mercredi 5 novembre 2008

Les déferlantes de Claudie Gallay

La lecture de ce roman vient au meilleur moment, celui où j’éprouve le besoin d’une lecture plus accessible. Effectivement, entre le dernier Pynchon, que j’ai fini par abandonner, et le roman colossal « Central Europe » de William-T Vollmann, toujours en cours de lecture, je n’ai décidément pas choisi la facilité ces dernières semaines. Aussi, lorsque je suis tombée sur « Les déferlantes » à la bibliothèque, roman que je guettais depuis sa sortie et précédé d’une excellente réputation, je n’ai pas hésité une seconde à l’emprunter.

Me voilà donc transportée dans le Cotentin, à la pointe de la Hague, dans un village où vit quelques hommes aux caractères aussi rudes que le climat qui y sévit. La narratrice, une femme d’une quarantaine d’années, vient d’y trouver refuge depuis quelques mois.

« J’étais arrivée ici à l’automne, avec les oies sauvages, ça faisait un peu plus de six mois. Je travaillais pour le Centre ornithologique de Caen. J’observais les oiseaux, je les comptais, j’avais passé les deux mois d’hivers à étudier le comportement des cormorans les jours de grands froids. »

Arpenter les landes, observer les falaises et leurs oiseaux migrateurs dans ce lieu âpre et désolé, travail aussi répétitif que solitaire qui répond parfaitement à ses besoins quotidiens : en deuil de son compagnon, décédé après plusieurs mois de souffrance, elle se sent depuis lors habitée par un sentiment de perte et de manque absolu.

« Des mois que j’étais sans toi. Le manque absorbait tout. Il absorbait même le temps. Jusqu’à l’image de toi.»

Si elle est mal payée pour ce travail, elle est néanmoins logée dans un ancien hôtel :

« Cent mètres après l’auberge, juste le quai à traverser, une maison bâtie en bout de route, presque dans la mer. Avec rien autour. Les jours de tempête, seulement le déluge. Les gens d’ici disaient qu’il fallait être fou pour habiter dans un tel endroit. Ils lui avaient donné ce nom, le Griffue, à cause des bruits d’ongles que faisaient les branches des tamaris en grinçant contre les volets. »

Les gens d’ici, ce n’est rien d’autres qu’une poignée d’hommes : il y a les colocataires Raphaël le sculpteur et sa sœur Morgane, dont Max - le benêt du village - est fou amoureux, il y a Lili la tenancière du bar et la Mère, il y a Théo l’ancien gardien de phare, père de Lili et séparé de la Mère, sans oublier la vieille Nan, que tout le monde craint et dit être à moitié folle et Monsieur Anselme, fervent admirateur de Jacques Prévert, qu’il fréquentait lorsque ce dernier habitait dans sa maison à Omonville-la-Petite dans la Manche, ultime demeure du célèbre poète qui y sera enterré lorsqu’il mourut des suites d'un cancer du poumon.
Pour eux, elle est la Horsain, l’étrangère, celle qui n’était pas née de là.

« Pour toi, j’étais Ténébreuse. Ce nom dans ta bouche, tu m’appelais comme ça. Tu disais que ça venait de mes yeux et de tout ce qui les hantait. »

Lambert fait son apparition un jour de grande tempête, où le ciel bas et sombre, le bruit du vent assourdissant et les vagues noires sous la violence s’emmêlent comme des corps, ces déferlantes qui inondent le quai comme si la mer remontée sur les terres avait tout englouti. Sur la plage dévastée, la vieille Nan croit reconnaître en lui le visage d'un certain Michel. D'autres, au village, ont pour lui des regards étranges. Cet homme intrigue la Horsain : ne serait-il pas le fils Perack, cet enfant qui avait perdu sa famille, noyée la nuit où leur voilier s’est retourné en revenant d’Aurigny, il y a maintenant quarante ans. Ce fils Perack qui en veut depuis à la mer. Mais n’en veut-il pas plutôt aux hommes ? Plus particulièrement à Théo, l’ancien gardien de phare, qu’il accuse d’avoir éteint momentanément la lanterne du phare la nuit du drame. Tous semblent avoir quelque chose à taire, et la Horsain va s’employer à trouver les réponses aux questions qui ne cessent de la hanter depuis l’apparition de Lambert.

Le poids du secret, le deuil, la perte, le manque, la solitude, l’absence et les amours perdus, le tout porté par une écriture âpre qui va à l’essentiel. Voilà un roman qui n’usurpe pas sa réputation ! Même si l’intrigue se dévoile trop aisément à mi-parcours du chemin, je n’ai pas boudé mon plaisir de lecture dans ce huis clos au bout du monde de la pointe du Cotentin.

« Les vents qui soufflent les jours de tempête sont comme des tourbillons de damnés. On dit qu’ils sont des âmes mauvaises qui s’engouffrent à l’intérieur des maisons pour y prendre ce qu’on leur doit. On, c’est-à-dire ceux qui restent, les vivants. »



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