Je ne pouvais pas participer dignement au challenge « J’aime les classiques » en faisant l’impasse sur l’un des plus célébrissimes d’entre eux, j’ai nommé « Les misérables » de Victor Hugo. Alors ni une ni deux, j’ai retroussé mes manches et me suis lancée dans les quelques deux mille pages que compte le récit dans son intégralité.
« Les misérables » est un roman foisonnant au possible : les digressions y sont fréquentes et s’il existe un fil conducteur principal (l’histoire de Jean Valjean allant de sa sortie du bagne en 1815 à sa mort en 1833), cette composition centrale est sans cesse interrompue par les multiples sinuosités imposées par l’auteur. Et si Victor Hugo n’hésite pas à abandonner son sujet principal pour mieux emprunter les chemins de traverse, c’est pour mieux aborder une multitude de thèmes qui lui sont chers : évocation de l’année 1817 et description de la bataille de Waterloo, condition de détention au bagne et vie du proscrit (marqué à jamais par son infamie et pour lequel les possibilité de rédemption et de réhabilitation sont nulles et non avenues), discussion sur le vocabulaire argotique, portrait de Paris ou présentation du couvent du Petit Picpus, remémoration des barricades lors des journées révolutionnaires de 1832 sans oublier une traversée des égouts de Paris des plus épiques.
Par ailleurs, l’auteur n’hésite jamais à nous rappeler sa présence tout au long du récit, ne se privant pas d’exprimer ses opinions personnelles sur la politique, la religion, l’économie, l’écologie, la moralité et les améliorations sociales nécessaires pour protéger au mieux les femmes et les petits enfants (car « ce sont eux qui souffrent le plus dans notre société » nous dit-il).
L’ensemble n’en est pas pour autant illisible et les personnages – taillés d’une seule pièce, offrant peu de nuances et de subtilités psychologiques mais servant admirablement une vision de l’auteur somme toute assez manichéenne du monde – permettent de servir de points de repère en offrant une certaine continuité au récit.
Contre toute attente et malgré le nombre de pages impressionnant, je n’ai pas trouvé le temps long en compagnie de Victor Hugo, que du contraire ! J’ai énormément apprécié me perdre dans les petits détails et les grandes digressions de l’auteur, apportant ainsi tout le sel nécessaire pour relever le plat principal. J’avoue tout de même avoir eu un peu plus de mal au ¾ du récit (chapitres concernant les barricades) et n’aurais pas dédaigné certains raccourcis lors de leurs évocations. Mais ce ne sont vraiment que quelques broutilles tant j’ai apprécié cette lecture dans son ensemble, malgré les affectations exagérées et le style grandiloquent que peut parfois emprunter la plume de l’auteur.
Il va sans dire que les misérables se taillent la part de lion dans cette histoire, et si l’auteur éprouve de la sympathie et témoigne en leur faveur en prenant la défense des opprimés, il est assez étonnant que les misérables de Victor Hugo ne soient pas ces ouvriers honteusement exploités en ce début du capitalisme mais essentiellement les plus faibles tels que les femmes, les vieillards et les petits enfants, tel le petit Gavroche :
« Cet enfant était bien affublé d’un pantalon d’homme, mais il ne le tenait pas de son père, et d’une camisole de femme, mais il ne la tenait pas de sa mère. Des gens quelconques l’avaient habillé de chiffons par charité. Pourtant il avait un père et une mère. Mais son père ne songeait pas à lui et sa mère ne l’aimait point. C’était un de ces enfants dignes de pitié entre tous qui ont père et mère et qui sont orphelins.
Cet enfant ne se sentait jamais si bien que dans la rue. Le pavé lui était moins dur que le cœur de sa mère.
Ses parents l’avaient jeté dans la vie d’un coup de pied.
Il avait tout bonnement pris sa volée. »
Pour terminer ce billet, je ne vous ferais pas l’affront de vous présenter les personnages principaux dans la mesure où tout le monde les connaît tant ils sont devenus des archétypes mais j’aimerai revenir sur l’un d’eux, le très âgé mais néanmoins truculent M. Gillenormand, qui est un de mes personnages préférés :
« M. Gillenormand, lequel était on ne peut plus vivant en 1831, était un de ces hommes devenus curieux à voir uniquement à cause qu’ils ont longtemps vécu, et qui sont étranges parce qu’ils ont jadis ressemblé à tout le monde et que maintenant ils ne ressemblent plus à personne. C’était un vieillard particulier, et bien véritablement l’homme d’un autre âge, le vrai bourgeois complet et un peu hautain du dix-huitième siècle, portant sa bonne vieille bourgeoisie de l’air dont les marquis portaient leur marquisat. Il avait dépassé quatre-vingt-dix ans, marchait droit, parlait haut, voyait clair, buvait sec, mangeait, dormait et ronflait. Il avait ses trente-deux dents. Il ne mettait de lunettes que pour lire. Il était d’humeur amoureuse, mais disait que depuis une dizaine d’années il avait décidément et tout à fait renoncé aux femmes. Il ne pouvait plus plaire, disait-il ; il n’ajoutait pas : Je suis trop vieux, mais : Je suis trop pauvre. »
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