samedi 21 mars 2009

A la recherche du voile noir de Rick Moody



L’innocence n’existe pas.

La dissimulation est essentielle à l’identité.

Ne vous faites pas d’illusion. Couvrez-vous le visage.

Peut-être n’étais-je pas la fin de quelque chose. Peut-être étais-je le début de quelque chose.
 
 
Rick Moody, considéré comme un des auteurs les plus prometteurs de la génération montante américaine, à l’instar d’un Jonathan Safran Foer, Nicole Krauss ou Marisha Pessl, fut remarqué d’emblée lors de  la parution de son  premier roman « The Ice Storm », adapté au cinéma par  Ang Lee. Mais c’est pourtant avec « A la recherche du voile noir » que la France découvre véritablement ce jeune auteur américain.
Le point de départ du récit « A la recherche du voile noir » prend appui sur le conte « Le voile noir du pasteur » de Nathaniel Hawthorne, célèbre auteur américain du 19e siècle. La source d’inspiration de Nathaniel Hawthorne pour l’écriture de ce – très bon – conte est la découverte d’une anecdote portant sur la vie d’un pasteur de son époque : le prêcheur Joseph Moody, qui décida un beau jour de dissimuler pour toujours son visage derrière un voile noir afin d’expier ses pêchés. Il se trouve que ce pasteur, Joseph Moody, porte le même nom que l’auteur Rick Moody. Ce conte fait d’ailleurs partie du mythe familial par excellence dans la mesure où son grand-père revient à plusieurs reprises sur l’histoire de ce prêcheur, ancêtre de la famille Moody rendu célèbre grâce à Nathaniel Hawthorne.
Partir en quête de son ancêtre Joseph Moody devient une obsession pour Rick Moody, quête qui débute le jour même où il plonge dans une sorte de crise paranoïaque aigue, qui le conduira d’ailleurs peu après à la clinique psychiatrique.

« Rien de particulier n’allait mal dans ma vie. C’était une année comme les autres de ma jeunesse, j’avais vingt-cinq ans, et je me réveillai un matin convaincu que j’allais être violé. »

« J’étais convaincu que j’allais être violé, brutalisé, agressé sexuellement par un homme inconnu, pénétré, blessé, inséminé (…), je me retrouvais soudain mal à l’aise en compagnie de la plupart de mes amis hommes. »

« Je méritais d’être violé. »

En crise d’identité et en perte de repères, Rick Moody décide ce jour là de remonter le fil de son histoire en menant une véritable quête d’identité pour arriver à comprendre quel poids le voile de son ancêtre Joseph Moody et sa culpabilité sous-jacente ont pu jouer sur sa propre identité mais également sur la mythologie et la dynamique familiale. La recherche de ce parent lointain conduit Rick Moody non seulement aux sources de sa propre filiation et de sa propre identité mais également aux sources de l’identité collective de la nation américaine en remontant à l’époque des pionniers puritains. Pour y parvenir, plusieurs outils s’offrent à lui : recherche généalogique, autobiographie et auto-analyse, carnet et journaux intimes divers, analyse des écrits de Nathaniel Hawthorne, essai sur l’Amérique et la littérature, symbolisme du voile etc

Le moins que l’on puisse dire est que je suis très mitigée quant à cette lecture : si j’ai beaucoup aimé certains passages, notamment les cinquante premières pages - mention particulière pour l’introduction qui est un petit bijou - j’ai nettement moins apprécié d’autres passages, malheureusement majoritaires.

Le sujet était pourtant des plus emballant : partir de l’analyse d’un conte de Nathaniel Hawthorne s’inspirant de la vie d’un ancêtre pour remonter dans le temps à la recherche d’un des mythes fondateurs de son histoire familiale et individuelle (l’importance de la symbolique du voile, le poids de la conscience et de la culpabilité, la question de la filiation et de l’héritage) était une très belle idée de départ.

Malheureusement, l’auteur multiplie tellement les références et les sources d’investigations plus ou moins heureuses que le récit, trop dense et trop touffu, finit par se disperser au point que nous perdons le fil conducteur. J’ai souvent eu l’impression d’avoir entre les mains une thèse universitaire dans laquelle nous retrouvons toutes les pistes et sources de travail de l’auteur et non un récit à part entière.

Ceci dit, Rick Moody nous prévient de ce qui nous attend par ces quelques lignes : « Les lecteurs qui attendent de ces pages une vie nette et bien ordonnée, une existence faite de baisers octroyés et de romans écrits risquent d'être surpris. Mon livre et ma vie se déroulent par crises, relevant plus de l'épilepsie que du récit. ».
Nous voilà donc prévenu : la lecture de ce livre se mérite, nul doute là-dessus !

Je me suis aussi parfois ennuyée pendant ma lecture, notamment aux chapitres concernant les anecdotes sur sa vie personnelle (sa liaison avec une jeune femme alcoolique, son enfermement volontaire dans un hôpital du Queens, sa toxicomanie, ses tendances dépressives et ses phobies). J’ai trouvé ces passages brouillons, peu intéressants et un peu complaisants, malgré le fait qu’ils nous étaient exposés dans le but de les faire entrer en résonance avec l’histoire de son ancêtre Joseph Moody. Quant à la fin du récit, je dirais qu’elle rattrape le tout dans la mesure où je la trouve très intéressante (je n’en dirai pas plus pour ne rien dévoiler).
En conclusion, nous avons un début très prometteur, un milieu longuet, dispersé et parfois décevant, et une fin surprenante, quand je vous disais que j’étais plus que mitigée ! Mais je ne regrette pas du tout cette lecture car j’y ai trouvé de belles pages, une quête intéressante et une approche originale de la filiation et de la question de l’identité. Je dirai même que ce récit se fait apprécier de plus en plus à mesure que le temps passe : si sa lecture fut souvent pénible, il a réussi remarquablement et à ma plus grande surprise à creuser un sillon profond dans ma mémoire !
A noter, la très bonne nouvelle de Nathaniel Hawthorne, « Le voile noir du pasteur», se trouve à la fin du récit de Rick Moody. La lecture de ce conte m’a d’ailleurs directement menée à la lecture de Contes et récits de Nathaniel Hawthorne, une vraie petite merveille.
 
 « Il était mon sans-abri à moi, mon fou de liberté, mon symbole, mon esprit frappeur. Ce que je veux dire, c'est que le fantôme de la station de métro, en surgissant ainsi, réveilla en moi des choses qui s'y trouvaient bien avant qu'il n'apparût ; il était le spectre de mon enfance, à moins qu'il ne fût plus ancien encore, compte tenu de son formidable pouvoir symbolique ; comme toutes les images persistantes, il était d'une inquiétante étrangeté, il faisait partie de ces choses qui surgissent à la lumière alors qu'elles auraient dû rester dans l'ombre, il participait de la mythologie familiale, de ce qui fait l'essence même de la famille. Que venait-il me dire ? »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire