mardi 25 novembre 2008

Central Europe de William T. Vollmann


« Central Europe » est une fresque historique colossale de l'Europe centrale de 1914 à 1975, mais pas seulement… véritable monstre littéraire aux multiples tentacules,  sorte de Léviathan sorti droit des enfers de la guerre et du pouvoir totalitaire, tout semble hors norme dans ce roman : le nombre de thématiques - la grande histoire, la petite histoire, l’universel, l’intime, la guerre, les batailles, les stratégies militaires, l’art, la politique, l’amour, la souffrance, le totalitarisme, le nazisme, la shoah - le nombre d’heures passées à la recherche biographique - le nombre de personnages - le nombre de chapitres - l’épaisseur du volume, une œuvre de plus de 800 pages pour se confronter à la guerre, plus précisément au front de l’Est de l’Allemagne nazie et de l’Union soviétique staliniste durant la deuxième guerre mondiale.
 
Pour ce faire, l’auteur met en scène une trentaine de récits enchevêtrés, tel un chef d’orchestre jouant une symphonie monumentale composée d’autant de mouvements que de personnages émaillant son récit, chacun renvoyant à l’autre, parfois entrant en résonance, parfois en dissonance, mais évoluant toujours dans un même ensemble harmonieux. La plupart des personnages ont réellement existé, dont beaucoup que je ne connaissais absolument pas et qui ont connu un tel destin que je me demande encore comment j’ai pu passer à côté d’eux, trop concentrée sans doute sur la grande histoire pour ne pas prendre le temps de découvrir ces visages pris dans la tourmente de la guerre, au destin incroyable et souvent tragique.
 
Malgré la multitude des personnages composant ce roman, l’auteur William T. Vollmann s’attache  à  un personnage récurrent, Dimitri Chostakovitch, célèbre compositeur russe et  l'un des plus grands musiciens de l'époque moderne,  un artiste qui vécu sous la botte du totalitarisme et qui côtoya la guerre lors du siège de la ville de Leningrad.  L’auteur disserte également beaucoup sur l’art et le principe créatif, le rapport qu’il entretient avec les événements temporels et la gestation des œuvres sous le joug de la dictature par l’entremise du compositeur Dimitri Chostakovitch  mais aussi du cinéaste soviétique Roman Karmen, la femme sculpteur – graveur – dessinatrice allemande Käthe Kollwitz ou la poétesse russe Anna  Akhmatova.
 
J’ai beaucoup apprécié le fait que Vollmann donne souvent la parole aux femmes pour embrasser l'histoire : Fanny Kaplan, une militante du Parti socialiste-révolutionnaire russe qui tenta d'assassiner Lénine, Nadejda Kroupskaïa , l'épouse de Lenine, les artistes Käthe Kollwitz, Anna Akhmatova ou  Marina Tsvetaeva.  Un autre visage singulier hante les pages de ce roman, celui de Zoïa Kosmodemianskaïa, figure emblématique de l’union soviétique qui fut pendue et mutilée par les nazis à l'âge de 18 ans pour avoir incendié des étables. Devenue une véritable héroïne soviétique après son exécution, elle aurait  déclaré à ses bourreaux avant sa mise à mort : " Vous ne pourrez pas pendre cent-quatre-vingt-dix- millions de Soviétiques." La photo de cette jeune femme morte, le corps abandonné dans la neige, gelé et aux seins mutilés m’a toujours bouleversée et je n’ai pas été surprise d’apprendre que Jonathan Littell avait eu l'idée d'écrire son roman « Les Bienveillantes » en voyant cette photographie.
 
L’aspect militaire n’est pas en reste, car entre le funambule Hitler et le réaliste Staline, il y a le pacte germano-soviétique l’opération Barberousse, le siège de Leningrad, la bataille de Stalingrad, la bataille de Koursk… et l’histoire incroyable et étonnante de deux militaires, le général russe Vlassov et le  commandant allemand Paulus.
 
Hommage aux victimes du totalitarisme nazi et soviétique, dédié à Danilo Kis, l'écrivain d' « Un tombeau pour Boris Davidovitch » (élégie pour les martyrs du stalinisme),  « Central Europe » est un roman très ambitieux, sans doute même un peu trop… roman historique mais aussi lyrique, roman toujours exigeant et parfois indigeste, qui demande beaucoup de temps, que ce soit à la lecture que pour les recherches effectuées sur le net. Mais quel roman !
 
Central Europe a obtenu le National Book Award en 2005. 

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