Les
Récits de la Kolyma sont de courts fragments rassemblés sur plus de 1.500 pages que compte le
recueil de l’auteur Varlam Chalamov. Cet écrivain russe (1907-1982)
passa 22 ans de sa vie au goulag de la presqu’île de la
Kolyma, région se situant aux confins extrêmes du Nord-Est de la
Sibérie.
L’isolement, l’éloignement, le climat et les conditions de vie très
dures de cet enfer gelé ont fait de la Kolyma un endroit totalement à
part du reste de la Sibérie, où les conditions de
réclusion étaient particulièrement éprouvantes et pénibles. Cette
région était donc légitimement devenue la plus redoutée entre toutes : «
Kolyma znatchit smert » (Kolyma veut dire mort), telle
était la sentence pour ceux qui s’y rendaient contraints et forcés.
Outre les conditions climatiques extrêmes qui conduisaient aux
gelures et amputations diverses et les rations alimentaires nettement
insuffisantes, les prisonniers devaient lutter contre
l’épuisement mental et physique, les maladies tels que le scorbut et
la dysenterie, les brimades, les tortures diverses sans oublier la
soumission aux travaux forcés. Le taux de mortalité parmi
les prisonniers atteignait 30% la première année et à peu près 100%
dans la deuxième.
Varlam Chamalov y survécu contre toutes attentes. Après avoir
contesté
la prise du pouvoir de Staline en diffusant de manière clandestine
Les Lettres au Congrès du Parti, appelées par la suite Le Testament de
Lénine, qui remettait en cause la légitimité de Staline à
la tête du Parti Communiste, il se fera arrêter une première fois en
1929, une deuxième fois en 1937, époque de la grande purge qui va le
renvoyer dans les camps. Les opposants au régime étaient
déportés vers la Kolyma afin d’exploiter les riches gisements d’or
de la région, constituant ainsi une main-d’œuvre servile et corvéable à
souhait. Varlam y survivra plus de 20 ans et ne sera
libéré qu'en 1951, tout en y restant assigné à résidence jusqu’en
1953 (date de la mort de Staline). C’est à cette époque qu’il écrivit de
la poésie. Il sera définitivement réhabilité en
1956.
Les récits de la Kolyma
peuvent être vus comme des courts fragments se rapprochant d’instantanés
pris sur le vif dans les camps : situations
bureaucratique absurdes, arbitraires et cruelles, conditions de vie
inhumaines, souffrances diverses, Varlam ne nous épargne rien ! Récits
extrêmement âpres, sombres, durs, sans concession sur la
nature humaine sous le couvert d’une écriture magnifique, car Varlam
est avant tout un écrivain qui témoigne de l’oppression stalinienne.
Nous voulons voir en Varlam une espèce de survivant mais
non, même sa fin de vie sera un calvaire, interné dans un hospice
moscovite contre sa volonté, sourd et muet, rien ne lui aura été
épargné.
Ces récits de la Kolyma, composés de 1950 jusqu’à sa mort en 1982,
demeurent l’unique œuvre de l’auteur. Les éditions Vernier réunit en un
seul volume ces six livres qui feront de Varlam Chalamov
l’un des écrivains majeurs du vingtième siècle. Témoignages
poignants, sans artifices ni embellissements, sans procédés littéraires
pour enrober les faits tels qu’ «ils se sont passés », sans
fioritures mais au service d’une plume âpre qui nous marque au fer
rouge.
Chaque instant de la vie des camps est un instant
empoisonné. Il y a là beaucoup de choses que l’homme ne devrait ni voir
ni connaître ; et s’il les a vues, il vaudrait mieux pour
lui qu’il meure.
Le détenu y apprend à exécrer le travail ; il ne peut d’ailleurs y apprendre rien d’autre.
Il y apprend la flagornerie, le mensonge, les petites et les grandes lâchetés ; il devient égoïste.
Lorsqu’il recouvre la liberté, il s’aperçoit que non
seulement il n’a pas progressé pendant sa détention au camp mais qu’au
contraire ses centres d’intérêts se sont rétrécis, sont
devenus pauvres et primitifs.
Les barrières morales ont été repoussées hors de sa vue.
Il découvre qu’on peut commettre des lâchetés et vivre.
On peut mentir et vivre.
On peut promettre, ne pas tenir ses promesses et vivre.
On peut boire l’argent d’un camarade.
On peut demander la charité et vivre ! Mendier et vivre !
Il découvre qu’un homme qui a commis une vilenie ne meurt pas.
Il s’habitue à la fainéantise, à la tromperie et à
l’agressivité contre tous et tout. Il accuse le monde entier en pleurant
sur son sort.
Il attache beaucoup trop de valeur à ses propres
souffrances en oubliant que chacun à sa part de malheur. Il n’est plus
capable de compatir au malheur d’autrui, il l’ignore tout
simplement, refuse de comprendre.
Le scepticisme, passe encore : à tout prendre, c’est un des meilleurs héritages du camp.
Il apprend à détester les gens.