Seven Sisters (2017) de Tommy Wirkola ***
Celle qui a tous les dons (The Last Girl, 2017) de Colm McCarthy **
The Circle (2017) de James Ponsoldt **
On l'appelle Jeeg Robot (Lo chiamavano Jeeg Robot, 2015) de Gabriele Mainetti ***
Eastern boys (2013) de Robin Campillo ***
Timecrimes (Los Cronocrímenes, 2007) de Nacho Vigalondo **
On a arrêté Sherlock Holmes (Der Mann, der Sherlock Holmes war, 1937) de Karl Hartl ***
Romans
La neige de Saint Pierre (Zulma, 2016) de Leo Perutz ***
Le dernier message de Sandrine Madison (Points, 2015) de Thomas H. Cook ***
Le passage du diable (L'Ecole des Loisirs, 2015) de Anne Fine **
Les dénonciateurs (Seuil, 2015) de Juan Gabriel Vásquez ** Un artiste du monde flottant (Folio, 2009) de Kazuo Ishiguro ***
Apprendre à philosopher : Leibniz, William James, Hobbes, Héraclite et Parménide
Vladimir Fédorovski, né à Moscou mais d'origine ukrainienne, est écrivain, docteur en histoire et ancien diplomate russe. A la veille du centenaire de la Révolution russe, il a rédigé ce Dictionnaire amoureux de Saint-Pétersbourg, une ville fondée en 1703 par Pierre le Grand sur le delta marécageux de la Néva, une région disputée depuis longtemps au royaume de Suède.
Comme le veut le principe de la collection publiée chez Plon, le but n'est pas de rédiger un dictionnaire exhaustif mais de faire confiance aux choix personnels et totalement subjectifs de l'auteur, qui découvre dans un premier temps la ville de Saint-Pétersbourg par les romans de Fiodor Dostoïevski. Il s'y est rendu depuis à multiples reprises, en ayant toujours cette impression qu'elle l'accompagne dorénavant chaque jour de sa vie. Nous sommes donc conviés à un vagabondage amoureux à travers les influences italiennes, françaises et russes de son architecture, ses monuments, ses jardins, son histoire, ses tsars, ses personnalités aux destins parfois tragiques, ses écrivains, ses nuits blanches, ses hivers, ses événements historiques les plus marquants, sa gastronomie et ses artistes. Poutine, qui connu une enfance déshéritée dans un quartier pauvre de Léningrad (l'ancien nom de la ville), y occupe aussi sa place, que Vladimir Fedorovski n'hésite pas à nous présenter comme le nouveau tsar rouge.
Ce Dictionnaire amoureux de Saint-Pétersbourg se lit avec beaucoup de bonheur, tant il nous donne le sentiment d'aller à l'essentiel. J'ai appris personnellement beaucoup de choses mais il faut bien dire que j'avais aussi beaucoup de choses à apprendre. Quelqu'un qui connait déjà bien l'histoire de la Russie en général et de la ville de Saint-Pétersbourg en particulier aura sans doute plus de mal à y trouver son compte.
Un extrait ?
Possédés (Les)
A la fin du XIXe siècle, la terreur révolutionnaire devient le phénomène le plus marquant de la vie à Saint-Pétersbourg. Fiodor Dostoïevski a déchiffré ce phénomène dans une œuvre magistrale, Les Possédés.
[...]
La majorité des révolutionnaires ont été des disciples de Tolstoï, de son message antitsariste et de sa négation de la propriété privée.
« Les écrivains humanistes russes de la deuxième moitié du XIXe siècle portent sur eux la lourde faute du sang versé au XXe siècle sous leur bannière », affirme l'écrivain russe et martyr du Goulag Varlam Chalamov.
Les manifestations d'étudiants se multiplièrent au point de devenir quasi permanentes. L'accroissement du prolétariat favorisa la diffusion des idées révolutionnaires. On compte 1,5 million d'ouvriers au début de la décennie en Russie, et leurs conditions de vie et de travail sont très dures.
L'incapacité du gouvernement à endiguer la grande famine de 1891-1892, et les épidémies de choléra et de typhus qui en résultent (elles touchent dix-sept provinces et provoquent un demi-million de morts), suscitent une grande colère paysanne.
[...]
La classe intellectuelle de Saint-Pétersbourg se concevait comme une nouvelle aristocratie, voir même comme une « nouvelle Eglise », appelée à renverser puis à régénérer la société.
[...]
Les terroristes affirmèrent haut et fort : « On ne tue pas un homme concret, non, en sa personne, on tue le mal lui-même. »
Ainsi se prépara la justification de l'assassinat politique de masse, prôné après la révolution de 1917.
[...]
Dans ces organisations révolutionnaires composées de petits groupes, les membres étaient totalement dévoués à leur cause ; chaque attentat se voyait soigneusement planifié.
A Saint-Pétersbourg, durant le seul hiver 1878-1879, plus de deux milles hommes soupçonnés d'activités révolutionnaires furent arrêtés. Pour ces terroristes l'assassinat du tsar devient une idée fixe : le tsar Alexandre II fit l'objet d'une traque sans précédent dans l'histoire du terrorisme mondial.
[...]
Même le génie de la littérature russe Dostoïevski, l'ennemi idéologique le plus irréductible des terroristes, rendit hommage à leur obstination : « Disons-le sans détour ; c'est de la folie, mais en même temps ces fous ont leur logique, leur doctrine, leur code, leur Dieu même. On ne peut être plus déterminé. »
Le point culminant de cette vague de violence est, après sept tentatives, le meurtre à Saint-Pétersbourg du tsar Alexandre II, dit « le Libérateur », en mars 1881 (le star proclama l'abolition du servage en 1861).
L'écrasante majorité des habitants de la ville le vécut comme une catastrophe nationale. Tout Saint-Pétersbourg ressentit soudain une instabilité, une fragilité extrême. Le nihilisme avait en effet cessé de n'être qu'une philosophie, et les habitants de la capitale connurent pour ainsi dire physiquement les tragédies de la terreur politique (après la révolution bolchevique de 1917, la ville assistera à la transformation de ces actes individuels en terreur de masse).
Je ne résiste pas à illustrer cette entrée du dictionnaire par une petite vidéo sur Albert Camus, les "Possédés" et le Nihilisme :
Dictionnaire amoureux de Saint-Pétersbourg par Vladimir Fedorovsk, Collection : Dictionnaire amoureux, Éditeur : Plon (27 octobre 2016), Broché: 656 pages
Chaque semaine, du lundi au jeudi, Matthieu Garrigou-Lagrange se penche sur un grand auteur du patrimoine littéraire mondial. Biographes, chercheurs, écrivains, traducteurs, éditeurs, autant de passeurs de savoirs et d’expériences pour raconter et analyser les œuvres. Cette semaine, c'est Dostoïevski qui est à l'honneur, via quatre épisodes :
Il est rare de rencontrer un auteur aussi bouleversant et aussi bouleversé que Dostoïevski. La vraie découverte [du peuple], il la fait au bagne. Il découvre qu'il y a dans ces gens simples une beauté qu'il n'arrive pas à exprimer. Dans la misère morale la plus totale, il existe en chacun une lumière. Ce qui est fondamental chez Dostoïevski, c'est que la beauté naît de la souffrance. Pour Dostoïevski, il y a dans l'existence un mystère que la science ne peut résoudre. Avec la science et la logique, on ne peut faire que des fourmillières. (Virgil Tanase)
Les Démons de Fedor Dostoïevski, Traduction d’Élisabeth Guertik et Jean-Louis Backès. Édition préfacée, annotée et commentée par Jean-Louis Backès, Le Livre de Poche, 896 pages, Date de parution: 26/01/2011
Citation
Jean-Louis Backès, professeur émérite de littérature comparée à l'université Sorbonne-Paris 4 et spécialiste de littérature russe, est l'auteur d'un essai sur Crime et Châtiment, publié dans la collection Foliothèque en 1995. Il a aussi réalisé une édition critique des Démons, au Livre de Poche (2011). Il est aussi l'auteur de plusieurs romans, dont Carènes publié chez Grasset en 1984.
Crime et châtiment de Fédor Dostoïevski, Essai et dossier par Jean-Louis Backès, Collection Foliothèque, Gallimard, 192 pages, Date de parution : 04/01/1995
Citation
La force de Crime et châtiment, c'est de ne jamais réduire en idées simples ce geste qui est presque indicible : j'ai tué la vieille. Dostoïevski comprend qu'un homme ne peut se raconter lui-même que de plusieurs façons différentes. (Jean-Louis Backès) Dostoïevski est l’inventeur du caractère polymorphe : c’est à dire que Molière ou Racine ou les grands classiques ont des caractères d’un seul tenant, tandis que Dostoïevski a fait une découverte en psychologie qui est l’équivalent de celle de De Vries dans le monde de l’histoire naturelle : la mutation spontanée... Vous voyez une crapule, comme dans Crime et Châtiment... qui tout à coup devient une espèce d’ange... C’est cette imprévisibilité, cet inconnu de la nature humaine qui est le grand intérêt de Dostoïevski. L’homme est un inconnu pour lui même et il ne sait jamais ce qu’il est capable de produire sous une provocation neuve. (Paul Claudel, lettre à Jacques Rivière du 17 février 1912).
Ivan Karamazov est l’un des personnages les plus célèbres de la littérature mondiale, et pourtant personne ne sait à quoi il ressemble. Pas de portraits, pas de corps objectifs, mais une plongée très évocatrice dans la Russie de l'époque. Qu'est-ce que cela révèle du monde vu par Dostoïevski ?
L'Œuvre de Dostoïevski, série de cinq conférences d'un quart d'heure données par Léon Chestov sur la demande de Radio-Paris : PDF disponible.
A propos de Léon Chestov :
« J’ai été révolutionnaire depuis l’âge de 8 ans au grand désespoir de mon père, écrivit-il. Je n’ai cessé de l’être que beaucoup plus tard, lorsque le socialisme “scientifique”, marxiste, eut fait son apparition ». Au tournant du siècle, il fréquente les anarchistes, écrit sur la littérature – Pascal, Tolstoï, Dostoievski, Nietzsche – et entame une œuvre philosophique. Il expliquera que son premier professeur de philosophie fut Shakespeare : « C’est lui qui m’a appris cette chose si énigmatique et inconcevable, et en même temps si dangereuse et inquiétante : le temps est sorti de ses gonds ».
Ce n'est pas la première fois que France Culture met à l'honneur Dostoïevski : en 2011, Les Nouveaux chemins de la connaissance lui a consacré quatre émissions, avec comme invité André Markowicz, traducteur des œuvres complètes de Fiodor Dostoïevski.
J'avais pris quelques notes à l'époque, que je retranscris ici :
Citation
Traduire L'Idiot, c'est vivre, pendant un an, dans une tension incessante, avec une respiration particulière: jamais à pleins poumons, toujours à reprendre son souffle, toujours en haletant, à tenir cet élan indescriptible qui fait de presque chaque mouvement de la pensée, de chaque paragraphe, voire de chaque phrase une longue montée, une explosion et une descente brusque (...).
Jamais encore auparavant l'image physique d'un auteur écrivant son roman ne m'avait autant suivi. Tous les matins, me mettant au travail avec une sorte de bonheur terrorisé, je le voyais paraître devant moi, et je me demandais: "Mais comment donc un homme peut-il écrire cela ?"
André Markowicz
(extrait de l'avant-propos du traducteur)
Pas facile de recevoir André Markowicz tant il cherche ses mots, laisse des blancs, ne veut pas interpréter certains passages : « Ca ce n’est pas mon problème, moi je suis traducteur, ça c’est à vous de dire » ou encore « Mon travail est de permettre une interprétation en essayant d’être aussi factuel que possible ». N’empêche, son travail de traducteur est intéressant à suivre, de même sa perception du double dans l’œuvre de Dostoïevski : le regard (qui regarde qui), la gémellité, la dualité, l’impossibilité d’être face à soi-même, le reflet absent dans le miroir, être coupable d’être. La structure épileptique du roman, toujours vivante. L’intrigue qui devient poème, donc hors du temps nous dit André Markowicz...
A la fin de l'émission, nous avons droit à une citation de MARCEL PROUST, qui faisait une comparaison entre Mme de Sévigné et Dostoïevski :
Citation
C’est comme le côté Dostoïevski de Mme de Sévigné.
(...)
Il est arrivé que Mme de Sévigné, comme Elstir, comme Dostoïevski, au lieu de présenter les choses dans l’ordre logique, c’est-à-dire en commençant par la cause, nous montre d’abord l’effet, l’illusion qui nous frappe. C’est ainsi que Dostoïevski présente ses personnages. Leurs actions nous apparaissent aussi trompeuses que ces effets d’Elstir où la mer a l’air d’être dans le ciel. Nous sommes tout étonnés d’apprendre que cet homme sournois est au fond excellent, ou le contraire.
A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU de Marcel PROUST, Tome V - La Prisonnière
Il n’y a pas de vérité toute faite dans ses roman, d’où l’importance du doute, de l’incertitude, autrement dit du vivant dans la structure même du récit : André Markowicz se demande à un moment donné « Mais où est le point ? ». Il y a une telle accumulation de propositions, virgules, de choses que cette accumulation devient à un moment insupportable, là survient la crise (dans le roman) qui devient définitive un instant : la seconde définitive dont parle Dostoïevski.
Une définition qui résume parfaitement le roman L'idiot selon André Markowicz :
Citation
Idiôtès, idiot, signifie simple, particulier, unique ; puis par une extension sémantique dont la signification philosophique est de grande portée, personne dénuée d’intelligence, être dépourvu de raison. Toute chose, toute personne sont ainsi idiotes dès lors qu’elles n’existent qu’en elles-mêmes, c’est-à-dire sont incapables d’apparaître autrement que là où elles sont et telles qu’elles sont : incapables donc, et en premier lieu, de se refléter, d’apparaître dans le double du miroir.
Le réalisateur japonais Mikio Naruse est à l'honneur à la Cinematek de Bruxelles, qui lui consacre un cycle du 15.09.2017 au 18.10.2017.
Présentation sur le site Cinematek :
La Chanson de la lanterne [Uta-andon]
En collaboration avec l'ambassade du Japon en Belgique et Japan Foundation. Les films imprégnés de mélancolie de Mikio Naruse semblent avoir été oubliés avec le temps. Même à l'échelle internationale, c'est dans l'ombre d'Ozu et de Mizogushi qu'il faut chercher la trace de ce réalisateur japonais. Avec une rétrospective de vingt titres, CINEMATEK entend remettre son travail en lumière.
Quand une femme monte l'escalier [Onna ga kaidan wo agaru toki]
Naruse commence dès ses quinze ans à travailler pour Shochiku, le plus ancien et le plus important studio japonais. D'aide dans le département décors, il accède très vite au statut de réalisateur et, tout comme Ozu, il débute avec une comédie slapstick (il en tournera d'ailleurs plusieurs par an). Après quelques années, il opte pour un nouveau genre qui deviendra sa marque de fabrique : des films dans lesquels la vie quotidienne de la classe moyenne occupe une place centrale, un genre nommé shomin-geki au Japon. Naruse construit sa réputation sur ces mélodrames intimistes. L'adjectif est crucial. D'un point de vue thématique, ses films s'inscrivent dans la lignée de Douglas Sirk, maître du mélodrame américain dans les années 1940 et 1950. D'un point de vue stylistique, Naruse est nettement moins flamboyant. Les premiers films de Naruse sont perdus mais ce programme reprend toutefois quelques-uns de ses titres les plus anciens qui ont pu être conservés, tels que Après notre séparation et Rêves de chaque nuit, tous les deux de 1933. Ensuite, pendant plus de trois décennies, Naruse construit une œuvre conséquente. Ses films sont toujours de qualité, mais il atteint son plus haut niveau au milieu des années 1950 avec des titres tels que Le Grondement de la montagne, La Mère, Chrysanthèmes tardifs et bien-sûr Nuages flottants. Dans ces différents essais, souvent empreints de mélancolie, sur les relations qui se brouillent ou se dégradent, l'amour impossible, ou encore l'attente désespérée et silencieuse d'un espoir, Hideko Takamine, l'actrice fétiche du réalisateur, interprète l'héroïne typiquement Narusienne : une femme qui, confrontée à un problème, ose changer de point de vue. Mikio Naruse a le sourire de l'homme qui souffre, disait Hiroko Govaers, qui contribua à diffuser le travail du réalisateur en Europe. Avec cette déclaration, elle cerne parfaitement le pessimisme latent qui caractérise le travail du cinéaste, même s'il n'est jamais noir comme jais: il subsiste toujours une once d'espoir. À travers vingt films, vous aurez l'occasion de découvrir le regard doux-amer que Naruse porte sur la condition humaine."
Sur ce blog, je vous parle un peu plus longuement de son film Le repas, dans lequel joue la grande actrice japonaise Setsuko Hara, décédée récemment en 2015.