver sa trace, j'ai rencontré Beauzaboc, un vieux soldat de l'ombre, lui aussi. J'ai accepté d'écrire son histoire, sans imaginer qu'elle allait nous précipiter lui et moi en enfer... »

Marcel Frémaux, ancien instituteur et journaliste pendant six ans en tant que correspondant local pour La Voix du Nord, est aujourd’hui devenu biographe familial. A force d’écouter et de regarder la vie des autres, l’idée lui est venue de devenir biographe des ‘petits riens’ des gens, leur offrant des mots là où on lui prête une vie. Ni psychologue ni confesseur, juste un homme qui propose ses services pour mettre en mots les souvenirs des gens, les rédiger et ensuite les imprimer afin d’en faire des livres à compte d’auteur destinés exclusivement aux amis et membres de la famille du client.

Un travail tranquille jusqu’au jour où se présente à son bureau Lupuline Beuzaboc. Cette jeune femme lui demande de rencontrer son père, un homme âgé aujourd’hui de 85 ans et ancien Résistant qui lui contait - petite fille avant de s'endormir - ses exploits de résistant, afin qu'il écrive sa biographie pour offrir à son père en cadeau le récit de sa vie.

Une demande qui suscitera une implication inhabituelle dans son travail de biographe : le propre père de Marcel Frémaux, ancien Résistant lui-même, avait toujours refuser de se confier à son fils. Tant et si bien que cet homme simple, terne, cet homme aux gestes murmurés et au corps frêle avait fini par faire douter son fils de sa vaillance. Ce rendez-vous manqué avec son père, Marcel Frémaux compte peut-être le rattraper en devenant le biographe du père de Lupuline, un homme fort et attachant, un peu comme si partir sur les traces de ce père lui permettait de partir sur les traces du sien…

Mais très vite Marcel Frémaux se met à douter de la véracité des dires de Beuzaboc, et contrairement à son habitude, va commencer à enquêter pour vérifier les faits tels qu’énoncés par ce soi-disant Résistant…

Sorj Chalandon revient sur des thèmes qui lui sont chers : les liens familiaux, les êtres qui se croisent mais qui ne cessent de se manquer, le mensonge, le doute, le poids des choix que nous posons sur nos vies, l’engagement, la trahison, l’usurpation et la culpabilité sans oublier le pardon et le besoin de rédemption. La légende de nos pères, c’est aussi avant tout l’importance de la transmission de notre histoire, ce que nous sommes mais aussi ce que nous ne sommes pas, un ensemble parfois confus reprenant des éléments vécus personnellement ou pas mais qui témoignent tous de ce qui fut et d’où l’on vient. Un récit très dépouillé, aux phrases courtes et élaguées, taillées pour aller dans le vif des sentiments et des actes posés.

dimanche 22 novembre 2009

Sang impur de Hugo Hamilton

Quatrième de couverture

Roman autobiographique ou autobiographie en forme de roman, Sang impur évoque l'enfance de l'auteur dans le Dublin pauvre des années 50 et 60, entre une mère allemande que les braves gens du coin traitent de nazie - alors qu'elle est issue d'une famille où l'on détestait Hitler - et un père délirant engagé dans le combat nationaliste irlandais pur et dur, qui exige qu'aucun mot d'anglais ne soit prononcé sous son toit.

Pour les gamins de cette drôle de famille, la violence est partout : à l'école où on les traite en parias, dans la rue où les graffitis en forme de croix gammée fleurissent sur leur passage, et jusqu'à la maison par la main du père frappeur, pitoyable et risible tout ensemble, qui impose ses lubies à coups de taloches, mais échoue lamentablement dans toutes les entreprises de la vie.

« Quand on est petit, on ne sait rien. On ne sait pas où on est, qui on est, ni quelles questions poser. »

Lorsque Joseph O’Connor nous dit dans la préface que Hugo Hamilton est « le plus grand auteur irlandais dont vous n’avez pas encore entendu parler », je ne pouvais qu’être curieuse de voir ce qu’il en était d’un peu plus près. Et je n’ai pas été déçue : Hugo Hamilton revient sur son enfance avec des mots et un regard d’enfant qui nous touchent, exposé aux violences physiques et verbales des petits garçons de son âge qui le traitent de nazi sur le chemin de l’école, condamné à parler irlandais par un père ultranationaliste qui ne tolère pas la langue anglaise dans sa maison et bercé par la douceur de sa mère allemande, exilée de son pays après la guerre et qui ne cessera jamais de panser ses blessures infligées par la nazification progressive de l’Allemagne et son entrée en guerre.

Sang impur retrace le fascisme au quotidien d’un petit garçon irlandais à jamais bigarré, tacheté, chiné, moucheté et coloré, autrement dit un barm brack, un pain irlandais maison truffé de raisins allemands …

Un roman autobiographique sensible et mélancolique, douloureux et tendre à la fois.

Prix Femina étranger 2004


jeudi 19 novembre 2009

La Réserve de Russell Banks

Quatrième de couverture

Quand en juillet 1936 le peintre Jordan Groves rencontre pour la première fois Vanessa Cole, lors d'une soirée donnée par le célèbre neurochirurgien new-yorkais dont elle est la fille adoptive, dans son luxueux chalet construit dans "la Réserve", en bordure d'un lac des Adirondacks, il ignore qu'il vient de franchir, sans espoir de retour, la ligne qui sépare les séductions de la comédie sociale et les ténèbres d'une histoire familiale pleine de bruit et de fureur. Très loin de là, en Europe, l'Histoire est en train de prendre un tour qui va bientôt mettre en péril l'équilibre du monde. Déjà, certains intellectuels et des écrivains, tels Ernest Hemingway ou John Dos Passos, un ami de Jordan Groves, ont rejoint l'Espagne de la guerre civile afin de combattre aux côtés des républicains. Si attaché qu'il soit à sa femme et à ses deux jeunes garçons, ou aux impératifs d'une carrière artistique déjà brillamment entamée, Jordan ne peut longtemps se soustraire à l'irrésistible attraction qu'exerce sur lui la sulfureuse Vanessa Cole, personnalité troublante et troublée, prétendument victime, dans son enfance, d'agissements pervers de la part de ses insoupçonnables parents. Au sein du cadre majestueux et sauvage d'une nature préservée pour le seul bénéfice de quelques notables de la société new-yorkaise, les feux d'artifice célébrant la fête de l'Indépendance ont éclaté dans le même ciel que traverse, de l'Allemagne à l'Amérique, le zeppelin Hindenburg bardé de croix gammées et d'où s'abattront aussi les bombes qui vont détruire Guernica... Sur les rives du lac, Jordan Groves et Vanessa Cole s'approchent l'un de l'autre, l'avenir du premier déjà confisqué par le passé de la seconde, pour explorer leurs nuits personnelles dont l'ombre s'étend sur chacun de ceux qui les côtoient.


Le choix géographique de ce récit que sont les Adirondacks joue un rôle central dans ce roman : non seulement Russell Banks connaît très bien cette région (il y vit depuis plus de vingt ans) mais il arrive à transformer cet immense espace naturel américain à la nature préservée et retirée du monde en un huit clos étouffant dans lequel se jouera le drame. Autant vous le dire tout de suite, les Adirondacks constituent la bonne surprise de ce roman car malheureusement l’auteur tombe dans pas mal de chausse-trappes pour le reste …

L’histoire quant à elle se déroule fin des années 1930, époque de la montée du fascisme en Europe et du début de la guerre républicaine en Espagne, alors que l’Amérique des nantis profitent dans l’insouciance et l’opulence des joies de la vie. Car s’ils ont miraculeusement échappé aux affres de la grande dépression, il n’en sera pas de même pour une grande majorité de la population, obligés dorénavant de vivre à leurs crochets en tant qu’employés ou subalternes. Ce contexte historique permet à l’auteur d’alterner les chapitres, ceux consacrés aux événements qui se dérouleront dans les Adirondacks et ceux se passant en Europe, quelques mois plus tard. J’ai trouvé cette alternance de chapitres assez superficielle et inutile : si les chapitres « américains » sont bien développés, les chapitres « européens » sont tellement pauvres et inconsistants qu’ils n’apportent rien, si ce n’est dévoiler en quelques mots ce qu’adviendront les personnages principaux.

Car contrairement à ce que nous avait habitué Russell Banks auparavant, il s’intéresse cette fois-ci moins au contexte historique et politique qu’à l’évolution de ses personnages. Reste l’analyse des classes sociales d’une société ou d’un microcosme, toujours très présente dans ses oeuvres.

Parmi les personnages principaux, il y a notamment Jordan Groves, un artiste de gauche marié et père de deux enfants, issu d’une famille modeste et aujourd’hui célèbre et fortuné, aventurier à ses heures et homme aux multiples conquêtes féminines. Cet homme est intéressant dans la mesure où il vit sans cesse dans la contradiction : pétri de sympathies politiques socialistes, il enrage de devoir sa notoriété et son confort de vie à ses clients fortunés, rendant leurs relations souvent conflictuelles et des plus ambiguës, ce qui ne l’empêche pas de tomber sous le charme vénéneux de la riche héritière new-yorkaise Vanessa Cole, fille d’un de ses riches clients et femme à scandales qui fait les gros titres des tabloïd américain de par ses frasques et ses divorces multiples. Il y a aussi d’autres personnages, dont la très belle Alicia, femme délaissée de Jordan Groves qui prendra pour amant un guide de la réserve. Notez que Vanessa Cole m’a fait énormément penser à Zelda Fitzgerald, et on peut se demander dans quelle mesure l’auteur ne s’est pas inspiré de « Gatsby le magnifique » de Francis Scott Fitzgerald dans la description des personnages et le gouffre des différences sociales inconciliables, les contraires s’attirant mais ne se rencontrant jamais réellement.

Enfin bref, on sent bien que cette histoire finira mal et conduira au drame, mais Russell Banks crée quand même la surprise en empruntant plusieurs chemins tortueux (et parfois peu crédibles) pour nous y mener. Malheureusement, on ne s’attache pas du tout aux personnages, aux postures souvent trop appuyées et empruntées, nous laissant au final assez indifférents quant à leur devenir.

Cela n’en fait pas pour autant un mauvais roman, disons simplement que « La réserve » est une œuvre mineure d’un des plus grands auteurs contemporains américains, ce qui est tout de même gage d’une certaine qualité. Mais si vous ne devez lire qu’un seul roman de cet auteur, lisez plutôt l’excellentissime « American Darling », un de mes plus grands coups de cœur de ces dernières années.


lundi 2 novembre 2009

Là où les tigres sont chez eux de Jean-Marie Blas de Roblès

Quatrième de couverture

Eléazard von Wogau, héros inquiet de cette incroyable forêt d'histoires, est correspondant de presse au fin fond du Nordeste brésilien. On lui laisse un jour un fascinant manuscrit, biographie inédite d'un célèbre jésuite de l'époque baroque. Commence alors une enquête à travers les savoirs et les fables qui n'est pas sans incidences sur sa vie privée. Comme si l'extraordinaire plongée dans l'univers d'Athanase Kircher se répercutait à travers les aventures croisées d'autres personnages, tels Elaine, archéologue en mission improbable dans la jungle de Mato grosso, Moéma, étudiante à la dérive, ou bien Nelson, jeune gamin infirme des favelas de Pirambu qui hume le plomb fondu de la vengeance.

Nous sommes au Brésil, dans le pays des démesures. Nous somme aussi dans la terra icognita d'un roman monstre. On songe au réalisme magique des Borges et Cortazar, à Italo Calvino ou Umberto Eco, ou encore Potocki et son Manuscrit trouvé à Saragosse, sans jamais épuiser la réjouissante singularité de ce roman palimpseste qui joue à merveille des mises en abyme et des vertiges spéculaires.


J’ai lu ce gros pavé - près de 800 pages - comme un roman feuilletonesque, reprenant chaque jour ma lecture en lisant un chapitre ou deux, contente de retrouver tous ces personnages et de poursuivre mon voyage dans le temps - à la lecture du manuscrit inédit trouvé à la Bibliothèque nationale de Palerme, datant du XVIIe siècle et portant sur le très célèbre (à son époque du moins) Athanase Kircher, mais également dans l’espace - le Nordeste brésilien contemporain occupant la place centrale de ce récit dantesque (surtout dans sa dernière partie) et picaresque à la fois.

Ce roman est très difficile à résumer de par sa richesse, sa complexité, son foisonnement et son érudition : roman d’aventure mais aussi psychologique, philosophique, historique, politique, il y en a pour tous les goûts ! Sachez néanmoins que nous suivons la destinée de plusieurs personnages plus ou moins entremêlés et que l’auteur ne se prive pas de faire quelques parallèles entre l’époque baroque et la société contemporaine, que ce soit au niveau des croyances, des rites, des prises de drogues hallucinogènes, de la quête des origines et de la vérité, de la recherche d’un savoir et d’un idéal souvent trompeur et finalement assez décevant. Sachez également que ce roman sombre petit à petit dans une certaine noirceur et un pessimisme certain, pouvant désarçonner et troubler quelque peu le lecteur…

Un regret tout de même : j’aurai aimé mieux connaître les personnages, qui manquaient parfois un peu d’épaisseur et d’espace pour se mouvoir et se développer comme ils l’auraient mérité. Cela peut sembler paradoxal vu le nombre conséquent de pages du roman mais il aurait peut-être fallu soit restreindre le nombre de personnages soit leur laisser plus d’espace pour leur permettre de se déployer pleinement, ayant eu trop souvent le sentiment de les survoler alors que j’aurai tant voulu m’attarder un peu plus à leurs côtés. Même frustration en ne sachant pas trop ce que deviendront certains personnages à la fin du récit, ayant eu l’impression de les abandonner un peu trop rapidement à mon goût.

A noter que les éditions Zulma nous offrent là un beau livre dans tous les sens du terme, ayant eu beaucoup de plaisir au toucher des pages et de la couverture. Et bien oui, je suis sensible à ce genre de détails qui apportent un plus et qui participent grandement à mon plaisir de lectrice ;-)

Et pour terminer ce billet, une petite citation piochée dans ce roman fleuve, tellement pleine de véracité et de bon sens :

« La certitude d’être dans son bon droit est toujours le signe d’une vocation secrète pour le fascisme ». In Carnets d’Eléazard, chapitre XII, p. 303