lundi 12 décembre 2016

Possession de Andrzej Żuławski

Possession de Andrzej Żuławski
Avec Isabelle Adjani, Sam Neill, Margit Carstensen, Heinz Bennent
Anglais, Allemand, Français - 1981

Synopsis

Rentrant d'un long voyage, Marc retrouve à Berlin sa femme Anna et son fils, Bob. Mais rapidement, il se rend compte que le comportement de sa femme a changé. Prise de violentes crises, elle quitte le domicile. L'amie du couple, Annie, révèle à Marc le nom de l'amant d'Anna, Heinrich. Lorsqu'elle disparaît, Marc engage un détective qui découvre bientôt qu'Anna s'est réfugiée dans une étrange demeure où semble se cacher une créature surgie des ténèbres.


Mon avis

Andrzej Żuławski est le cinéaste de l’outrance, de la démesure et de l’expressivité poussée à son paroxysme. Cette hystérisation très présente dans « Possession » n’empêche aucunement le film d’être riche en symboles et interprétations diverses.  Et en cela, j’arrive à faire abstraction (plus ou moins facilement) de tous les excès, en me concentrant volontiers sur les thématiques abordées. Ce film d’horreur est également un film intimiste, psychologique, voire même politique. Le fait de le tourner à Berlin, où le mur de la honte est plusieurs fois filmé, renvoie inévitablement à ce qui sépare, clive et divise. Cette limite imposée n’offre aucune garantie de fournir un sanctuaire qui protège et sécurise mais donne plutôt lieu à un espace clos qui aliène et étouffe, à l'image de ce couple agonissant formé par Anna (Isabelle Adjani) et Marc (Sam Neill). Un mur infranchissable s’est également progressivement érigé entre l'époux, trop souvent absent pour raison professionnelle, et l'épouse, frustrée et dépressive, qui décide de le quitter.


Une certaine schizophrénie paranoïde propre à leur environnement contamine les relations du couple formé par Marc et Anna, qui ne peuvent plus vivre ensemble mais qui n’arrivent pas non plus à se séparer. C’est la passion amoureuse dans toute sa violence, sa folie et sa puissance de destruction. Ce totalitarisme de la sphère sociale, politique et privée engendre ses propres chimères et autres dépravations. Et lorsque Marc rencontre l’amant de sa femme, au demeurant assez décevant, il se dit que cet homme ne peut pas être celui pour lequel son épouse le quitte. Et il découvrira effectivement l'existence d'un autre amant,  bien plus puissant, démoniaque et... performant. 

Je n’en dirai pas plus sur le contenu du film mais sachez qu’il est beaucoup question de clivage, de dédoublement, de métamorphose, de pulsions de vie et de mort, de fantasmes et de sexualité. Mais Possession de Andrzej Żuławski est avant tout un film sur le traumatisme de la séparation et les affres de l'infidélité. Car que demande le mari dès qu’il apprend que sa femme le trompe ? Si son amant fait mieux l’amour que lui. Voilà une obsession qui traverse le film, pour aboutir à une scène surprenante, aussi étrange que dérangeante - ATTENTION SPOILER - celle où le monstre s’accouple avec Anna en pleine jouissance sous le regard de Marc, qui se retrouve tout à la fois bouleversé, fasciné et excité. Cette séquence est vraiment réussie sur le plan symbolique car elle illustre parfaitement ce que Freud appelait la scène primitive, celle où l’enfant voit ou fantasme le rapport sexuel de ses parents, et dans lequel il associe la violence qu’il croit déceler dans ce corps à corps à l’excitation sexuelle que cela provoque en lui.  Cette scène où le voyeurisme et la perversité rendent compte de l'idéalisation de cet amant tentaculaire, menant Anna à cette extase sexuelle dont elle a tant été frustrée pendant les absences de son époux, témoigne sans conteste du talent d’un réalisateur décidément pas comme les autres. Un réalisateur qui engendre des films aussi monstrueux que ces personnages. Un film dément tant il nous échappe sans cesse, le spectateur ayant bien du mal à départager ce qui est de l'ordre du fantasme, du cauchemar, de la folie ou de la réalité, aussi satanique soit-elle.


Un mot sur l'interprétation d'Isabelle Adjani, qui nous livre une prestation hallucinée absolument bluffante tout au long du film. Mais une scène paroxystique retient toute notre attention, celle de sa possession dans les couloirs du métro berlinois. On se demande où elle a puisé cette énergie pour tout donner d'elle-même dans cette scène. Elle ne gardera d'ailleurs pas un bon souvenir du tournage : « Je dois à la mystique d'Andrzej Żuławski de m'avoir révélé des choses que je ne voudrais jamais avoir découvertes... Possession, c'était un film infaisable, et ce que j'ai fait dans ce film était tout aussi infaisable. Pourtant, je l'ai fait et ce qui s'est passé sur ce film m'a coûté tellement cher... Malgré tous les prix, tous les honneurs qui me sont revenus, jamais plus un traumatisme comme celui-là, même pas... en cauchemar ! ».

Je peux la comprendre, tant j'ai souvent souffert pour et avec elle. Notons que l'acteur Sam Neill ne dépareille pas, tant il se hisse à la hauteur de sa partenaire, dans un registre un peu différent mais néanmoins très convaincant.


Difficile de conseiller un tel film, pas plaisant du tout, radical et assez dérangeant. Je crois que les amateurs de David Cronenberg  (du moins, le Cronenberg à ses débuts) pourront s'y retrouver sans trop de mal. Les réfractaires du réalisateur feront bien de s'abstenir. Andrzej Żuławski me fait aussi penser à Werner Herzog, dans son sens de la  démesure, de la folie des hommes et de la violence des rapports de force. On retrouve d'ailleurs un peu le personnage d'Anna dans celui de Lucy de Nosferatu, fantôme de la nuit de Werner Herzog (autre variation sur le thème de la possession),  interprétée également par Isabelle Adjani. Le film de Werner Herzog est néanmoins nettement plus accessible que celui de Andrzej Żuławski. Je ne sais pas si j'ai aimé Possession mais je ne regrette pas du tout d'avoir vu cet ovni cinématographique. S'il ne faut voir qu'un seul film du réalisateur Andrzej Żuławski, je pense sans me tromper que c'est bien celui-là.



A lire également sur ce blog :

* A propos de Nosferatu de Werner Herzog
* Nosferatu, fantôme de la nuit de Werner Herzog
* Frissons de David Cronenberg 


10 commentaires:

  1. Ton billet m'a donné envie de découvrir ce film, ça a l'air dément ! :D

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    1. Et c'est en cela qu’il est encore le plus surprenant : ce film est toujours aussi dément, 35 années après sa sortie ! Je suis contente de t’avoir donnée envie de le voir. Attention, il faut être en bonne forme car on est tout le temps dans la surenchère, mais il en ressort en même temps quelque chose de très spécial. C’est en tout cas un film qui sent le vécu : la femme de Andrzej Żuławski venait de le quitter et il a vraisemblablement écrit le scénario dans un état euh second. On sent toute la déflagration que cette séparation a provoquée en lui, ça éclate partout et c’est d’une grande violence et d’une grande tension. Il se trouve que j’avais vu au cinéma son dernier film, La fidélité, avec Sophie Marceau. Un traitement très différent mais les mêmes thématiques sur le couple, le désir, la tentation, la trahison et l’infidélité. Encore un film catharsis (Sophie Marceau l’avait trompé dans 'la vraie vie'), mais cela n’a pas empêché le couple de voler en éclat par la suite. Ce fut un coup dur pour Andrzej Żuławski, qui n’a plus tourné ensuite pendant 15 ans. Je suis curieuse de découvrir son ultime film, Cosmos.

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    2. Oooh je ne m'attendais pas à un commentaire pas mal détaillé mais au moins je suis prévenue sur tout ! J'avoue que je n'ai jamais regardé les films de ce réalisateur, ça a l'air spécial et comme tu as l'air de le dire, j'ai l'impression qu'il faut se mettre en condition ! J'espère le voir en tout cas dans ma médiathèque !

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    3. Je peux être bavarde quand je veux :D Oh non, je n'ai pas encore tout dit, il reste encore pas mal de choses à découvrir autour du film, mais je te laisse le soin de le découvrir. Ceci dit, je ne suis pas non plus très fan du réalisateur, je me souviens d'avoir vu, en son temps, les films La Femme publique et L'Amour braque et je n'en ai pas gardé de grands souvenirs : dans l'un, on a envie de couvrir les épaules de Valérie Kaprisky tellement on en a marre de la voir à poil, dans les deux, on se tape LE Francis Huster (ouille). Non, franchement, je ne suis pas fan mais Possession vaut le détour. Faut dire, j'adore cette thématique, au cinéma comme dans les romans.

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  2. Ah oui, je l'ai revu. Je ne me souvenais plus de la fin...
    Isabelle Adjani dans le métro m'a fait mal... On voit bien que c'est un plan séquence. Il n'y a qu'une coupure, et ça dure, ça dure... On voit aussi que sa crise de... je ne sais sa crise de quoi s'enfle à mesure qu'elle joue. Terrifiant.
    Et ce qu'elle fait avec la bestiole !!!
    Et Sam Neil est parfait, tout joli, tout jeunot mais un peu à côté de ses pompes aussi.
    Et l'appartement tout crade, et le mur... Bref, incroyable film. Impossible de dire si j'aime ou pas... j'ai subi, tétanisée.

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    1. Ce plan séquence dans les couloirs du métro berlinois est impressionnante et on souffre avec Isabelle Adjani quand on pense à ce qu'elle a puisé en elle pour parvenir à la jouer de cette manière. Le réalisateur disait dans une interview qu'il avait été lui-même très surpris par sa prestation car il n'avait donné que deux ou trois instructions à l'actrice, bref il ne s'attendait pas à cela non plus. Isabelle Adjani n'a pas volé son Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes en 1981, ni son César de la meilleure actrice en 1982.

      C'est film est dément, et on ne peut pas aimer la démence, même si la folie nous fascine aussi.

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  3. Je pense que ce genre de "crise" peut aussi être très libérateur...
    Je me suis surprise à HURLER dans ma voiture très récemment. J'étais toute surprise mais ça a fait un peu de bien.

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    1. Oh je te comprends très bien Pascale. Les personnes qui me connaissent un peu te diront que je suis posée, calme, attentive, empathique etc etc. Les personnes qui me connaissent très bien te diront que je peux aussi être très nerveuse, impatiente et colérique. Je fais partie de ceux qui pensent qu'exprimer sa colère, cela peut faire du bien et c'est finalement très sain aussi. Enfin parfois.

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  4. Tu as raison de tracer un lien avec Nosferatu. En fait le rôle d'Adjani dans Possession m'a ramené à plusieurs de ses rôles de fêlées. Je ne m'étais pas rendu compte à quel point finalement l'actrice entretenait ce thème à travers ses choix.

    Le film est intéressant aussi pour le contexte de Guerre froide et la description proposée de Berlin... Une ville devenue fantastique. Cronenberg, oui, et Lovecraft !

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    1. Isabelle Adjani a souvent été attirée par des rôles qui la mettent en danger, très proches de la folie (Camille Claudel), de la perte de contrôle, de la possession en général (d'un vampire dans Nosferatu ou d'un délire amoureux dans L'histoire d'Adèle H.). Je la comprends, ce sont des rôles d'une grande puissance d'évocation, vertigineux, fascinants et répulsifs à la fois.

      J'ai rarement vu un film qui ouvrait autant de pistes de réflexion (intime, psychologique, sociologique, politique, sociétal...), et en cela aussi, il est monstrueux.

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