la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom,
le beau nom grave de
tristesse.
C'est un sentiment si complet,
si égoïste
que j'en ai presque honte
alors que la tristesse m'a
toujours paru honorable.
Je ne la connaissais pas,
elle, mais l'ennui, le regret,
plus rarement le remords.
Aujourd'hui quelque chose se
replie sur moi comme une soie,
énervante et douce, et me sépare des autres. »
Ainsi commence le premier roman de Françoise Sagan, paru en 1954 alors qu’elle n’avait que dix-huit ans à peine.
L’histoire se passe dans une villa louée pour l’été sur les bords de la Méditerranée. Cécile, dix-sept ans, y passe ses vacances en compagnie de son père veuf et d’une de ses innombrables maîtresses qui ne font que passer en coup de vent dans sa vie. C’est l’heure également des premiers amours, des premiers rendez-vous, des premières lassitudes aussi. Il ne reste que cette vie superficielle, mondaine, joyeuse et sans importance semble aller de soi pour Cécile, qui s’en contente d’autant mieux qu’aucune femme ne vient jamais s’interposer entre elle et son père Raymond.
« Nous étions de la même race, lui et moi ; je me disais tantôt que c'était la belle race pure des nomades, tantôt la race pauvre et desséchée des jouisseurs. »
Mais plus pour longtemps : la visite d’une ancienne amie de la famille, Anne Larsen, vient troubler cette indolence et cette insouciance languissante. Anne Larsen, contrairement aux jeunes maîtresses écervelées et superficielles de son père, est une femme aussi distinguée qu’intègre et intransigeante sur l’éducation d’une jeune fille.
« Elle fréquentait des gens fins, intelligents, discrets, et nous des gens bruyants, assoiffés, auxquels mon père demandait simplement d’être beaux et drôles. »
Raymond tombe facilement sous le charme de cette femme mûre et raffinée et n’hésite pas à lui proposer assez rapidement de l’épouser. Cécile est également séduite par Anne Larsen mais ne supporte pas l’idée de devoir renoncer à sa liberté et sa vie nonchalante qu’elle connaissait avant son arrivée.
« Il fallait absolument se secouer, retrouver mon père et notre vie d'antan. De quels charmes ne se paraient pas pour moi subitement les deux années joyeuses et incohérentes que je venais d'achever, ces deux années que j'avais si vite reniées l'autre jour ? ... La liberté de penser, et de mal penser et de penser peu, la liberté de choisir moi-même ma vie, de me choisir moi-même. Je ne peux pas dire "d'être moi-même" puisque je n'étais rien qu'une pâte modelable, mais celle de refuser les moules. »
Comment écarter la menace que représente cette femme dans sa vie ? Commence la mise en place d’une sombre machination dont l’aboutissement surprendra Cécile qui en sortira avec un indéniable sentiment de tristesse et de mélancolie.
J’ai beaucoup aimé ce très court roman. Evidemment, on ne lit plus aujourd’hui Bonjour tristesse (titre inspiré d’un poème de Paul Eluard) comme à l’époque de sa sortie en 1954. Objet d’un véritable scandale dans les années 50 où la pilule contraceptive et la libération sexuelle n’existaient pas encore, ce roman ne suscitera plus guère qu’un battement de cils sur les sujets qui ont suscité tant d’acrimonie dans le passé. Il n’en reste pas moins qe ce roman est toujours aussi agréable à lire tant j’ai succombé au charme de l’écriture légère de Françoise Sagan, écriture simple mais non dénuée de profondeur et de subtilité. On peut d’ailleurs facilement comparer son talent d’écrivain à celui d’un peintre ou d’un musicien, tant les mots sans prétention chez Françoise Sagan font penser à ces petites notes de musique qui deviennent rapidement lancinantes ou ces quelques esquisses de grands peintres qui dégagent avant tout spontanéité, aisance et facilité. Car Françoise Sagan est vraiment douée pour créer une atmosphère à partir de quelques phrases simples et légères ; j’ai beaucoup aimé son style fluide, distancié et très visuel ainsi que sa manière de ne pas y toucher tout en allant finalement à l’essentiel : l’amour, la rivalité, la jalousie, la trivialité de l’existence, l’égoïsme, la lâcheté et la superficialité des sentiments.
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