lundi 22 février 2010

Wisconsin de Mary Relindes Ellis

Quatrième de couverture

La famille Lucas vit dans le nord du Wisconsin, belle terre oubliée peuplée d'ouvriers européens immigrés et d'Indiens ojibwés. En 1967, le père, John Lucas, miné par l'alcool, laisse leur ferme se délabrer et s'acharne violemment contre sa femme et ses deux fils ; l'aîné, James, fuit les coups en écoutant Elvis et s'engage dans les marines. Il est dirigé vers les jungles de guerre vietnamiennes. Bill, le cadet, reste pour protéger sa mère, guidé seulement par l'esprit de son frère. Heureusement, dans la ferme voisine, les Morriseau veillent sur lui et le soutiennent pendant le périlleux passage de l'enfance à l'âge d'homme. Les enfants ont un tel instinct de survie, nous dit Mary Relindes Ellis dans ses descriptions magnifiques des paysages du Midwest américain, qu'ils trouvent dans la nature ce que leur environnement familial leur dénie. Et comme les anciens Ojibwés le savent depuis longtemps, ils y trouvent aussi la sagesse et la clairvoyance. Mary Relindes Ellis signe ici un premier roman étonnant, obsédant, lyrique et rédempteur dans la lignée d'un Sherwood Anderson ou d'un Russell Banks.

Mary Relindes Ellis brasse énormément de thèmes dans ce roman : la parentalité, la filiation, la fraternité, les secrets de famille, la violence conjugale et familiale, l’engagement, l’infertilité du couple, l’attachement à la terre, le brassage des communautés, la misère, la guerre, la mort mais aussi et surtout la transmission et l’importance de l’enfance sur le devenir de l’homme. Si ce roman ne brille pas par l’originalité des thèmes abordés, force est de constater qu’il n’en demeure pas moins intéressant et prenant : les personnages principaux - prenant à tour de rôle la parole - sont attachants et émouvants, l’écriture de l’auteur est fluide et agréable à lire et les thèmes sont évoqués avec délicatesse et sensibilité.

Un beau premier roman qui, malgré sa petite musique triste et mélancolique, ne se termine pas moins sur une note optimiste : il n’est jamais trop tard pour combler les manquements de son enfance, il est toujours possible de soulager un jour ou l’autre ses épaules meurtries en se déchargeant du trop lourd bagage familial. Aucun déterminisme inéluctable mais la possibilité de se libérer de son passé, même si le chemin est aussi escarpé qu'éprouvant. A méditer.


vendredi 19 février 2010

Les emmurés de Serge Brussolo

Quatrième de couverture

A l'origine, la mission de Jeanne était simple : s'installer quelque temps dans un immeuble où furent commis, des années plus tôt, plusieurs crimes inexpliqués, afin d'y écrire un reportage, si possible sensationnel...
Mais aussitôt franchi le seuil de l'étrange maison Malestrazza, la jeune femme va deviner que les maléfices ne sont pas uniquement dus aux fantasmes du voisinage. Est-il vrai que l'assassin habiterait toujours là, caché dans un appartement secret ? Y a-t-il, comme on le prétend, des cadavres emmurés aux différents étages ?   Et que lui veut au juste le fils de la concierge, ce gamin trop imaginatif, qui spontanément s'offre  à lui faire découvrir  les arcanes  de  la bâtisse ?


Après avoir lu mon premier roman de Serge Brussolo dans le cadre du challenge Défi SF, j’avais envie de découvrir l’auteur dans un tout autre registre, celui du thriller mâtiné de fantastique.

Reprenant à sa sauce le thème de la maison hantée, l’auteur met en scène une jeune journaliste à la psychologie particulière dans la mesure où elle ne peut s’empêcher de chercher l’âme sœur chez des hommes brutaux, leur opposant une résistance de façade pour mieux subir leurs coups et se soumette à leurs violences. Cette dualité entre ce besoin d'aliénation et d’emprise sado-masochiste et la volonté de s’en libérer se retrouvera tout au long du récit, conférant à l’ensemble une tonalité troublante et dérangeante. Nous retrouvons également les thématiques chères à l’auteur, qui sont celles de l’enfermement, de la séquestration et du huis clos étouffant et mortifère, générant un sentiment de claustrophobie.

A l’instar Du syndrome du scaphandrier, j’ai trouvé amusant de retrouver un scaphandrier dans ce roman, l’auteur semblant fasciné par l’imagerie et la symbolique particulière que cette figure peut susciter : le scaphandrier, explorateur solitaire et isolé, coincé dans son équipement rigide et coupé du monde, offrant par excellence une métaphore de l’homme en marge de la société et coincé dans ses défenses rigides, descendant dans les profondeurs troubles et nauséeuses de l’être humain, plongeant dans les couches les plus obscures du subconscient au risque d’y sombrer définitivement, ne sachant plus remonter à la surface et mourant par suffocation.

Oeuvre de Fabrice Jahk






Au final, un thriller psychologique teinté de fantastique, dérangeant et captivant à la fois.
Je n’en ai décidément pas terminé avec Serge Brussolo et c’est tant mieux.

dimanche 14 février 2010

Le roman de monsieur de Molière de Mikhaïl Boulgakov

Quatrième de couverture

Une accoucheuse qui avait appris son art à la maternité de l'Hôtel-Dieu de Paris sous la direction de la fameuse Louise Bourgeois délivra le 13 janvier 1622 la très aimable madame Poquelin, née Cressé, d'un premier enfant prématuré de sexe masculin. Je peux dire sans crainte de me tromper que si j'avais pu expliquer à l'honorable sage-femme qui était celui qu'elle mettait au monde, elle eût pu d'émotion causer quelque dommage au nourrisson, et du même coup à la France.
 
« Qu'est-ce qui m'empêche de dire la vérité en riant ? » Horace

Aujourd’hui considéré comme un des plus grands écrivains de la littérature contemporaine russe, l’auteur Mikhaïl Boulgakov - né en 1891 et plus connu pour son roman Le Maître et Marguerite - publie en 1936 Le Roman de monsieur de Molière.

Ce passionné de théâtre ne pouvait que rendre hommage au grand dramaturge Jean Baptiste Pocquelin, dit Molière. En lui consacrant une biographie romancée très éloignée du ton neutre d’un biographe quelconque mais au contraire en s’immisçant dans le récit par l’entremise d’un narrateur omniscient, Mikhaïl Boulgakov nous livre là un récit dynamique et très vivant en retraçant toutes les étapes importantes de la vie de Molière, de sa naissance à la fin de sa vie, non sans humour et à-propos.

Mikhaïl Boulgakov prend d’autant moins de distance par rapport à Molière qu’il éprouve lui-même tous les affres de la création en étant brimé et censuré : tout comme Molière avant lui qui écrivit des missives au roi Louis XIV pour le protéger des dévots outragés, des médecins offensés et des précieux irrités, Mikhaïl Boulgakov ne cessera d’écrire plusieurs lettres à Staline afin de lui demander protection et soutien.

Outre l’hommage rendu au dramaturge Molière, cette biographie romancée permet donc également à Mikhaïl Boulgakov de témoigner des relations difficiles entre l’artiste et le pouvoir, quelle que soit l’époque. A titre d’illustration, Le Roman de monsieur de Molière sera lui-même expurgé de plusieurs passages et devra attendre l’année 1989 pour être publié dans son intégralité en Russie. Cette présente édition n’est malheureusement que la traduction de la version censurée de l’œuvre sous Staline et nous attendons toujours la version intégrale traduite en français…


dimanche 7 février 2010

Les misérables de Victor Hugo

Je ne pouvais pas participer dignement au challenge « J’aime les classiques » en faisant l’impasse sur l’un des plus célébrissimes d’entre eux, j’ai nommé « Les misérables » de Victor Hugo. Alors ni une ni deux, j’ai retroussé mes manches et me suis lancée dans les quelques deux mille pages que compte le récit dans son intégralité.

« Les misérables » est un roman foisonnant au possible : les digressions y sont fréquentes et s’il existe un fil conducteur principal (l’histoire de Jean Valjean allant de sa sortie du bagne en 1815 à sa mort en 1833), cette composition centrale est sans cesse interrompue par les multiples sinuosités imposées par l’auteur. Et si Victor Hugo n’hésite pas à abandonner son sujet principal pour mieux emprunter les chemins de traverse, c’est pour mieux aborder une multitude de thèmes qui lui sont chers : évocation de l’année 1817 et description de la bataille de Waterloo, condition de détention au bagne et vie du proscrit (marqué à jamais par son infamie et pour lequel les possibilité de rédemption et de réhabilitation sont nulles et non avenues), discussion sur le vocabulaire argotique, portrait de Paris ou présentation du couvent du Petit Picpus, remémoration des barricades lors des journées révolutionnaires de 1832 sans oublier une traversée des égouts de Paris des plus épiques.

Par ailleurs, l’auteur n’hésite jamais à nous rappeler sa présence tout au long du récit, ne se privant pas d’exprimer ses opinions personnelles sur la politique, la religion, l’économie, l’écologie, la moralité et les améliorations sociales nécessaires pour protéger au mieux les femmes et les petits enfants (car « ce sont eux qui souffrent le plus dans notre société » nous dit-il).

L’ensemble n’en est pas pour autant illisible et les personnages – taillés d’une seule pièce, offrant peu de nuances et de subtilités psychologiques mais servant admirablement une vision de l’auteur somme toute assez manichéenne du monde – permettent de servir de points de repère en offrant une certaine continuité au récit.

Contre toute attente et malgré le nombre de pages impressionnant, je n’ai pas trouvé le temps long en compagnie de Victor Hugo, que du contraire ! J’ai énormément apprécié me perdre dans les petits détails et les grandes digressions de l’auteur, apportant ainsi tout le sel nécessaire pour relever le plat principal. J’avoue tout de même avoir eu un peu plus de mal au ¾ du récit (chapitres concernant les barricades) et n’aurais pas dédaigné certains raccourcis lors de leurs évocations. Mais ce ne sont vraiment que quelques broutilles tant j’ai apprécié cette lecture dans son ensemble, malgré les affectations exagérées et le style grandiloquent que peut parfois emprunter la plume de l’auteur.

Il va sans dire que les misérables se taillent la part de lion dans cette histoire, et si l’auteur éprouve de la sympathie et témoigne en leur faveur en prenant la défense des opprimés, il est assez étonnant que les misérables de Victor Hugo ne soient pas ces ouvriers honteusement exploités en ce début du capitalisme mais essentiellement les plus faibles tels que les femmes, les vieillards et les petits enfants, tel le petit Gavroche :

« Cet enfant était bien affublé d’un pantalon d’homme, mais il ne le tenait pas de son père, et d’une camisole de femme, mais il ne la tenait pas de sa mère. Des gens quelconques l’avaient habillé de chiffons par charité. Pourtant il avait un père et une mère. Mais son père ne songeait pas à lui et sa mère ne l’aimait point. C’était un de ces enfants dignes de pitié entre tous qui ont père et mère et qui sont orphelins.

Cet enfant ne se sentait jamais si bien que dans la rue. Le pavé lui était moins dur que le cœur de sa mère.

Ses parents l’avaient jeté dans la vie d’un coup de pied.

Il avait tout bonnement pris sa volée. »

Pour terminer ce billet, je ne vous ferais pas l’affront de vous présenter les personnages principaux dans la mesure où tout le monde les connaît tant ils sont devenus des archétypes mais j’aimerai revenir sur l’un d’eux, le très âgé mais néanmoins truculent M. Gillenormand, qui est un de mes personnages préférés :

« M. Gillenormand, lequel était on ne peut plus vivant en 1831, était un de ces hommes devenus curieux à voir uniquement à cause qu’ils ont longtemps vécu, et qui sont étranges parce qu’ils ont jadis ressemblé à tout le monde et que maintenant ils ne ressemblent plus à personne. C’était un vieillard particulier, et bien véritablement l’homme d’un autre âge, le vrai bourgeois complet et un peu hautain du dix-huitième siècle, portant sa bonne vieille bourgeoisie de l’air dont les marquis portaient leur marquisat. Il avait dépassé quatre-vingt-dix ans, marchait droit, parlait haut, voyait clair, buvait sec, mangeait, dormait et ronflait. Il avait ses trente-deux dents. Il ne mettait de lunettes que pour lire. Il était d’humeur amoureuse, mais disait que depuis une dizaine d’années il avait décidément et tout à fait renoncé aux femmes. Il ne pouvait plus plaire, disait-il ; il n’ajoutait pas : Je suis trop vieux, mais : Je suis trop pauvre. »


lundi 1 février 2010

Les brumes du passé de Leonardo Padura

La Havane, été 2003. Mario Conde, ex-flic désabusé et mélancolique, a quitté la police depuis maintenant 14 ans et vit de sa passion des livres.

Les temps sont difficiles, les mentalités ont bien changé et l’économie du pays est au plus mal, à tel point que certains se voient contraints de vendre leur bibliothèque pour pouvoir subvenir à leurs besoins.

C’est ici que Mario Conde intervient : faisant le commerce des livres anciens, il lui arrive de prospecter les grandes maisons anciennement majestueuses mais aujourd’hui décrépies dans l’espoir d’être le premier à mettre la main sur les plus belles bibliothèques que leurs murs seraient susceptibles d’abriter, devançant ainsi ses confrères dans la mesure où cette profession connaît une concurrence aussi féroce que les temps sont difficiles.

La décrépitude de ces anciennes maisons de maître peut traduire la situation financière précaire de ses occupants, qui seront peut-être tentés de vendre leurs livres pour amoindrir les privations auxquelles ils sont confrontés jour après jour. C’est lors d’une de ses visites que Mario Conde découvre une majestueuse bibliothèque composée de livres anciens aussi rares que recherchés. La maigreur et la pâleur des occupants visiblement dans le besoin lui prédisent des perspectives financières extraordinaires autant qu’inespérées, lui assurant une large part de bénéfice dont il compte bien en faire profiter ses meilleurs amis pour faire bombance et ripaille, toujours les bienvenus en ces temps de disette et de restriction générale.

C’est en compulsant l’un de ces volumes qu’il découvre une photo de la très belle Violeta del Rio, une chanteuse de boléro des années 50 qui annonce qu'elle abandonne la chanson. Intrigué par cette photo, et ne sachant pas ce que cette femme est devenue depuis lors, Mario Conde – qui a l’intuition du fin limier qu’il fut que quelque chose se trame dans cette maison – décide de partir sur les traces de cette femme et de mener sa propre enquête…

Roman sur les trahisons, la perte des illusions et des promesses non tenues, que ce soit du point de vue relationnel qu’idéologique, Leonardo Padura conduit son personnage fétiche sur les chemins de l’histoire de Cuba, passant des années folles des cabarets et chanteuses de boléro aux années de drogues et de prostitutions sous la dictature de Batista à la révolution communiste des années 60, révolution qui aboutira à la situation désastreuse que Cuba connaît encore à ce jour.

Nous vivons ces soubresauts de l’histoire en compagnie de ces personnages jetés sur l’échiquier de la vie, contraints de se débrouiller dans la tourmente provoquée par les changements économiques, politiques et idéologiques que connaîtra le pays au fil des décennies.

Mario Conde est un personnage extrêmement attachant : digne et intègre, opposé à la violence et aux compromissions, il n’est plus qu’un homme de quarante ans passé déçu qui ne croit plus en rien si ce n’est en l’amitié. La promesse d’un avenir meilleur promis par la révolution n’est plus qu’un lointain souvenir, reste la désillusion et l’incertitude de tous les jours.

Il se rend compte également qu’il a perdu le contact avec la nouvelle génération cubaine en quittant ses habits d’inspecteur : n’étant plus confronté aux rixes et faits répréhensibles que subissent quotidiennement ses ex-confrères, c’est toute la jeunesse cubaine qui lui est devenue étrangère. Une jeunesse obligée de vivre au jour le jour et de survivre jusqu’au lendemain, une jeunesse qui n’a plus luxe de se prévaloir de valeurs morales, philosophiques ou idéologiques mais qui vit de la débrouille et des combines parfois des plus avilissantes, seule la circulation des dollars trouvant grâce à leur yeux. Voilà le triste héritage que leur ont légué bien malgré eux les hommes de la génération de Mario Conde…

« Les brumes du passé » est un roman noir nostalgique et mélancolique du meilleur cru.