« Ces gens ne sont plus de saison et ils ne s’en rendent pas compte… »
Nous sommes en septembre 1944. La ville de Sigmaringen, située dans le land de Bade-Wurtemberg en Allemagne, est une ville relativement épargnée par les horreurs de la guerre grâce à sa situation dépourvue d’industries. Une ville relativement calme et paisible car dénuée d’intérêt stratégique pour les alliés, du moins jusqu’au jour où débarque la « Commission gouvernementale de Sigmaringen », nom du gouvernement en exil du régime de Vichy, dont le maréchal Pétain et le président Laval, accompagnés de leurs ministres. S’y ajoutent une troupe de miliciens et plus d’un millier de civils français, parmi lesquels se retrouve le célèbre écrivain Céline. Si le petit peuple vit pauvrement dans le bas de la ville, le gratin s’installe dans le haut château de Sigmaringen, réquisitionné pour la cause. Le moins que l’on puisse dire est que ce petit monde ne s’entend guère, et si les uns essayent d’effacer un passé trouble, certains sombrent dans la mélancolie ou l’ennui de l’attente pendant que d’autres rêvent encore de légitimité. Julius Stein, le majordome général du château de l’illustre lignée des Hohenzollern, dont la vocation est de tout entendre sans rien écouter, doit assurer l’intendance du lieu tout en naviguant entre les rumeurs d'espionnage, les jalousies et autres rancœurs « des invités » du château.
Voilà une partie de l’histoire de France que je connaissais mal, et c’est donc avec beaucoup d’intérêt que j’ai commencé à lire ce roman, qui revient sur une page sombre de son histoire. Hélas, de nombreux noms de personnalités politiques françaises qui me sont totalement inconnues ont émaillé ce récit, freinant quelque peu mon enthousiasme et ma vitesse de lecture. Ceci dit, je suis arrivée à faire abstraction de cet obstacle en me focalisant sur l’atmosphère de débâcle de la fin d’un règne, tout en me raccrochant malgré tout à quelques noms mieux connus. Les parties romancées ne m’ont pas toujours convaincue non plus, présentant notamment un majordome un brin trop conventionnel et une histoire d’amour qui n’y avait pas forcément sa place. Malgré ces bémols, je suis satisfaite de ma lecture, qui fut riche en découvertes. Un roman qui insiste aussi sur la face cachée de certains personnages, qui laisseront tomber le masque le moment venu. Une première lecture de Pierre Assouline engageante et qui n’en restera pas à ce seul roman.
Un autre extrait :
« Le problème avec la gentillesse, c’est qu’elle est aussitôt prise pour une manifestation de faiblesse, surtout en temps de guerre, et plus encore quand des brutes sont au pouvoir. Quand comprendront-ils que la vraie force est celle qui protège, non celle qui oppresse et détruit ? »
Le château de Sigmaringen |
Sigmaringen de Pierre Assouline, Édition Gallimard, Collection Folio, 352 pages, septembre 2015
☆☆☆ ½
Bonjour Sentinelle. Toujours heureux de lire les témoignages de ton amitié pour notre pays ! J'aimerais parfois en dire autant sur la Belgique... hum...
RépondreSupprimerJe dois dire que je suis toujours un peu réticent, quand il s'agit de fictionnaliser l'histoire. À tout le moins, je fais aussi de petites recherches ultérieures pour tenter de comprendre la démarche de l'auteur et essayer de comprendre à quel point il s'est - volontairement ou non - éloigné des faits historiques.
Cela dit, la période est intéressante et sans doute riche d'enseignement. Je n'ai pas envie de lire ça en ce moment, mais je tâcherai de m'en souvenir. Et à ce stade de la discussion, je me souviens vaguement d'un film intitulé "Hôtel du parc", qui évoquait les coulisses du gouvernement encore vichyssois...
Bonjour Martin,
SupprimerJe comprends bien ce que tu veux dire, mais on se rend vite compte que Pierre Assouline évite soigneusement de romancer les parties de son récit dans lesquelles se retrouvent les personnalités politiques françaises collaborationnistes. Au contraire, on sent qu’il s’est extrêmement documenté et qu’il ne prend aucune liberté à ce propos. Et c’est justement les parties plus romancées, avec notamment le majordome, qui ne sont pas les plus réussies. Finalement, je me rends compte avec le recul que c’est encore le château et son histoire qui se révèlent les plus intéressants, et l’auteur en profite d’ailleurs pour explorer le microcosme que constitue la domesticité d’un tel domaine. Le fait qu’il revienne sur l’aristocratie allemande et la place qu’elle a occupé pendant le nazisme était intéressant également.
Assouline est par ailleurs un très bon biographe (Simenon entre autres) et je suis d'accord avec toi que c'est la partie la plus réussie de Sigmaringen. Bien sur il a romancé comme souvent mais c'est un écrivain que j'aime bien dont j'ai lu aussi Le dernier des Camondo et Une question d'orgiueil, tous deux chroniqués.
RépondreSupprimerJ'aimerais beaucoup lire la biographie de Simenon par Assouline. Et celle de Hergé aussi. Décidément, les belges l'inspirent ! Et j'avais déjà repéré Le dernier des Camondo, je vais d'ailleurs lire tes billets le concernant ;)
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