Joseph O'Connor revient sur un épisode tragique de
l'Irlande : la grand famine qui a marqué les années 1845-1850.
A cette époque, le peuple irlandais est surtout composé de métayers
payant de lourds fermages aux propriétaires des terres, constitués en
majorité d'anglais. Ces fermiers vivent dans une grande
misère et se nourrissent presque exclusivement de pommes de terre.
Après plusieurs récoltes successives ravagées par le mildiou, les
irlandais n'ont plus aucune ressource pour se nourrir. Un
hiver très froid empêchant tout travail extérieur aggrave encore un
peu plus la situation. Très vite, les maladies apparaissent : typhus,
dysenterie, scorbut, épidémie de choléra. A défaut de
pouvoir payer leurs tributs à leurs riches propriétaires, les
métayers se retrouvent chassés de leurs terres. Que faire sans
nourriture, sans bien, sans travail, sans foyer ? Beaucoup pensent que
la seule solution consiste à émigrer aux Amériques.
L'étoile des mers est le nom de l'un de ces navires vétustes qui
traverseront les 5 000 kilomètres de l'océan Atlantique pour rejoindre
la destination de New York. On appelle ces navires des
bateaux cercueils car un grand nombre de passagers sont dans un tel
état de faiblesse qu'ils ne survivent pas à la traversée. L'étoile des
mers ne fera pas exception à la règle.
A bord, une quinzaine de privilégiés se partagent les cabines de 1er
classe, tandis que les 402 passagers ordinaires essayent de survivre
dans des conditions déplorables à l'entrepont. Parmi eux,
un homme étrange erre chaque nuit sur le navire. Qui est-il ? Quels
sont ses funestes projets ? David Merridith, un aristocrate sans le sou,
ignore encore que ses jours sont désormais
comptés.
Joseph O'Connor nous parle du pays de la famine à travers le passé
et la destinée des passagers du navire, tout en mêlant à cette fiction
de vraies lettres d'immigrés irlandais, des articles de
presse, des chansons du peuple. Plus qu'une traversée de l'océan,
l'auteur nous convie au voyage en plein cœur d'une des plus grandes
tragédies du peuple irlandais : la famine, qui dépasse aussi
largement le cadre de l'Irlande de par sa présence actuelle dans
d'autres parties du monde.
Quelques chiffres résumeront à eux seuls l'ampleur du désastre: sur
les huit millions d'habitants irlandais en 1845, un million et demi
seront morts en 1850 et un autre million d'habitants auront
émigré. Rien qu'aux États-Unis, plus de 40 millions de personnes
sont d'ascendance irlandaise.
Il n'y a pas de mots pour décrire l'étrange aspect des enfants de la famine. Jamais je n'ai vu de regard aussi brillant, aussi bleu, aussi clair, fixer le vide avec une telle constance. Je n'étais pas loin d'imaginer que les anges de Dieu avaient été envoyés pour dessiller les yeux de ces petites créatures patientes qui se mourraient et leur révéler les béatitudes d'un autre monde. Elihu Burritt, Journal d'une visite de trois jours à Skibbereen, 1847.
Mulvey se mit à réfléchir à une évidence qui tourna bientôt à l'idée fixe. Tout le monde admirait les chanteurs ; ils étaient à la fois mémorialistes, chroniqueurs, garants de la tradition, biographes. Dans un pays où presque personne ne savait lire, ils étaient les hérauts du passé, de véritables livres ambulants. (...) Mulvey avait parfois l'impression que, s'ils n'avaient pas été là, personne ne se souviendrait de rien, et quelque chose dont on n'a pas le souvenir n'a pas vraiment eu lieu. Un chanteur faisait partie de la même famille que la guérisseur, le rebouteux, la sage-femme capable de soulager les douleurs à l'aide de potions secrètes, ou le bohémien qui domptait les chevaux rien qu'en leur parlant. Quant aux compositeurs, ils étaient vénérés. (...) Une nouvelle ballade était accueillie avec autant de joie qu'une bonne moisson. Et si la complainte était particulièrement bonne, elle était saluée à l'instar d'une naissance. (...) Insulter un compositeur portait malheur. On les craignait autant que des magiciens ; si vous les mettiez en colère, vous pouviez vous retrouver dans une chanson et l'on se moquerait de vous pour l'éternité même si l'on ne se souvenait plus de la raison.
L'étoile des mers de Joseph O'Connor, Éditions 10 X 18, Collection Domaine étranger, octobre 2007, 569 pages