mardi 31 octobre 2017

Bilan du mois d'octobre


Films

Faute d’Amour (Nelyubov, 2017) d’Andreï Zviaguintsev ❤
Blade Runner 2049 (2017) de Denis Villeneuve  ****
Au revoir là-haut (2017) d'Albert Dupontel ***(*)

Refugiado (2014) de Diego Lerman **(*)
Tonnerre (2014) de Guillaume Brac ***
The Truth about Emanuel (2013) de Francesca Gregorini ***
24 Hour Party People (2002) de Michael Winterbottom **
Crimes et délits (1989) de Woody Allen ****
Muriel ou le Temps d'un retour (1963) d'Alain Resnais ***
Miss Oyu (Oyû-sama, 1951) de Kenji Mizoguchi ****
Printemps Tardifs (Banshun, 1949) de Yasujirô Ozu ****
Pris au piège (Caught, 1949) de Max Ophuls ***



Lecture


Romans :

Notre vie dans les forêts (P.O.L, 2017) de Marie Darrieussecq **
L'ordre du jour (Actes Sud, 2017) d'Éric Vuillard 
Ils vont tuer Robert Kennedy (Gallimard, 2017) de Marc Dugain ***
L'attrapeur de libellules (10 X 18, 2013) de Boris Akounine ***
Le problème Spinoza (Galaade Editions, 2011) de Irvin Yalom **

Relecture 

Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques? (J'ai Lu, 1985) de Philip K. Dick ***


Essais :

Apprendre à philosopher : Hume
Apprendre à philosopher : Heidegger
Apprendre à  philosopher : Freud
Lettre sur le bonheur : Lettre à Ménécée d'Épicure
Contre-histoire de la philosophie, tome 2 : Le Christianisme hédoniste de Michel Onfray




Bandes dessinées : 

La favorite (Actes Sud, 2015) de Matthias Lehmann ****
Comment naissent les araignées (Casterman,  2015) de Marion Laurent ***
Le sentier des reines (Casterman, 2015) d'Anthony Pastor ****
Tsunami (Futuropolis, 2013) de Pendanx et Piatzszek ❤


lundi 30 octobre 2017

Séquence nostalgie : Nirvana - The Man Who Sold The World



Who knows ? Not me
We never lost control
You're face to face
With the man who sold the world

Reprise par Nirvana lors du MTV Unplugged à New York (1994) de la chanson The Man Who Sold the World, composée par David Bowie et parue en 1970.


dimanche 29 octobre 2017

Le problème Spinoza par Irvin Yalom

Quatrième de couverture

Amsterdam, février 1941. Le Reichleiter Rosenberg, chargé de la confiscation des biens culturels des juifs dans les territoires occupés, fait main basse sur la bibliothèque de Baruch Spinoza. Qui était-il donc ce philosophe, excommunié en 1656 par la communauté juive d'Amsterdam et banni de sa propre famille, pour, trois siècles après sa mort, exercer une telle fascination sur l’idéologue du parti nazi Alfred Rosenberg, qui joua un rôle décisif dans l'extermination des juifs d'Europe ?


Mon avis

Selon le dernier numéro en date du Magazine Littéraire, le virus Spinoza serait plus répandu que la grippe parmi les intellectuels du monde entier, à tel point qu’on pourrait les répartir en sept grandes tribus, dont celles des maxo-spinozistes, des écolo-spinozistes ou des spino-chologues ! Freud l’avait lui-même annoncé : si la psychanalyse avait besoin d’une caution philosophique, elle la trouverait en Spinoza. Je n'ai pas toutes les connaissances nécessaires pour comprendre les subtilités de cette assertion mais ce philosophe du XVIIe siècle, qui voulait à tout prix préserver sa liberté de penser et qui a ouvert la voie aux Lumières, ne pouvait visiblement que susciter l’intérêt de l’auteur et psychothérapeute Irvin Yalom. En restant le plus proche possible des événements historiques connus, l’auteur alterne les chapitres consacrés à ces deux personnages « ayant existé » mais que tout oppose : le juif Baruch Spinoza et le nazi Alfred Rosenberg. 


Si Baruch Spinoza, descendant de la nação (juifs de la péninsule ibérique convertis de force au catholicisme mais restés clandestinement fidèles au judaïsme et qui ont finalement émigré pour fuir l'inquisition), connaîtra une véritable mise au ban de la communauté portugaise juive amsterdamoise de son époque - ce qui lui permettra de ne plus payer les dettes contractées et héritées de son père et de développer sa pensée en toute indépendance -, Alfred Rosenberg – déraciné, orphelin et issu d'une famille germano-balte - n’aura de cesse de lutter contre son sentiment de non-appartenance en devenant l’un des plus fervents partisans du national-socialisme. Deux individus séparés par plusieurs siècles, au cheminement très éloigné l’un de l’autre, mais qu’Irvin Yalom rassemble sous un prétexte romanesque aussi intelligent qu'astucieux. Hélas, la mise en place des personnages de fiction est nettement moins heureuse et donne une impression de grande artificialité ; sans consistance ni incarnation aucune, ils n’existent que pour dévoiler les éléments biographiques et l'évolution de la pensée des personnages historiques. Ce n’est certes pas inintéressant, dans la mesure où ce procédé permet de se familiariser avec quelques-uns de concepts-clés de la philosophie de Spinoza, exposés de façon claire et facilement compréhensible pour le lecteur, mais c’est tout l’aspect romancé qui m’a semblé manquer de vigueur et de caractère. J’ai trouvé également les passages psychanalytiques lourds et déplacés dans ce contexte. Quel dommage aussi de ne pas mettre suffisamment à contribution l’époque florissante du siècle d’or néerlandais, à tel point que l’auteur nous donne presque le sentiment que Spinoza a développé sa pensée en solitaire, sans tenir compte des particularités de la vie sociale, économique, politique, intellectuelle, religieuse et culturelle de la jeune République hollandaise. Je crois que j'aurais préféré plus de références historiques et moins de considérations psychanalytiques plombantes (elles alourdissent inutilement le récit, avec un côté affecté assez pénible à lire) et pas forcément pertinentes.  Une lecture en demi-teinte qui ne m’a guère passionnée, il faut bien le reconnaître. Ceci dit, mon appréciation n'est pas du tout représentative de l'avis de la majorité des lecteurs, qui ont nettement mieux apprécié ce roman de manière générale. A vous de voir, donc.


Le problème Spinoza par Irvin Yalom,  Traduction de Sylvette Gleize, Galaade Editions, 2011, 656 pages



A propos de Spinoza, bibliographie sélective et totalement subjective


Quelques mots sur la biographie de Spinoza par Steven Nadler, édité chez Bayard en 2003 et malheureusement épuisé.  Il s'agirait ni plus ni moins de l'une de ses meilleures biographies, prenant en compte toutes les circonstances historiques et culturelles du développement de la pensée du philosophe, tant sur le plan familial que géographique et social. J'ai trouvé ce livre particulièrement intéressant, notamment lorsqu'il revient longuement sur la formation et l'organisation des communautés juives d'Amsterdam, d'origines diverses et pas toujours en bons termes. Je lirai prochainement Le Clan Spinoza, Amsterdam 1677, L'invention de la liberté par Maxime Rovere (cliquez sur la couverture pour suivre le lien).  Un récit structuré en fragments, composés d'éléments biographiques, historiques et didactiques, passant de la narration à l'essai, et qui se prolonge bien après la mort du philosophe, survenue le 21 février 1677 à La Haye.  Le clan Spinoza désigne donc à la fois un groupe d'hommes et une pluralité de concepts propres à cette époque, qui ont contribué à  l'émergence de la pensée du philosophe. Pour en savoir plus, je vous invite à écouter le podcast de l'émission Les Chemins de la philosophie par Adèle Van Reeth (27/10/2017) : Le clan Spinoza. Ce livre, édité chez Flammarion et récemment publié, est également à l'honneur dans l'émission Matières à penser avec Frédéric Worms (23/10/2017) : La bande à Spinoza.  L'écrivain français, philosophe et traducteur Maxime Rovere est également enseignant à l'université PUC (Pontifícia Universidade Católica) de Rio de Janeiro.


A propos du nazisme, bibliographie sélective et totalement subjective


Parmi mes plus récentes lectures, je vous conseille le monstrueux Central Europe de William T.  Vollman. Véritable pieuvre littéraire aux multiples tentacules, sorte de Léviathan sorti des enfers de la guerre et du pouvoir totalitaire, tout semble hors norme dans ce récit. Mais quel récit ! Je passerai ensuite à Jonathan Littell et son "fameux" Les Bienveillantes, très discuté et très discutable.  Je ne sais toujours pas quoi en penser, si ce n'est qu'il a eu le mérite de démonter ma croyance en une mécanique bien huilée et trop parfaite du nazisme, alors qu'il y avait le plus souvent une désorganisation complète, y compris lors des exécutions. Ce roman m'a donné la nausée, je n'y reviendrai plus jamais. Jonatha Littell remet le couvert avec son essai Le sec et l’humide, une brève incursion en territoire fasciste.  L'auteur s’applique à étudier le texte du fasciste Léon Degrelle à travers la grille d’analyse proposée par Klaus Thewelet, qui avait développé une approche inédite du fascisme en analysant la structure mentale de la personnalité fasciste.  Il en viendra à considérer le fasciste non pas comme le fruit d’une idéologie mais comme la traduction d’états corporels dévastateurs, qu’il nomme le « mâle-soldat ».  Je ne sais toujours pas quoi en penser non plus, si ce n'est que Jonathan Littell aime provoquer et déranger. Enfin, je vous propose Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933 de Sebastian Haffner, qui a vécu de l'intérieur la montée en puissance du nazisme. 

D'aussi loin que je m'en souvienne, le nazisme m'a toujours traumatisée. A tel point que ces images de rassemblement des foules avec un Hitler vociférant, vues et revues à la télévision quand j'étais enfant, ont déclenché en moi la phobie des foules. J'ai lu énormément sur le nazisme, mais aussi une très intéressante biographie sur Hitler écrite par Alan Bullock : Tome 1, Hitler ou les mécanisme de la tyrannie, l'ascension et le Tome 2,  Hitler ou les mécanisme de la tyrannie, l'apogée et la chute. Tous les deux édités dans la collection Marabout Université en 1963. Comment se sont-ils retrouvés un jour dans ma bibliothèque ? Je ne m'en souviens plus mais ces deux tomes ne m'ont jamais quittée depuis lors.



Enfin, deux romans lus il y a très longtemps mais dont je garde précieusement le souvenir : Le Roi des Aulnes de Michel Tournier et La mort est mon métier de Robert Merle. Deux romans qui m'ont marquée durablement. Puis comment oublier Maus : Intégrale par Art Spiegelman.


Enfin, je termine cette présentation avec Après la guerre (Une histoire de l'Europe depuis 1945) de Tony Judt, une lecture déjà entamée mais qui va encore m'accompagner de très longs mois.  Je cite la quatrième de couverture : La reconstruction, le déplacement forcé de populations, la mémoire de l'Holocauste et du communisme, la guerre froide ont marqué l'Europe de l'après-guerre. L'historien décrit les évolutions politiques, économiques, sociales et culturelles, à l'échelle du continent ou du pays, dans l'Europe de la seconde moitié du XXe siècle.

J'ai lu plus d'une centaine de pages et il me semble très prometteur. 

vendredi 27 octobre 2017

Comment naissent les araignées de Marion Laurent

Extrait

Raconte-moi une histoire...

   Tu sais comment naissent les araignées ?

Non.

  J'ai vu ça dans un reportage sur l'amazonie. La femelle trimballe pendant des semaines ses cocons sur  son abdomen. Quand l'éclosion arrive, elle se planque pour éviter les prédateurs. Les œufs s'ouvrent et là, c'est vraiment dégueulasse.  Y'a plein de machins translucides qui grouillent, dans tous les sens...   Bientôt, les bébés ont faim. Et la première chose qu'ils voient, c'est leur mère...  Alors ils la grimpent et se mettent à la bouffer, vivante.



Mon avis

Portrait croisé de trois femmes des années 90 dans une ville banale de l’Amérique. Et celui d’un jeune homme et d’une histoire d’amour qui s’inscrit en filigrane, dans le premier et le dernier chapitre. Leur point commun ? Des failles ou encore l’incompréhension, les malentendus, les silences ou la difficulté de se construire dans les familles où l’un des parents est absent. Les relations Fille/Mère sont particulièrement abordées, avec toute la difficulté de s’émanciper du joug maternel, qui veut protéger mais qui étouffe, recourant parfois à la violence, frontale ou indirecte, par délégation de l’autorité sur le grand frère. La question de la transmission et de la filiation, de la construction de son identité, de ses choix et de leurs implications. C’est aigre-doux, mélancolique et touchant à la fois. Des portraits sensibles et délicats portés par des traits simples et épurés aux couleurs chaudes. Une jolie surprise en ce qui me concerne, avec l’envie d’aller plus loin en compagnie de Marion Laurent.


Biographie & Bibliographie de Marion Laurent

En 2001, après un bac littéraire et des études supérieures en Arts Graphiques, Marion Laurent fait ses premiers pas dans le monde de la Bande Dessinée grâce à des stages aux éditions Cornélius et Charlie Hebdo. Repérée en 2006 par Futuropolis, elle publie son premier roman graphique, Entre deux averses, qui s'inspire librement de la vie de sa grand-mère paternelle. Suivront rapidement deux autres ouvrages chez le même éditeur : Roudoudou blues (2007) et À l'ombre des murs (2009). Trois ouvrages basés sur un scénario de son compagnon, Arnaud Le Roux. Son premier album en tant qu'auteur complet est publié en mars 2015 : Comment naissent les araignées, chez Casterman. 

La famille, la transmission, la mort et le temps qui passe sont généralement au cœur de ses récits.



Comment naissent les araignées, scénario et dessin de Marion Laurent, Editions Casterman, 2015, 160 pages

mardi 24 octobre 2017

L’ordre du jour d'Eric Vuillard

Extrait

Nous sommes un lundi, la ville remue derrière son écran de brouillard. Les gens se rendent au travail comme les autres jours, ils prennent le tram, l’autobus, se faufilent vers l’impériale, puis rêvassent dans le grand froid. Mais le 20 février de cette année-là ne fut pas une date comme les autres. Pourtant, la plupart passèrent leur matinée à bûcher, plongés dans ce grand mensonge décent du travail, avec ces petits gestes où se concentre une vérité muette, convenable, et où toute l’épopée de notre existence se résume en une pantomime diligente. La journée s’écoula ainsi, paisible, normale. Et pendant que chacun faisait la navette entre la maison et l’usine, entre le marché et la petite cour où l’on pend le linge, puis, le soir, entre le bureau et le troquet, et enfin rentrait chez soi, bien loin du travail décent, bien loin de la vie familière, au bord de la Spree, des messieurs sortaient de voiture devant un palais. On leur ouvrit obséquieusement la portière, ils descendirent de leurs grosses berlines noires et défilèrent l’un après l’autre sous les lourdes colonnes de grès. 

Ils étaient vingt-quatre, près des arbres morts de la rive, vingt-quatre pardessus noirs, marron ou cognac, vingt-quatre paires d’épaules rembourrées de laine, vingt-quatre costumes trois pièces, et le même nombre de pantalons à pinces avec un large ourlet. Les ombres pénétrèrent le grand vestibule du palais du président de l’Assemblée ; mais bientôt, il n’y aura plus d’Assemblée, il n’y aura plus de président, et, dans quelques années, il n’y aura même plus de Parlement, seulement un amas de décombres fumants.


Mon avis

Nous sommes le 20 février 1933.  Hitler est au pouvoir mais il a besoin d'argent : les moyens financiers du parti nazi sont exsangues. Comme toujours, les pouvoirs économiques et politiques arrivent facilement à s'entendre et ce sont plusieurs fleurons de l’industrie allemande qui seront conviés à une réunion pour soutenir financièrement le parti, non sans retour sur investissement par la suite. L’Anschluss aura lieu le 12 mars 1938, avec le consentement du chancelier autrichien Kurt von Schuschnigg, petit dictateur fantoche sans envergure et rapidement destitué par le Fuhrer. 

L'écrivain s'en donne d'ailleurs à coeur joie lorsqu'il nous restitue la rencontre entre ces deux personnages.  Nous retrouvons ce ton ironique lors d'un déjeuner à Londres, le jour même de l'annexion de l'Autriche, en compagnie du premier ministre Neville Chamberlain et de l'ambassadeur allemand Joachim von Ribbentrop, qui se livre à un bavardage intempestif pour mieux empêcher le britannique de réagir à la nouvelle, trop soucieux de ne pas paraître impoli à son invité et ce, malgré l'urgence de la situation. 

Absurde, risible, c'est toute la complaisance des élites politiques françaises et anglaises qui sera dénoncée dans ces pages, écornant l'image de ces hommes d'Etat devenus de véritables marionnettes dans les mains d'Hitler, alors qu'il était encore temps de réagir. Car Hitler avance à coups de bluff dans ce grand théâtre politique : les mascarades, hâbleries et autres fanfaronnades éclipsent une opération militaire quasi improvisée. Loin des images de propagande, on ne compte plus les véhicules blindés allemands qui n’avancent plus sur les routes autrichiennes le jour de l'annexion, tombés en panne ou présentant de graves défaillances dès leur construction. C'est d'ailleurs la lecture de cet épisode dans les mémoires de Winston Churchill qui amènera l'auteur de ce récit à s'intéresser à ce moment d'histoire, porté par un regard critique et sans complaisance sur le passé.  Et ce d'autant plus que ce regard traverse le prisme du présent, avec toutes les connaissances acquises au fil du temps, que ce soit par les comptes-rendus du procès de Nuremberg que de l'ouverture des archives ou l'accès aux transcriptions des écoutes téléphoniques. Extrêmement bien documenté, la construction très réussie de ce récit, qui se révèle vif, instructif, grave et ironique à la fois, s'accompagne d'une belle incarnation des personnages dans une puissance d'évocation qui soulève l'enthousiasme du lecteur.  Je vous conseille vivement cette lecture. Quant aux grands industriels allemands, ils sortiront de la guerre quasiment impunis et retrouveront très vite la marche florissante des affaires. L'argent n'a pas d'odeur, tout le monde le sait...



L’ordre du jour d'Eric Vuillard, Actes Sud, 03/05/2017, 160 pages

Ajout le 06/06/2017 :  Le prix Goncourt vient de récompenser Eric Vuillard pour « L’Ordre du jour ». 


lundi 23 octobre 2017

Kafka de David Zane Mairowitz & Robert Crumb

Avant d’être réduit à un adjectif (kafkaïen désigne un système bureaucratique absurde et sans visage, générant angoisse et amertume), Franz Kafka, né en 1883, était un habitant juif du ghetto de Prague. Ce plus vieux ghetto d’Europe, véritable "petite mère" avec ses " griffes", lui devint vite étouffant bien qu’il choisisse néanmoins d’y vivre jusqu’à la fin de sa vie, à l’exception des derniers mois de son existence.

Prague faisait encore partie à cette époque de l’empire des Habsbourg de Bohême, empire dans lequel coexistaient de nombreuses langues et tendances sociopolitiques. Un tel environnement n’était guère propice à la constitution d’une identité claire et précise. Kafka en fera également les frais : juif tchèque parlant la langue officielle de l’empire, à savoir l’allemand - langue qui avait l’avantage d’être proche du yiddish - Kafka, qui en réalité n’était ni tchèque ni allemand, se trouva confronté à la montée du nationalisme tchèque alors que les allemands méprisaient ouvertement les tchèques. Quant aux juifs… tout le monde les haïssait. Impossible dans ces conditions de faire abstraction de la haine antisémite qui l’entourait. Plutôt qu’affronter cette peur des autres, Kafka préféra la refouler et la retourner contre lui-même, quitte à vouloir se transformer en infâme insecte rampant rapetissant afin de parvenir à disparaître, essayant en vain de ne point causer au monde trop de déplaisir. Mais la plus grande crainte de Kafka restera son propre père, véritable représentant de l’autorité face à laquelle Kafka éprouvera toute sa vie une terrifiante terreur. L’absence de rébellion se transformera rapidement en maladies psychosomatiques ou en dépréciation de soi.

« Kafka » de David Zane Mairowitz, illustré par Robert Crumb (pionnier de la BD américaine), est une vraie mine d’or concernant la vie, l’univers et les œuvres de Kafka. Biographie graphique de l’auteur, nous retrouvons également pas mal d’illustrations de ses récits les plus connus tels que « Le château », « Le procès », « La métamorphose » mais également « La colonie pénitentiaire », « Le terrier » ou « Un artiste du jeûne ». Idéal pour découvrir Kafka ou approfondir ses connaissances de l’auteur, qui ne cesse de nous interpeller, de nous questionner tout en demeurant définitivement hors d’atteinte. Cette synthèse de l’œuvre et de la vie de Kafka est absolument passionnante et très intéressante.



Kafka de David Zane Mairowitz & Robert Crumb, Actes Sud, 2007


Lire également sur ce blog :

•  Lettres à Felice de Kafka (citation)
•  La dernière métamorphose de Keiichirô Hirano (roman)
•  Les monstres aux pieds d'argile d'Alexandre Kha (BD)
•  Kafka de Steven Soderbergh (film)

dimanche 22 octobre 2017

Ce n'est pas toi que j'attendais de Fabien Toulmé


La naissance d’un enfant handicapé dans la vie d’une famille affecte différemment chacun de ses membres. Et si la grande sœur de cinq ans s’acquitte de son rôle d’aînée avec une certaine aisance, il n’en est pas de même des parents, qui ne s'attendaient pas du tout à devoir accueillir cette enfant « pas comme les autres », porteuse d'une trisomie non dépistée avant sa naissance.

Mais c’est encore le père, Fabien Toulmé, l’auteur et le narrateur de ce récit, qui éprouve les plus grandes difficultés à affronter ce cataclysme. Avec cette angoisse de ne pas pouvoir répondre à ce précepte,  qu’il a acquis depuis son plus jeune âge et qui fut transmis par sa propre mère : être parent, c’est préparer les enfants à devenir des adultes indépendants en les apprenant à se débrouiller seuls. Comment arriver à un tel objectif lorsque nous sommes parents d’un enfant trisomique ? Fabien a juste l’impression que son monde s’écroule et que tous ses repères s’effondrent avec cette nouvelle naissance. Il passera des pleurs au rejet, de la tristesse à l’incompréhension, de la peur à la colère, de sa nouvelle condition de père d’handicapé à sa culpabilité de ne plus avoir envie d’avoir cet enfant et d'entretenir ce fantasme de pouvoir l'échanger contre un autre. Des parents qui seront bien malgré eux embarqués à destination du monde merveilleux d’Handicap Land, avec sa panoplie de spécialistes pour les aider à prendre soin de leur enfant. 


Et un père qui perçoit toujours sa fille comme une étrangère, qu’il n’arrive pas à toucher ni à prendre dans ses bras. Un changement va s'opérer en lui lorsqu'une intervention chirurgicale à cœur ouvert sera planifiée dans la première année de vie de Julia. Cette étape difficile, qui suscite bien des inquiétudes, sera le déclic déterminant pour enfin cheminer vers l’acceptation et l’amour d’un père pour sa fille. 

Ce témoignage du parcours d’un homme, qui apprend à devenir père d’un enfant qu’il n’attendait pas, est d’une très grande justesse. Ce récit fort et intime, d’une absolue sincérité et sans fard, m’a bouleversée. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, l’humour ne fait jamais défaut. C'est un coup de coeur.

Ce roman a été  chroniqué dans le cadre de la sélection des Prix CL 2017, dans la catégorie Bande Dessinée. Et il apparaît, très justement, en première place du classement.


Biographie & Bibliographie


Fabien Toulmé est né en 1980 à Orléans. Lecteur de bande dessinée classique franco-belge (Tintin, Lucky Luke, Astérix) dès son plus jeune âge, il commence à dessiner à 7-8 ans. Il suit des études d’ingénieur en génie civil et urbanisme, puis il voyage à l’étranger (Brésil, Bénin, Guyane, Guadeloupe) pendant dix ans pour son travail. Suite à des rencontres avec des dessinateurs brésiliens, il rentre en France en 2008 avec l’envie de se consacrer à la BD. Il publie quelques histoires sur le Web puis dans des magazines (Psikopat). Il participe au feuilleton en ligne Les Autres Gens, créé par Thomas Cadène, et aux collectifs Vivre dessous (Manolosanctis) et Alimentation Générale (Vide Cocagne). En 2012, il se rend au Festival d’Angoulême où il propose aux Éditions Delcourt de raconter la naissance de sa fille Julia, porteuse d’une trisomie 21 non détectée pendant la grossesse. Ce n’est pas toi que j’attendais sort en 2014 et remporte un grand succès public et critique.

Source


SCÉNARISTE

Ce n'est pas toi que j'attendais, 2014
Atelier Mastodonte (L'),  2017
Deux vies de Baudouin (Les), 2017

DESSINATEUR

Ce n'est pas toi que j'attendais, 2014
Axolot, 2015
We are the 90's, 2016
Atelier Mastodonte (L'), 2017
Deux vies de Baudouin (Les), 2017



dimanche 15 octobre 2017

PRIX CL 2017

Mon premier bilan littéraire de l'année (lire à ce propos Mes bonnes résolutions livresques de l'année 2017) concerne ma participation au Prix des Lecteurs/Lectrices de Critiques Libres. Inauguré en 2008, le Prix des Lecteurs/Lectrices de Critiques Libres ASBL a pour mission de faire découvrir à ses membres et à tous, en général, des oeuvres littéraires méritant d'être mieux connues. Les finalistes sont issus d'une sélection parmi tous les ouvrages parus trois ans plus tôt et n'ayant pas obtenus de prix majeurs. Les lauréats de cette récompense symbolique sont choisis par vote populaire recueilli sur le site lui-même. Et si nous n'étions pas nombreux à participer, je suis contente d'avoir rempli mon objectif, à savoir lire quatre ouvrages de quatre catégories différentes (sur un total de sept) : la Catégorie Bande Dessinée, la Catégorie Découvrir - Roman traduit, la Catégorie Policiers/Romans Noirs/Thriller et la Catégorie Romans fantastiques & SF.  

Le récapitulatif, en quelques mots :


Catégorie Bande Dessinée


Mon Classement

1) Ce n'est pas toi que j'attendais (Delcourt, 2014) de Fabien Toulmé  ****
2) Le monde d'Aïcha (Futuropolis, 2014) de Ugo Bertotti et Agnès Montanari ****
3) Rouge Karma (Sarbacane, 2014) de Eddy Simon et Pierre-Henry Gomont ***
4) Les gardiens du Louvre (Futuropolis, 2014) de Jirô Taniguchi ***

Le gagnant est : Ce n'est pas toi que j'attendais de Fabien Toulmé

Ce récit d'un jeune père (Fabien Toulmé lui-même) revient sur la naissance de son deuxième enfant, un enfant "pas comme les autres", qu'il n'attendait pas vraiment. Il passe de la tristesse à la colère, de l'angoisse à la culpabilité, du rejet à l'acception et à l'amour de cet enfant différent. Ce portrait sincère d'un père est émouvant, d'une grand justesse et parfois même fort drôle.  Mais son plus grand exploit est de ne jamais verser dans le pathos ni l'apitoiement. Un exercice d'équilibriste parfaitement réussi. J'y reviendrai plus en détails prochainement.


Remarque en passant : les quatre candidats de cette catégorie étaient tous intéressants, tout en étant très différents les uns des autres. Tous méritent d'êtres lus en tout cas. Je vous renvoie à mon billet sur Les gardiens du Louvre, chroniqué à l'époque. Cliquez également sur les couvertures pour accéder à leur présentation respective chez l'Éditeur. 



Catégorie Découvrir - Roman traduit


Mon Classement

1) Nos disparus (Points, 2015) de Tim Gautreaux ****
2) A la grâce des hommes (Pocket, 2016) de Hannah Kent ****
3) Notre quelque part (Zulma, 2016) de Nii Ayikwei Parkes **
4) Le tabac Tresniek (Folio, 2016) de Robert Seethaler **


Le gagnant est : A la grâce des hommes de Hannah Kent

Inspiré de la véritable histoire d'Agnes Magnúsdóttir, la dernière femme condamnée à mort en Islande, ce roman mérite amplement la première place du classement général. Et si je ne lui ai pas accordé la première place dans mon classement, c'est simplement du fait que j'avais déjà lu quelques histoires vaguement similaires dans le passé, deux romans par ailleurs excellents que je vous conseille également : Captive de Margaret Atwood et L'Affaire de Road Hill House de Kate Summerscale.  Je vous renvoie à mon billet concernant Nos disparus de Tim Gautreaux (que j'avais beaucoup aimé) et celui concernant Le tabac Tresniek de Robert Seethaler (nettement moins convaincue).  Cliquez également sur les couvertures pour accéder à leur présentation respective chez l'Éditeur. 



Catégorie Policiers/Romans Noirs/Thriller


Mon Classement

1) Les larmes de Pancrace (Fleuve Noir, 2014) de Mallock ****
2) Le dernier message de Sandrine Madison  (Points, 2015) de Thomas H. Cook ***
3) L’homme de la montagne (10 X 18, 2015) de Joyce Maynard ***
4) Le village (10 X 18, 2015) de Dan Smith **(*)


Le gagnant est : Les larmes de Pancrace de Mallock

Coup de cœur pour ce roman écrit par un auteur français que je ne connaissais absolument pas avant cette lecture. Véritable tourne page, on passe du domaine viticole Corneille de Renom, où il se passe de drôles de meurtres, à plusieurs siècles dans le passé, à l'époque des Templiers plus exactement. Une malédiction ancestrale, une vengeance de femmes, des crimes odieux, quel lien entre le passé et le présent ? J'ai aimé naviguer entre plusieurs époques, et le commissaire Amédée Mallock n'est pas sans me rappeler, enfin de loin mais quand même, le commissaire Adamsberg de Fred Vargas.  Notamment pour ses intuitions fulgurantes, nous sommes donc bien éloignés de Sherlock Holmes, croyez-moi. Depuis cette lecture, j'ai lu d'autres romans de Mallock : Les visages de Dieu et Le principe de parcimonie. Mais mon préféré reste à ce jour Les larmes de Pancrace.

Remarque : tous les romans de cette catégorie furent agréables à lire.  Pas de surprise concernant  Thomas H. Cook, que je connais bien (lire mes billets Les leçons du mal et Les feuilles mortes du même auteur, je me souviens aussi d'avoir lu Au lieu-dit Noir-Étang, que j'avais bien aimé également).  Quant au roman de Joyce Maynard, nous sommes plus dans le roman psychologique que le roman policier, et si je l'ai bien aimé, j'ai trouvé qu'il n'avait pas vraiment sa place dans cette catégorie.



Catégorie Romans fantastiques & SF


Mon Classement

1) Les groseilles de novembre (Le Tripode, 2014) de Andrus Kivirähk ****
2) Bird Box (Le Livre de Poche, 2015) de Josh Malerman ****
3) Le passage du diable (L'école des Loisirs, 2014) de Anne Fine **(*)
4) Celle qui a tous les dons  (L'Atalante, 2014) de Mike Carey **


Le gagnant estLes groseilles de novembre de Andrus Kivirähk


Alors là, je suis heureuse !  Si j'avais beaucoup aimé cette lecture dès sa parution, et qu'il s'est tout naturellement placé en tête de mon classement, je n'étais pas assurée du tout qu'il en serait de même pour les autres participants. Car, il faut le dire, ce roman est vraiment très original dans son genre, et donc pas forcément passe-partout, du genre à ne pas faire l'unanimité. Mais il faut croire que ses qualités ont fait le reste. Je suis tellement contente que j'ai re-publié mon billet , que vous trouverez juste ci-dessous. Pour les plus pressés, c'est ici que j'en parle. 

Ceci dit, Bird Box de Josh Malerman est aussi excellent, et s'il ne fait peut-être pas dans l'originalité,  il est très très efficace. J'en parle plus longuement ici

Et si vous aimez les secrets de famille, les maisons de poupées et les envoûtements qui les accompagnent, je vous recommande Le passage du diable de Anne Fine, qui n'est pas mal excepté la fin précipitée. Mais attention, il s'agit de littérature jeunesse, ni plus ni moins.

Un peu déçue par Celle qui a tous les dons de Mike Carey, qui avait pourtant un beau potentiel de départ, mais qui s'enlise au fur et à mesure. J'ai vu le film qui en a été tiré récemment, Celle qui a tous les dons (The Last Girl, 2017) de Colm McCarthy, et qui présente exactement les mêmes faiblesses. Ceci dit, pour les fans de zombies, il a quand même le mérite de proposer "autre chose".

Voilà qui clôture les résultats du Prix CL 2017, du moins en ce qui concerne les catégories que j'ai choisies. Bientôt auront lieu les présélections pour le Prix CL2018 !