mercredi 30 octobre 2013

Retour indésirable de Charles Lewinsky

Charles Lewinsky sort de l’ombre un artiste aujourd’hui quelque peu oublié en nous contant le destin tragique de Kurt Gerron. Fils d’une famille juive, né à Berlin en 1897, il est un chanteur, un comédien, un metteur en scène et un réalisateur allemand très célèbre dans les années vingt. 

L’Allemagne connaît à cette époque un essor culturel considérable et nous côtoyons les stars de l’époque à travers les réminiscences du passé de Kurt Gerron. Citons quelques noms comme Bertolt Brecht (qui ne sort pas grandi dans le roman), Marlène Dietrich, Peter Lorre, von Sternberg, Emil Jannings, Georg Wilhelm Pabst ou Max Reinhardt. 

L’arrivée du cinéma parlant va marquer la disparition de nombreux artistes du muet, ce qui ne fut pas le cas de Kurt Gerron, qui avait une voix suffisamment intéressante pour passer cet obstacle. Sans doute un peu grisé par ce succès, il reste sourd à la montée de l’antisémitisme des années trente. Alors que de nombreux artistes fuient l’Allemagne pour les sirènes hollywoodiennes, il fait le choix, terriblement lourd de conséquences, de rester sur le continent européen. 

Ne saisissant pas l’ampleur de la menace qui gronde, il sera pris au piège de la colossale machinerie nazie. C’est en Hollande que la Gestapo l’arrêtera en le transférant lui et sa femme dans un camp de transit, avant de les déporter, avec d’autres célébrités juives, au camp de Theresienstadt (aujourd'hui en République tchèque). Les autorités nazies lui demandent de réaliser un film de propagande sur la vie quotidienne de ce camp qui s’intitulera « Le Führer offre une ville aux juifs ». Totalement mensonger, présentant la ville comme un lieu où il fait bon vivre alors qu’on y meurt de faim, Kurt Gerron se donne trois jours pour donner sa décision.

Même s’il a toujours été un petit affabulateur, il s’agit ici de réaliser un film totalement mystificateur tourné sous la contrainte. Mais tricher, trahir, mentir, falsifier la réalité du camp, c’est aussi sauver sa vie, celle de sa femme et peut-être également la vie des prisonniers qui participeront au film. Le réaliser, c’est aussi prolonger leur séjour dans le camp de Theresienstadt, en différant leur transfert vers le camp d’extermination d’Auschwitz. Avec l’espoir que les russes les délivrent avant le dernier coup de manivelle... 

Un pacte avec le diable mais a-t-il vraiment le choix ? Pendant ces trois jours de réflexion, Kurt Gerron revient sur ses racines juives, son enfance, sa famille, son grand-père tant aimé mais aussi sur ses souvenirs de la guerre 14 du côté allemand et la rencontre avec celle qui deviendra son épouse.

Il nous reste très peu d’éléments biographiques de la vie de Kurt Gerron mais Charles Lewinsky a réussi à combler les lacunes avec intelligence, humanisme et empathie. Sans jamais condamner ce choix, l’auteur reste tout au long du récit au plus près de cet homme rêveur et artiste qui a joué malgré lui son plus mauvais rôle, à savoir celui d’une des dernières victimes de la Shoah. 

Vous pensiez avoir tout lu sur la vie des camps et le nazisme ? Et bien lisez « Retour indésirable » pour vous rendre compte qu’il reste encore tellement de choses à en dire. Autant que le nombre de victimes de l'extermination  par l'Allemagne nazie.



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