jeudi 19 novembre 2009

La Réserve de Russell Banks

Quatrième de couverture

Quand en juillet 1936 le peintre Jordan Groves rencontre pour la première fois Vanessa Cole, lors d'une soirée donnée par le célèbre neurochirurgien new-yorkais dont elle est la fille adoptive, dans son luxueux chalet construit dans "la Réserve", en bordure d'un lac des Adirondacks, il ignore qu'il vient de franchir, sans espoir de retour, la ligne qui sépare les séductions de la comédie sociale et les ténèbres d'une histoire familiale pleine de bruit et de fureur. Très loin de là, en Europe, l'Histoire est en train de prendre un tour qui va bientôt mettre en péril l'équilibre du monde. Déjà, certains intellectuels et des écrivains, tels Ernest Hemingway ou John Dos Passos, un ami de Jordan Groves, ont rejoint l'Espagne de la guerre civile afin de combattre aux côtés des républicains. Si attaché qu'il soit à sa femme et à ses deux jeunes garçons, ou aux impératifs d'une carrière artistique déjà brillamment entamée, Jordan ne peut longtemps se soustraire à l'irrésistible attraction qu'exerce sur lui la sulfureuse Vanessa Cole, personnalité troublante et troublée, prétendument victime, dans son enfance, d'agissements pervers de la part de ses insoupçonnables parents. Au sein du cadre majestueux et sauvage d'une nature préservée pour le seul bénéfice de quelques notables de la société new-yorkaise, les feux d'artifice célébrant la fête de l'Indépendance ont éclaté dans le même ciel que traverse, de l'Allemagne à l'Amérique, le zeppelin Hindenburg bardé de croix gammées et d'où s'abattront aussi les bombes qui vont détruire Guernica... Sur les rives du lac, Jordan Groves et Vanessa Cole s'approchent l'un de l'autre, l'avenir du premier déjà confisqué par le passé de la seconde, pour explorer leurs nuits personnelles dont l'ombre s'étend sur chacun de ceux qui les côtoient.


Le choix géographique de ce récit que sont les Adirondacks joue un rôle central dans ce roman : non seulement Russell Banks connaît très bien cette région (il y vit depuis plus de vingt ans) mais il arrive à transformer cet immense espace naturel américain à la nature préservée et retirée du monde en un huit clos étouffant dans lequel se jouera le drame. Autant vous le dire tout de suite, les Adirondacks constituent la bonne surprise de ce roman car malheureusement l’auteur tombe dans pas mal de chausse-trappes pour le reste …

L’histoire quant à elle se déroule fin des années 1930, époque de la montée du fascisme en Europe et du début de la guerre républicaine en Espagne, alors que l’Amérique des nantis profitent dans l’insouciance et l’opulence des joies de la vie. Car s’ils ont miraculeusement échappé aux affres de la grande dépression, il n’en sera pas de même pour une grande majorité de la population, obligés dorénavant de vivre à leurs crochets en tant qu’employés ou subalternes. Ce contexte historique permet à l’auteur d’alterner les chapitres, ceux consacrés aux événements qui se dérouleront dans les Adirondacks et ceux se passant en Europe, quelques mois plus tard. J’ai trouvé cette alternance de chapitres assez superficielle et inutile : si les chapitres « américains » sont bien développés, les chapitres « européens » sont tellement pauvres et inconsistants qu’ils n’apportent rien, si ce n’est dévoiler en quelques mots ce qu’adviendront les personnages principaux.

Car contrairement à ce que nous avait habitué Russell Banks auparavant, il s’intéresse cette fois-ci moins au contexte historique et politique qu’à l’évolution de ses personnages. Reste l’analyse des classes sociales d’une société ou d’un microcosme, toujours très présente dans ses oeuvres.

Parmi les personnages principaux, il y a notamment Jordan Groves, un artiste de gauche marié et père de deux enfants, issu d’une famille modeste et aujourd’hui célèbre et fortuné, aventurier à ses heures et homme aux multiples conquêtes féminines. Cet homme est intéressant dans la mesure où il vit sans cesse dans la contradiction : pétri de sympathies politiques socialistes, il enrage de devoir sa notoriété et son confort de vie à ses clients fortunés, rendant leurs relations souvent conflictuelles et des plus ambiguës, ce qui ne l’empêche pas de tomber sous le charme vénéneux de la riche héritière new-yorkaise Vanessa Cole, fille d’un de ses riches clients et femme à scandales qui fait les gros titres des tabloïd américain de par ses frasques et ses divorces multiples. Il y a aussi d’autres personnages, dont la très belle Alicia, femme délaissée de Jordan Groves qui prendra pour amant un guide de la réserve. Notez que Vanessa Cole m’a fait énormément penser à Zelda Fitzgerald, et on peut se demander dans quelle mesure l’auteur ne s’est pas inspiré de « Gatsby le magnifique » de Francis Scott Fitzgerald dans la description des personnages et le gouffre des différences sociales inconciliables, les contraires s’attirant mais ne se rencontrant jamais réellement.

Enfin bref, on sent bien que cette histoire finira mal et conduira au drame, mais Russell Banks crée quand même la surprise en empruntant plusieurs chemins tortueux (et parfois peu crédibles) pour nous y mener. Malheureusement, on ne s’attache pas du tout aux personnages, aux postures souvent trop appuyées et empruntées, nous laissant au final assez indifférents quant à leur devenir.

Cela n’en fait pas pour autant un mauvais roman, disons simplement que « La réserve » est une œuvre mineure d’un des plus grands auteurs contemporains américains, ce qui est tout de même gage d’une certaine qualité. Mais si vous ne devez lire qu’un seul roman de cet auteur, lisez plutôt l’excellentissime « American Darling », un de mes plus grands coups de cœur de ces dernières années.


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