samedi 31 mars 2018

Bilan du mois de mars 2018



Films

Taipei Story (sortie 2018) d'Edward Yang ***
Annihilation (2018) d'Alex Garland *
Fleur de tonnerre (2017) de Stéphanie Pillonca-Kervern *
La Passion Van Gogh (Loving Vincent, 2017) de Dorota Kobiela et Hugh Welchman  ***
La Voie de l'ennemi (2014) de Rachid Bouchareb **(*)
Dark City Director's Cut (2008) d'Alex Proyas ****
Tokyo! (2008) de Michel Gondry, Leos Carax et Bong Joon-ho ***
XXY (2007) de Lucía Puenzo ***
Les Damnés (1969) de Luchino Visconti  ***
Mirage de la vie (Imitation of life, 1959) de Douglas Sirk ***(*)
Ça s'est passé en plein jour (Es geschah am hellichten Tag, 1958) de Ladislao Vajda **(*)
Le Carnaval des Dieux (Something of Value, 1957) de Richard Brooks **(*)
Les Intrigantes (1954) de Henri Decoin **(*)
Monsieur Ripois (1953) de René Clément ***
Poil de carotte (1932) de Julien Duvivier **(*)
Shoes (1916) de Lois Weber ***


Séries

La Casa de Papel (Saison 1, 2017) de Álex Pina ***
Happy Valley (Saison 1, 2014) de Sally Wainwright ****
Godless (2017) de Scott Frank ***

La Casa de Papel
Lecture

Tome 2 – La Guerre et la Paix de Léon Tolstoï ****
Une vieille maîtresse de Jules Barbey d'Aurevilly ***
L'Eclipse de Hirano Keiichirô **
1966 de Geraldine Brooks ***
L'homme stochastique de Robert Silverberg ***
Nouvelle : La dame de pique d'Alexandre Pouchkine ***


Collection Apprendre à philosopher : Hannah Arendt
Collection Apprendre à philosopher : Schelling
Collection Apprendre à philosopher : Berkeley





Une vieille maîtresse de Jules Barbey d'Aurevilly

« Ne savait-il pas que le mal qui vient de la personne aimée est une raison pour l’aimer davantage, et que les grandes passions savent vivre de ce qui tuerait de médiocres sentiments ? »

Personne n’a été l’objet de plus de commérages que M. de Marigny : aventurier, joueur, simple gentilhomme sans titre, libertin aux nombreuses conquêtes féminines mais revenant toujours, au bout du compte, chez sa vieille maîtresse. Il s’agit de l’espagnole Vellini, la maîtresse-sérail qui règne sur sa destinée depuis maintenant dix années, une courtisane ni jeune, ni belle mais dont la laideur possède des incroyables prestiges, une femme libre ne connaissant pas les convenances de son époque, ténébreuse et ardente à la fois. Une femme de tous les contrastes qui a maintenu vaille que vaille un ascendant sur M. de Marigny, qu’elle n’a jamais perdu. Sorcellerie, pacte de sang, diablerie, fatalité ? Il y a quelque chose en tout cas qui n’a rien à voir avec l’amour ou les tendres sentiments quand on en vient à aimer son bourreau dont on devient l’esclave. 

Il n’en reste que M. de Marigny veut rompre avec ce passé révolu de vanité étrange et d’ardeur désordonnées. Il veut fuir cette brulante domination du passé qu’elle ramène à chaque fois, une passion toujours prête et souveraine, à son plus grand désespoir. Il pense pouvoir rompre l’ascendance de Vellini la Malagaise en se mariant à la blanche Hermangarde de Polastron, une jeune fille à la beauté sans égale et l’une des plus riches héritières de France. Une femme douce et aimante qui a fait renaître dans son cœur de trente ans, prématurément vieux et usé, la faculté d’aimer de ses vingt ans. Mais peut-on se défaire aussi facilement de ces nœuds incessamment refaits ? 

Il y a finalement bien plus d’orgueil, de fierté, de passion, de domination/soumission dans ce roman, que d’amour ou de tendresse des sentiments. L’amour légitime, respectueux, calme et serein d’un foyer est bien démuni face à la puissance indomptable d’une telle passion, qui triomphe dans le ravissement des sens, et qui témoigne de l’étrange et insondable puissance de l’emprise dans une relation. 

Jules Barbey d'Aurevilly s’intéresse moins à l’amour qu’à la possession diabolique qu’entraîne une liaison passionnée, cette attraction fatale qui le fascine tant et si bien qu’il y reviendra à multiples reprises par la suite, comme dans son roman « L'ensorcelée » et le recueil de nouvelles « Les Diaboliques », pour ne citer que ceux-là. On retrouve donc toute son emphase habituelle, portée par une écriture affectée, précieuse et tourmentée, très plaisante par moment mais lassante à d’autres, particulièrement dans la dernière partie, qui a pour cadre le Cotentin. L’auteur avait confié qu’il avait eu beaucoup de mal à terminer ce roman et cela se sent, tant les éléments finissent par se répéter, donnant lieu à une certaine redondance que je n’ai pas pu m’empêcher de trouver ampoulée. Petite lassitude donc en fin de lecture, mais je me souviens également de m’être délectée pendant les trois-quarts du roman. Il faut dire que l’auteur excelle dans ces petites phrases pleines d’humour et de causticité, particulièrement lorsqu'il évoque, non sans bienveillance d’ailleurs, l’amitié des vieilles gens et les affres de la vieillesse. Et c’est encore ces passages-là que je préfère. 

« Si, dans toute âme, l’amitié est, sans comparaison, le plus beau des sentiments de ce monde, elle devient sublime dans une femme placée aux confins de la vie, qui semble avoir tout épuisé et être devenue inséductible. Le jeune qui l’inspire doit être plus fier que de toutes les turbulentes passions qu’il a semées dans des cœurs par l’âge plus rapprochés du sien. Harmangarde aussi, comme Mme d’Artelles, savait bien que sa grand-mère aimait Marigny pour lui-même, et la tendre et généreuse fille en était heureuse pour son fiancé. » 

Bilan plus que positif dans son ensemble, même si je ne conseillerai pas particulièrement ce roman à celles et ceux qui ne connaissent pas encore Jules Barbey d'Aurevilly. 


J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Ingannmic : son avis est ICI 



A lire également, sur ce blog :

* L'Ensorcelée de Jules Barbey d’Aurevilly


jeudi 22 mars 2018

Vampyr de Carl Théodor Dreyer

A propos de Carl Théodor Dreyer : « A chaque film, observe Nicola Mazzanti, directeur de la Cinematek, il a nourri le langage du cinéma. On peut considérer que certains de ses films, comme La Passion de Jeanne D’Arc, Vampyr et Ordet, ont changé l’histoire du cinéma. »

Pour Mazzanti, « Dreyer a inventé le silence dans le cinéma sonore, ce qui est peu banal. C’est un cinéma profondément conscient du temps interne, qui a eu une influence forte sur le cinéma d’auteur – celui de Tarkovski et d’Akerman, par exemple. »

Disparu depuis cinquante ans tout juste, l'occasion où jamais de fouiller dans les archives pour ressortir mon billet sur ce magnifique film du réalisateur danois Carl Théodor Dreyer : Vampyr.




Un jeune homme, David Gray, arrive un soir à l'auberge de Courtempierre, village situé au bord d'une rivière. La nuit, un vieillard pénètre dans sa chambre pour implorer son aide. Il disparaît aussi mystérieusement qu'il est entré en laissant un colis, à n'ouvrir qu'après sa mort. Le colis en question est un livre sur les vampires. Or, dans le château situé à proximité de l’auberge, vivent deux femmes dont l'une, gravement malade, porte d'étranges blessures au cou…




Adaptation libre de deux nouvelles de l'écrivain irlandais Sheridan Le Fanu : Carmilla et L'auberge du dragon volant, le film Vampyr est étonnamment poétique, onirique, étrange et singulier par le traitement des images (surexposées et par conséquence voilées, ce qui contribue à donner aux images son côté surnaturel), le jeu des ombres et des lumières et le choix des comédiens (la plupart ne sont pas des acteurs professionnels).




Le fait que ce film accorde très peu de place aux dialogues lui confère ce charme très particulier du cinéma muet, tout en renforçant cette impression de vivre un rêve éveillé. Outre le combat classique entre les forces du bien et du mal, de nombreux symboles jalonnent le film, tels le faucheur, le passeur, la roue du moulin…



Le dédoublement est particulièrement présent également : l'ombre des hommes fait de temps en temps l’école buissonnière. Le temps est également dédoublé, nous sommes parfois totalement déboussolés, ne sachant plus très bien si nous sommes dans la réalité, le rêve du demi-sommeil ou le cauchemar éveillé. 


Ce très beau film, qui sera un échec public à sa sortie, mérite toute notre attention pour la particularité qui s’en dégage, les audaces scénaristiques et visuelles, pour son traitement original du thème vampirique et la beauté des images, tout simplement…



Petite anecdote sur ce film, pêché dans le journal Le Soir de ce jour : « Vampyr doit aujourd’hui une partie de sa fascination à un accident de tournage. Dreyer rêvait d’un film en noir et blanc contrasté. Or, les rushes furent endommagés, et donnèrent finalement aux scènes tournées une troublante lumière grise. Dreyer et son directeur de la photographie, Rudolph Maté, décidèrent de conserver la tonalité brumeuse du film, ce qui participa à son atmosphère insolite. »


Vampyr ou l’étrange aventure de David Gray de Carl Théodor Dreyer, 1932, 1h23 

mardi 20 mars 2018

Les Monstres aux pieds d'argile d'Alexandre Kha (BD)


Six contes et un narrateur qui les traverse tous, pour témoigner de la solitude et de la détresse de ces monstres aux pieds d’argile différents, rejetés, incompris, démunis. Un pessimisme et une noirceur de ton qui iront crescendo au fil des récits, tous inspirés de textes fantastiques d'auteurs tels que Franz Kafka, Aldebert von Chamisso ou E.T.A. Hoffmann :

La cage où comment oublier sa condition de singe en imitant les hommes

L’homme sans reflet où le dépit d’une chimère amoureuse qui se console avec l’ombre et le reflet de l’homme aimé

La galerie infinie où un minotaure qui s’échappe mais continue de se perdre

La greffe où l’homme-arbre rejoignant le monde végétal

Eletric Man où l’homme qui a disparu dans les interstices du temps

L’Art de la faim où l’homme squelette qui continue de refuser à se nourrir malgré l’abandon de son public

Le rêve de se confondre avec les autres, de se faire respecter, accepter, aimer. D’être libre et fréquentable, tout simplement. Un dessin au service du texte, des petites bulles de poésie et de mélancolie pour ces êtres émouvants dans la fragilité de leur solitude.




dimanche 18 mars 2018

Le Voyage au Groenland de Sébastien Betbeder

Le Voyage au Groenland par Sébastien Betbeder
Avec Thomas Blanchard, Thomas Scimeca, François Chattot
France.  Date de sortie : 2016

Thomas et Thomas cumulent les difficultés : trentenaires célibataires, parisiens et comédiens... Un jour, ils décident de s'envoler pour Kullorsuaq, l'un des villages les plus reculés du Groenland où vit Nathan, le père de l'un d'eux. Au sein de la petite communauté inuit, ils découvriront les joies des traditions locales et éprouveront leur amitié.

Une comédie mélancolique composée de petites vignettes drôles et sensibles, des personnages adulescents attachants et un peu paumés, un ton volontairement décalé et naturaliste, une relation père-fils à peine ébauchée mais qui ne demande qu'à se déployer. Si la balade semble légère et rafraîchissante, les portraits ne sont pas pour autant surfaits ni dénués de d'intérêt. Le film peut néanmoins parfois céder à de petites facilités, ce qui n'ôte rien à son charme persistant.


Du même réalisateur, je vous invite à lire également mon billet à propos du précédent film Marie et les naufragés, avec la délicieuse Vimala Pons.


samedi 3 mars 2018

L'artiste peintre Leonor Fini

Leonor Fini (Buenos Aires, 1908 - Paris, 1996) est une artiste peintre surréaliste, décoratrice de théâtre et écrivaine, d'origine italienne.


Leonor Fini - La Pensierosa (1954)

Leonor Fini - L'amour sans condition (1958)

Leonor Fini - Colloque minerale (1938)

Léonor Fini - Mémoire de fragments passés  (1984)

Léonor Fini - Voyage sans amarres (1986)

Léonor Fini - Le réveil des fleurs (1964)

Léonor Fini - Hécate

Leonor Fini - Harmonika (1966)

Léonor Fini - Autoportrait (1968)

Leonor Fini - La Gardienne des Sources (1967)

Léonor Fini - Vesper express (1966)

Léonor Fini - Voyageurs au repos (1978)

Leonor Fini - Le Choix du silence (1987)

Extrait du Dictionnaire universel des créatrices, par Agnès de la Beaumelle

Née d’un père argentin et d’une mère italienne, Leonor reçoit une éducation cosmopolite au sein du milieu littéraire triestin. En 1925, décidée à peindre, elle gagne Milan, où l’approche des peintres de la Renaissance et du maniérisme, la rencontre avec Savinio, Carrà et autres réalistes magiques italiens la marquent. Lorsqu’elle rejoint Paris en 1931, son intérêt pour le surréalisme renforce encore son penchant vers le merveilleux et l’onirisme. Malgré ses amitiés au sein du groupe, c’est en solitaire qu’elle va explorer les visions imaginaires que lui dictent ses fantasmes : des femmes-sphinges, des éphèbes, des chimères peuplent des scènes où rituel sacré et érotisme se mêlent, dans une atmosphère tour à tour ténébreuse et incandescente, toujours énigmatique. La femme y impose une beauté souveraine et hiératique, quasi maléfique (L’Ange de l’anatomie, 1949) ; la nature n’est que prolifération végétale inquiétante, presque morbide (Sphinx Regina, 1946 ; La Grande Racine, 1948). Son répertoire d’images froides et précises peut se définir globalement par un « réalisme irréel » (Cocteau), excepté la période « minérale » de la fin des années 1950, au cours de laquelle les visions de l’artiste se font floues et transparentes. Une première exposition à la galerie Bonjean à Paris (1937) et une deuxième, à la Julien Levy Gallery à New York (1939), ouvrent une suite de succès, jusqu’aux rétrospectives à Knokke-Le-Zoute (1965), à Ferrare (1983) et au Japon (1985-1986). Son imagination fantasque, sa prédilection pour la fête et le théâtre l’incitent, dès l’après-guerre, à répondre à de nombreuses commandes de décors et costumes pour la scène. Elle travaille, entre autres, pour l’Opéra Garnier à Paris et la Scala à Milan. Masques et déguisements pour les bals costumés consacrent son rôle d’égérie secrète et extravagante de fêtes somptueuses. La peintre illustre également de nombreux livres. Dans les années 1970-1980, l’isolement dans laquelle est tenue sa peinture la pousse de plus en plus à écrire, notamment des contes (Mourmour, conte pour enfants velus, 1976) et des ouvrages sur les chats (Miroir des chats, 1977).

Le Dictionnaire universel des créatrices Coffret 3 volumes, sous la direction de  Béatrice Didier, Antoinette Fouque, Mireille Calle-Gruber. Quarante siècles de création des femmes à travers le monde dans tous les domaines de l’histoire humaine, des arts, de la culture, de la science.