Vladimir Fédorovski, né à Moscou mais d'origine ukrainienne, est écrivain, docteur en histoire et ancien diplomate russe. A la veille du centenaire de la Révolution russe, il a rédigé ce Dictionnaire amoureux de Saint-Pétersbourg, une ville fondée en 1703 par Pierre le Grand sur le delta marécageux de la Néva, une région disputée depuis longtemps au royaume de Suède.
Comme le veut le principe de la collection publiée chez Plon, le but n'est pas de rédiger un dictionnaire exhaustif mais de faire confiance aux choix personnels et totalement subjectifs de l'auteur, qui découvre dans un premier temps la ville de Saint-Pétersbourg par les romans de Fiodor Dostoïevski. Il s'y est rendu depuis à multiples reprises, en ayant toujours cette impression qu'elle l'accompagne dorénavant chaque jour de sa vie. Nous sommes donc conviés à un vagabondage amoureux à travers les influences italiennes, françaises et russes de son architecture, ses monuments, ses jardins, son histoire, ses tsars, ses personnalités aux destins parfois tragiques, ses écrivains, ses nuits blanches, ses hivers, ses événements historiques les plus marquants, sa gastronomie et ses artistes. Poutine, qui connu une enfance déshéritée dans un quartier pauvre de Léningrad (l'ancien nom de la ville), y occupe aussi sa place, que Vladimir Fedorovski n'hésite pas à nous présenter comme le nouveau tsar rouge.
Ce Dictionnaire amoureux de Saint-Pétersbourg se lit avec beaucoup de bonheur, tant il nous donne le sentiment d'aller à l'essentiel. J'ai appris personnellement beaucoup de choses mais il faut bien dire que j'avais aussi beaucoup de choses à apprendre. Quelqu'un qui connait déjà bien l'histoire de la Russie en général et de la ville de Saint-Pétersbourg en particulier aura sans doute plus de mal à y trouver son compte.
Un extrait ?
Possédés (Les)
A la fin du XIXe siècle, la terreur révolutionnaire devient le phénomène le plus marquant de la vie à Saint-Pétersbourg. Fiodor Dostoïevski a déchiffré ce phénomène dans une œuvre magistrale, Les Possédés.
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La majorité des révolutionnaires ont été des disciples de Tolstoï, de son message antitsariste et de sa négation de la propriété privée.
« Les écrivains humanistes russes de la deuxième moitié du XIXe siècle portent sur eux la lourde faute du sang versé au XXe siècle sous leur bannière », affirme l'écrivain russe et martyr du Goulag Varlam Chalamov.
Les manifestations d'étudiants se multiplièrent au point de devenir quasi permanentes. L'accroissement du prolétariat favorisa la diffusion des idées révolutionnaires. On compte 1,5 million d'ouvriers au début de la décennie en Russie, et leurs conditions de vie et de travail sont très dures.
L'incapacité du gouvernement à endiguer la grande famine de 1891-1892, et les épidémies de choléra et de typhus qui en résultent (elles touchent dix-sept provinces et provoquent un demi-million de morts), suscitent une grande colère paysanne.
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La classe intellectuelle de Saint-Pétersbourg se concevait comme une nouvelle aristocratie, voir même comme une « nouvelle Eglise », appelée à renverser puis à régénérer la société.
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Les terroristes affirmèrent haut et fort : « On ne tue pas un homme concret, non, en sa personne, on tue le mal lui-même. »
Ainsi se prépara la justification de l'assassinat politique de masse, prôné après la révolution de 1917.
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Dans ces organisations révolutionnaires composées de petits groupes, les membres étaient totalement dévoués à leur cause ; chaque attentat se voyait soigneusement planifié.
A Saint-Pétersbourg, durant le seul hiver 1878-1879, plus de deux milles hommes soupçonnés d'activités révolutionnaires furent arrêtés. Pour ces terroristes l'assassinat du tsar devient une idée fixe : le tsar Alexandre II fit l'objet d'une traque sans précédent dans l'histoire du terrorisme mondial.
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Même le génie de la littérature russe Dostoïevski, l'ennemi idéologique le plus irréductible des terroristes, rendit hommage à leur obstination : « Disons-le sans détour ; c'est de la folie, mais en même temps ces fous ont leur logique, leur doctrine, leur code, leur Dieu même. On ne peut être plus déterminé. »
Le point culminant de cette vague de violence est, après sept tentatives, le meurtre à Saint-Pétersbourg du tsar Alexandre II, dit « le Libérateur », en mars 1881 (le star proclama l'abolition du servage en 1861).
L'écrasante majorité des habitants de la ville le vécut comme une catastrophe nationale.
Tout Saint-Pétersbourg ressentit soudain une instabilité, une fragilité extrême. Le nihilisme avait en effet cessé de n'être qu'une philosophie, et les habitants de la capitale connurent pour ainsi dire physiquement les tragédies de la terreur politique (après la révolution bolchevique de 1917, la ville assistera à la transformation de ces actes individuels en terreur de masse).
Je ne résiste pas à illustrer cette entrée du dictionnaire par une petite vidéo sur Albert Camus, les "Possédés" et le Nihilisme :
Vous trouverez également sur ce blog :
Tout Saint-Pétersbourg ressentit soudain une instabilité, une fragilité extrême. Le nihilisme avait en effet cessé de n'être qu'une philosophie, et les habitants de la capitale connurent pour ainsi dire physiquement les tragédies de la terreur politique (après la révolution bolchevique de 1917, la ville assistera à la transformation de ces actes individuels en terreur de masse).
Je ne résiste pas à illustrer cette entrée du dictionnaire par une petite vidéo sur Albert Camus, les "Possédés" et le Nihilisme :
Vous trouverez également sur ce blog :
- Crime et châtiment de Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski
- Les possédés de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski
- La Compagnie des auteurs : Dostoïevski
Dictionnaire amoureux de Saint-Pétersbourg par Vladimir Fedorovsk, Collection : Dictionnaire amoureux, Éditeur : Plon (27 octobre 2016), Broché: 656 pages
Léningrad ( comme Petrograd ), ancien nom de la ville plutôt qu'autre nom .... ;-)
RépondreSupprimerBon dimanche Sentinelle.
Bien vu, je corrige de suite, merci Ronnie.
SupprimerBon dimanche à toi également :-)
Je ne connais de St Pétersbourg que l'image qu'en donne Klapisch dans les Poupées Russes et cette rue aux dimensions "parfaites".
RépondreSupprimerMais même l'extrait ne me convainc pas. Cela ressemble à un catalogue.
J'ai déjà feuilleté ces catalogues amoureux sans en acheter aucun.
Si on s'intéresse à l'histoire, l'architecture, les grands auteurs de la ville, sans que ce soit trop pesant, franchement je le trouve très bien, et le côté catalogue que tu mentionnes ne m'est jamais venu à l'esprit.
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