Première guerre mondiale. Julien (Mathieu Carrière), jeune musicien luxembourgeois subsistant tant bien que mal à Paris en tant que critique musical dans un journal, reçoit un télégramme de son ami français, mobilisé dans l'aviation. Ce dernier l'invite à le rejoindre dans sa propriété familiale de Bray, le temps d'une permission. Mais lorsque Julien parvient à la maison isolée de Jacques (Roger Van Hool), à l'orée de la forêt, ce n'est pas son ami qui le reçoit mais une mystérieuse femme (Anna Karina), dont il ne sait si elle est une servante, une compagne ou une parente de Jacques. Commence une longue attente...
L'adaptation d'une nouvelle de Julien Gracq (Le roi Cophetua) par André Delvaux permet à ce dernier de nous offrir un film qui retient toute notre attention de par l'atmosphère qui s'en dégage, aux frontières du réel et de l'imaginaire, oscillant entre les souvenirs du passé, l'attente et l'appréhension du présent et des scènes oniriques dont on ne sait si elles appartiennent aux songes ou aux fantasmes d'un homme étranger et comme abandonné. Une amitié obscure, un rendez-vous manqué et une rencontre avec une mystérieuse inconnue, avec tout ce que cela comporte de solitude, d'attirance et de questionnement. Cette ambiance comme endeuillée fait immanquablement penser à La chambre verte de François Truffaut, même s'il possède sa propre patine, par la présence de cette femme sphinx aussi belle et sensuelle qu'éthérée et énigmatique, tel un fantôme qui hante les lieux.
La photographie de Ghislain Cloquet, les décors présentés comme de véritables natures mortes, le soin apporté aux éclairages, la nostalgie et la mélancolie des lieux et des personnages, l'importance de la musique, l'ambiance funèbre et la complexité des relations entre les personnages font de ce film une belle réussite, aussi bien sur le plan formel que narratif. Pour peu que vous soyez sensibles à ce genre de film, bien évidemment.
J'ai aimé la référence à la première adaptation cinématographique de Fantômas par Louis Feuillade, via l'affiche du film (1913). Car il y a bien quelque chose d'inquiétant et d'insaisissable dans Rendez-vous à Bray d'André Delvaux.
J'ai pensé également aux obsessions oniriques du peintre surréaliste Paul Delvaux, à ces femmes sentinelles dans l'attente, statuaires, figées, froides, impassibles parmi les ruines désertées des monuments antiques, telles les gardiennes de sanctuaires ou les prêtresses de temples qui ne sont plus, mais qui ont le devoir de défendre et d'honorer les lieux de leur présence jusqu'à leur mort.
Paul Delvaux (1897-1994), Paysage avec des lanternes, 1958 |
Paul Delvaux (1897-1994), Le Temple, 1949 |
L'irruption de l'étrange dans la réalité de ce film singulier laisse également une grande liberté d'interprétation aux spectateurs. Rendez-vous à Bray d'André Delvaux a obtenu le prix Louis-Delluc ainsi que le grand prix du festival de Chicago.
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