lundi 1 février 2010

Les brumes du passé de Leonardo Padura

La Havane, été 2003. Mario Conde, ex-flic désabusé et mélancolique, a quitté la police depuis maintenant 14 ans et vit de sa passion des livres.

Les temps sont difficiles, les mentalités ont bien changé et l’économie du pays est au plus mal, à tel point que certains se voient contraints de vendre leur bibliothèque pour pouvoir subvenir à leurs besoins.

C’est ici que Mario Conde intervient : faisant le commerce des livres anciens, il lui arrive de prospecter les grandes maisons anciennement majestueuses mais aujourd’hui décrépies dans l’espoir d’être le premier à mettre la main sur les plus belles bibliothèques que leurs murs seraient susceptibles d’abriter, devançant ainsi ses confrères dans la mesure où cette profession connaît une concurrence aussi féroce que les temps sont difficiles.

La décrépitude de ces anciennes maisons de maître peut traduire la situation financière précaire de ses occupants, qui seront peut-être tentés de vendre leurs livres pour amoindrir les privations auxquelles ils sont confrontés jour après jour. C’est lors d’une de ses visites que Mario Conde découvre une majestueuse bibliothèque composée de livres anciens aussi rares que recherchés. La maigreur et la pâleur des occupants visiblement dans le besoin lui prédisent des perspectives financières extraordinaires autant qu’inespérées, lui assurant une large part de bénéfice dont il compte bien en faire profiter ses meilleurs amis pour faire bombance et ripaille, toujours les bienvenus en ces temps de disette et de restriction générale.

C’est en compulsant l’un de ces volumes qu’il découvre une photo de la très belle Violeta del Rio, une chanteuse de boléro des années 50 qui annonce qu'elle abandonne la chanson. Intrigué par cette photo, et ne sachant pas ce que cette femme est devenue depuis lors, Mario Conde – qui a l’intuition du fin limier qu’il fut que quelque chose se trame dans cette maison – décide de partir sur les traces de cette femme et de mener sa propre enquête…

Roman sur les trahisons, la perte des illusions et des promesses non tenues, que ce soit du point de vue relationnel qu’idéologique, Leonardo Padura conduit son personnage fétiche sur les chemins de l’histoire de Cuba, passant des années folles des cabarets et chanteuses de boléro aux années de drogues et de prostitutions sous la dictature de Batista à la révolution communiste des années 60, révolution qui aboutira à la situation désastreuse que Cuba connaît encore à ce jour.

Nous vivons ces soubresauts de l’histoire en compagnie de ces personnages jetés sur l’échiquier de la vie, contraints de se débrouiller dans la tourmente provoquée par les changements économiques, politiques et idéologiques que connaîtra le pays au fil des décennies.

Mario Conde est un personnage extrêmement attachant : digne et intègre, opposé à la violence et aux compromissions, il n’est plus qu’un homme de quarante ans passé déçu qui ne croit plus en rien si ce n’est en l’amitié. La promesse d’un avenir meilleur promis par la révolution n’est plus qu’un lointain souvenir, reste la désillusion et l’incertitude de tous les jours.

Il se rend compte également qu’il a perdu le contact avec la nouvelle génération cubaine en quittant ses habits d’inspecteur : n’étant plus confronté aux rixes et faits répréhensibles que subissent quotidiennement ses ex-confrères, c’est toute la jeunesse cubaine qui lui est devenue étrangère. Une jeunesse obligée de vivre au jour le jour et de survivre jusqu’au lendemain, une jeunesse qui n’a plus luxe de se prévaloir de valeurs morales, philosophiques ou idéologiques mais qui vit de la débrouille et des combines parfois des plus avilissantes, seule la circulation des dollars trouvant grâce à leur yeux. Voilà le triste héritage que leur ont légué bien malgré eux les hommes de la génération de Mario Conde…

« Les brumes du passé » est un roman noir nostalgique et mélancolique du meilleur cru.


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