« La magie d'une danse, jeune homme, est quelque chose
de purement accidentel.
Ironie du sort, il te faudra travailler plus dur que tous
les autres pour que cet accident arrive.
Et, s'il arrive, tu peux être sûr que
c'est la seule chose de ta vie qui ne se reproduira pas.
C'est pour certains une condition malheureuse,
mais pour d'autres la seule extase.
Peut-être, dans ce cas, devrais-tu oublier tout ce que je t'ai dit
et ne te rappeler que ceci :
la vraie beauté de l'existence est qu'elle peut,
parfois, se montrer. »
En 1944, dans un hôpital soviétique, Rudik, six ans, danse pour son
premier public : aucun des soldats mutilés n'oubliera cet instant
éblouissant... Dès lors, ce fils de paysan sait. Il sait
qu'il ne reculera devant rien : mentir à sa mère, braver la colère
de son père, endurer brimades et humiliations. Pour danser comme il le
doit, il ira même jusqu'à s'exiler à jamais. Travailleur
acharné, obsédé de beauté et de perfection, Rudik fascinera tous
ceux qui croiseront sa route, leur offrant le sentiment d'avoir côtoyé
un ange ou un démon, un monstre d'excès et de passion. Dans
tous les cas, un vrai génie.
L'auteur nous raconte l'histoire de Rudolf Noureev par
l’intermédiaire de divers acteurs de sa vie : sa sœur, Serguei et Anna
(qui le forma à Oufa et lui fit découvrir la danse et la
musique), leur fille qui l’hébergea à Leningrad, ses amis, sa
complice de scène et de coulisses la grande Margot Fonteyn, ses amants,
sa gouvernante ou des anonymes fascinés par le talent du
jeune garçon de l’époque… avec en filigrane une partie de l’histoire
contemporaine soviétique dont certains aspects de la guerre froide pour
bien comprendre le contexte dans lequel évolua Noureev
et les raisons de son exil.
Cette façon de passer de la vision et du ressenti d'une personne à
une autre ne m'a jamais perturbée, que du contraire, c’est un peu comme
si l’auteur pressentait bien que cette multiplication
des différents points de vues était plus que nécessaire pour ne
fusse qu’effleurer la personnalité complexe de Rudolf Noureev.
L’auteur ne nous épargne rien, et certainement pas les penchants les
plus obscurs du danseur, qui étaient nombreux. Véritablement ange et
démon à la fois, Rudolf Noureev savait se montrer
aussi tendre et généreux que coléreux et égoïste. Noureev n’était
pas une personne de compromis, il naviguait sans cesse entre les
extrêmes, ce qui le conduisit au plus haut sommet de son
art mais également à une mort prématurée (il mourut du sida en
1993). Et pourtant, malgré ses dérives, ses débauches, malgré son
intempérance, Rudolf Noureev demeure à tout jamais un être
fascinant. On ne peut en effet que balayer d’un revers de la main
tous ses débordements pour ne retenir que l’énergie de cet homme hors
norme. Comme si nous comprenions qu’il fallait bien toute
cette excessivité là pour combler ce gouffre sans fond que semblait
laisser le vide de son exil.
Vous l’aurez compris, la lecture de cette biographie romancée de
Rudolf Noureev ou l’inaccessible étoile fut pour moi un véritablement
coup de cœur ! Je n'ai jamais lu de biographie de
Noureev mais je pense sans me tromper qu'aucune ne parviendra à lui
donner chair comme l’a fait Colum McCann. Percutant et bouleversant, un
roman à la hauteur du personnage.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire