Reflets dans un oeil d'or (1941) est le second roman de Carson 
McCullers, écrit à l’âge de vingt-neuf ans, après son premier roman Le 
Coeur est un chasseur solitaire (1940). 
Nous sommes dans le Sud, à un poste militaire américain. Nous savons
 qu’un meurtre a été commis il y a quelques années : le Capitaine 
Penderton a donné la mort au jeune soldat Williams, qu’il
    avait trouvé une nuit au chevet du lit de sa femme endormie, la trop
 belle et sensuelle Léonore Penderton.
  
Carson McCullers revient sur les lieux du crime et nous présente tous les acteurs de ce drame en gestation. Léonore Penderton, délaissée sexuellement par son mari, est la 
maîtresse du Commandant Langdon. L’épouse du Commandant Langdon, Alison 
Langdon, est une jeune femme en dépression depuis le décès
    de leur petite fille.  Au bord de la folie, elle demeure une énigme 
pour son époux qui s’en éloigne chaque jour davantage. Alison Langdon 
trouve refuge auprès de l’attention bienveillante
    prodiguée par Anacleto, un jeune philippin asexué recueilli par 
Alison, devenu depuis domestique de la maison, qui tient d’ailleurs plus
 de l’homme de compagnie qu’autre chose.
  
Si Alison est folle de douleur en découvrant l’infidélité de son 
époux, il n’en est pas de même du Capitaine Penderton, homme complexé, 
étriqué, impuissant et rigide qui n’assume pas ses
    tendances homosexuelles et qui fantasme avant toute chose sur les 
amants de son épouse.
  
Ajoutons à ces joyeux lurons Oiseau de Feu, l’étalon fougueux de 
Léonore, symbole de la sexualité et de la virilité dans toute sa 
splendeur.
  
Voilà le décor planté, une sorte de huit clos étouffant propice à la
 tragédie et au drame passionnel. Incommunicabilité, solitude, 
isolement, refoulement, sexualité non assumée (le Capitaine
    Penderton) ou exacerbée (Léonore Penderton), pulsions dévastatrices 
et mortifères, non-dits, nous sommes bien dans un roman de Carson 
McCullers.
  
Mais contrairement à son premier roman Le Coeur est un chasseur 
solitaire, les protagonistes de cette histoire ne sont pas du tout 
attachants, que du contraire !
  
Personne ne semble trouver grâce aux yeux de l’auteure, qui nous les
 présente tous avec leurs petites manies détestables, leur lâcheté, leur
 perversité, leur petitesse. Même la troublante,
    lascive et très sensuelle Léonore Penderton en prend pour son 
grade ; elle est également décrite comme une femme castratrice et peu 
intelligente si pas franchement idiote par Carson
    McCullers (l’auteure aurait-elle quelques comptes à régler avec sa 
propre féminité ? Comme si toute sexualité épanouie ne pouvait qu’être 
le fruit d’une animalité assumée).
  
Ce roman est très freudien par l’omniprésence des pulsions sexuelles
 contrariées, infécondes,  sans oublier la cohorte des mécanismes 
défensifs des uns et des autres, les multiples relations
    triangulaires, le refoulement des pulsions et le retour du refoulé 
ravageur et délétère.Jusqu’au nom du jeune philippin recueilli par Alison !
  
Pour les non férus de la psychanalyse, sachez que son prénom « 
Anacleto » renvoie au terme « Anaclitisme » (vient du grec « s’appuyer 
sur »), qui caractérise les
    relations d’une personne fragilisée qui n’a pas dépassé la phase de 
séparation (cas d’Alison qui n’a jamais fait le deuil de sa petite fille
 décédée) et qui éprouvera toujours le besoin de
    s’appuyer sur l’autre pour dépasser cette angoisse. Jamais prénom 
n’aura été si bien porté par un personnage dans un roman ;-)
  
Le roman Reflets dans un oeil d'or a été porté à l'écran par John 
Huston et interprété par Elisabeth Taylor et Marlon Brando. J’avoue 
n’avoir jamais pu regarder le film jusqu’au bout, trouvant
    les acteurs irritants au possible. Trop d’hystérie dans ce film 
adapté par John Huston, qui aurait pu se contenter d’adapter fidèlement 
le roman mais qui, au contraire, en rajoute encore un peu
    plus. Je me souviens notamment de cette scène où  Léonore Penderton 
(jouée par Elisabeth Taylor)  fouette son époux  le capitaine Penderton 
(joué par Marlon Brando) pour le châtier
    (le castrer) d’avoir malmené son bel étalon Oiseau de Feu. J’ai 
trouvé cette scène ridicule dans son excessivité et son côté trop 
démonstratif mais bon, c’est mon avis et je le partage, sans pour
    autant vouloir froisser ceux qui ont aimé le film ;-)
  
J’ai préféré nettement le roman au film, plus subtil dans le propos 
et qui dépasse de loin le roman passionnel classique en se posant comme 
un véritable kaléidoscope des impulsions et
    comportements humains : il décrit avant tout les meurtrissures de 
l’âme.
  
Début du roman :
  
« Un poste militaire en temps de paix est morne. Il s’y passe des choses, mais qui reviennent, toujours semblable. Le plan même de l’ouvrage en accroît la monotonie : l’énorme caserne de béton, les rangées proprettes de maison d’officiers construites toutes sur le même modèle, le gymnase, la chapelle, le terrain de golf et la piscine – ce n’est que lignes rigides. Mais peut-être la tristesse du poste réside-t-elle surtout dans sa solitude et dans l’excès de loisir et de sécurité, car du jour où on s’est engagé dans l’armée, on est destiné à emboîter le pas de celui qui va devant vous. Aussi bien, il arrive parfois des choses dans un poste militaire, qui ont peu de chance de se reproduire. Il y a un fort dans le Sud, où il y a quelques années un meurtre fut commis. Les acteurs de ce drame étaient deux officiers, un soldat, deux femmes, un philippin et un cheval. »

 
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