Le complément Les Livres du journal Le Soir met ce week-end à l'honneur l'auteur Siri Hustvedt, qui s'exprime longuement sur l'élection de Donald Trump (Ron Rash s'y prête également dans un autre entretien sur le même sujet, à la page suivante du complément). Je ne résiste pas à l'envie de vous en livrer quelques extraits. Mais auparavant, je vais vous parler de l'auteur, que tout le monde ne connait pas forcément.
J'ai découvert Siri Hustvedt par l'entremise de son conjoint, l'écrivain Paul Auster. J'avais une vingtaine d'années et je dévorais les romans de Paul Auster à cette époque. Je dois bien avouer que j'en étais un peu amoureuse, mais pas au point d'encadrer sa photo dans le salon, ce qu'avait fait - à ma très grande surprise - une amie, visiblement plus entichée que moi ! Tout ça pour dire que je m'intéressais de près à l'auteur, et que j'ai forcément pris un jour connaissance du nom de son épouse : Siri Hustvedt. Une femme belle, intelligente, passionnée par l’art et la place de la femme dans la société, sympathique, élégante, cultivée, sensible (bref, assez exaspérante quand on a un béguin pour l'époux). Le premier roman traduit en français de Siri Hustvedt fut Les yeux bandés, en 1996. Un roman assez déroutant, même si on y retrouvait la petite musique austérienne des débuts (cf La trilogie new-yorkaise), tout en s'en démarquant déjà. Premier essai concluant, suivi par d'autres romans, et d'autres lectures. Et vingt ans plus tard ? Et bien Siri Hustvedt a trouvé sa voix, tout en accomplissant un chemin littéraire intéressant (et de plus en plus féministe), même si j'ai toujours l'impression qu'elle doute de son talent. Et si un nouveau roman devait paraître, de Paul Auster ou de Siri Hustvedt, lequel des deux je lirai en premier ? Premièrement, il n'est pas certain du tout que je lise le dernier roman de monsieur. Deuxièmement, si jamais d'aventure son petit dernier me tentait, et bien il y a toutes les chances que je lise en premier celui de madame, qui m'intéresse plus volontiers ces dernières années (même si je lui reproche un peu d'intellectualiser ses derniers romans). Mais j'apprécie vraiment sa sensibilité, et c'est non seulement une femme qui a des choses à dire, mais qui le dit fort bien.
Place maintenant à quelques extraits de l'interview publiée dans le journal Le Soir. Les propos sont recueillis par Kerenn Elkaïm. Est-il utile de préciser que l'élection de Donald Trump, qualifié d'idiot politique par l'auteur, fut un terrible choc ?
Quel miroir américain Donald Trump nous renvoie-t-il ?Le fait est que Trump soit perçu comme étant riche, narcissiquement grandiose, ouvertement misogyne et raciste s'est transformé en une image séduisante pour les hommes blancs ; ainsi que pour les femmes qui s'identifient à ces hommes-là. Ayant l'impression d'avoir été émasculés, ils ne se sentent plus à leur place dans cette nouvelle Amérique de la diversité. Ces électeurs ont vu en Trump une figure masculine vantarde et arrogante. Il incarne le fantasme d'un privilège, auquel ils auraient dû avoir droit, à la naissance, mais qui leur aurait été dérobé par beaucoup "d'autres" : de "vilains" immigrés, les Noirs, les Hispaniques, les Asiatiques ou les femmes. Cela ne fait aucun doute que bon nombre - mais pas tous - des électeurs de Trump ont souffert des changements économiques. Beaucoup d'entre eux ont perdu leur emploi, ainsi que leur fierté. Ces pertes n'ont fait qu'aggraver leur sentiment d'humiliation.
Le Prix Nobel de littérature Toni Morrison a dit : « C’est exactement en ce moment précis que les artistes retournent au travail. Il n’y a pas de temps pour le désespoir, pas de place pour l’auto-apitoiement, pas besoin de silence, pas de place pour la peur. Nous parlons, nous écrivons, nous nous servons de la langue. C’est ainsi que les civilisations guérissent. »
Je suis tout à fait d’accord avec elle, les artistes doivent avancer. Nous devons faire ce que nous pouvons, mais je suis néanmoins moins optimiste que Toni Morrison. Je ne suis pas convaincue que l’art peut soigner les plaies des civilisations, mais il est certain que les individus guérissent grâce à lui. L’art peut agir sur une seule personne à la fois, cependant je ne connais pas de cas de civilisation ayant connu le salut uniquement par le biais artistique. L’art se déploie plutôt dans les périodes de prospérité et de calme relatif : la Renaissance italienne ou l’Angleterre élisabéthaine constituent deux exemples parlants. Des gens affamés et désespérés songent à la survie, pas à la poésie. Pourtant, il semblerait que même dans les camps de concentration, les prisonniers parvenaient à se souvenir ou à réciter des poèmes. Ils représentaient à leurs yeux la bouée de sauvetage d’un monde perdu.
Sommes-nous entrés dans une ère ombragée, tant en Amérique qu'en Europe ?
Je pense que j'assiste au moment politique le plus noir de ma vie. Aujourd'hui, j'ai 61 ans.
[...]
Donald Trump compte des soutiens importants parmi le Klu Klux Klan. Il fréquente des nationalistes blancs et des groupuscules de milices. Dire qu'il a posté, sur les réseaux sociaux, une image d'Hillary Clinton portant des sacs remplis d'argent et une étoile de David. Je ne peux pas m'empêcher de penser aux mouvements fascistes dans l'Europe des années 30. Surtout à Mussolini, un homme pour qui le pouvoir n'était synonyme que d'une chose : lui-même. Comment ne pas avoir froid dans le dos ?
Je vous invite à lire l’entièreté de l’interview dans le complément Les livres du journal Le Soir du samedi 19 et dimanche 20 novembre 2016.
A lire également sur ce blog :
* La Femme qui tremble, Une histoire de mes nerfs de Siri Hustvedt
* Un été sans les hommes de Siri Hustvedt
* Tout ce que j’aimais de Siri Hustvedt
* Un monde flamboyant de Siri Hustvedt
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