lundi 14 novembre 2016

Soyez imprudents les enfants de Véronique Ovaldé


Cité en exergue 

So we beat on, boats against the current,
borne ceaselessly into the past.

C'est ainsi que nous avançons, barques à contre-courant,
sans cesse ramenés vers le passé

Gatsby le magnifique
Francis Scott Fitzgerald



Extraits

[p.17]
Le tableau de Diaz Uribe ouvrait l'exposition.  Il vous sautait quasiment au visage.  Il était comme une revendication.  La toile, aux dimensions spectaculaires, représentait le corps d'une femme à qui Diaz Uribe avait donné certaines caractéristiques animales - ou qui me parurent comme telles.  Le trouble de cette langueur lasse si féminine alliée à ces mains trop griffues ou à cette pilosité trop visible m'a bouleversée. La femme était assise sur le sol, elle était décentrée, la plus grande partie de la toile était occupée par un carrelage bleu au motif géométrique répétitif.  La femme était nue, le menton relevé, sa peau était bleutée, marbrée, transparente, d'une transparence maladive, épuisée, sexuelle.  Je me suis figée en plein élan, saisie.  C'était donc cela que j'attendais depuis longtemps ?

[p.101]
Quand cessons-nous d'être jeune ? A quel moment cela se produit-il ?

[p.107]
Elle avait lu quelque part que 15% des gens ne se remettent jamais d'un deuil ou d'une rupture.  Ce genre de considération permettait à Atanasia de justifier sa ferveur maniaque.  Elle se disait qu'il était tout aussi possible que 15% des gens vouent l’entièreté de leur vie à une obsession. 

[p.179]
(...) j'ai trop écouté ma mère, les mères mettent trop en garde leurs filles, à trop leur répéter qu'elles sont vulnérables les filles finissent par le croire et se comportent comme telles (...)



Mon avis

Il suffit de jeter un coup d’œil sur l’index des auteurs pour constater que l'écrivain le plus chroniqué sur mon blog n’est autre que Véronique Ovaldé. C’est dire si j’apprécie ce que j’appelle la petite musique ovaldienne, tant son écriture, sa verve, son humour, sa mélancolie, son originalité et son imagination m’enchantent. Elle manie également avec adresse le mélange des genres : conte, légendes familiales, roman de formation, road movie, enquête, … Sans oublier ses thématiques ou ses obsessions, qui me plaisent également beaucoup : la famille, la filiation, l’héritage et la transmission, la féminité, les rapports de force et de séduction entre les hommes et les femmes, l’emprise et le pouvoir de domination et la nécessité vitale de s’en libérer pour s’accomplir pleinement, quitte à prendre des risques.

Qu’en est-il avec son dernier roman, que certains lecteurs ont accueilli peut-être plus fraichement que d’habitude ? Et bien force est de constater que Véronique Ovaldé m’a une nouvelle fois totalement conquise.

Un rythme enlevé, une alternance de phrases courtes et d’autres plus longues (comme écrites en urgence), l'art de la digression pour un récit foisonnant qui remonte dans le temps, des courts chapitres aux titres plein d’humour et de références (pour en citer quelques-uns : Tout ce que j’ai failli devenir à Paris, Atanasia se croit maline, Des lieux hasardeux où nous sommes nés, Comment échapper au discours de nos mères, De la mauvaise évaluation du puissant, Protect me from what I want, Je serai l’ombre de ta main, Au cœur des ténèbres, Les Dents de la mer, Chacune de mes vertèbres est un récit).

Ne plus passer de divinité en divinité (une mère, un père, un amant, ou comme dans ce roman, un artiste peintre) mais s’affranchir de toute tutelle ou comment s’émanciper des légendes familiales et de l'ascendant maternel et masculin. Un roman qui s’intéresse de très près aussi à la paternité et à la lignée, avec tout ce que cela comporte de fantasmes, de récits transmis de génération en génération, de secrets et de non-dits.

Ce que nous dit Véronique Ovaldé, roman après roman, c’est que la fatalité n’existe pas et qu’il faut oser aller de l’avant en prenant des risques pour rompre les schémas répétitifs de son existence. Car il n’y a pas pire geôlier que soi-même, et l’emprise d’une personne n’est jamais autre que celle que nous voulons bien lui attribuer. Il n’y a finalement aucune malédiction ni de destins tout tracés et il ne faut pas hésiter à bifurquer de chemin pour contrer les déterminismes potentiels. Et ce même si cela ne se fera pas sans épreuve ni sans un sentiment de solitude et d’isolement, pouvant parfois nous mener vers des rivages plus mélancoliques. Mais c’est le prix à payer pour ne plus subir. Je termine mon billet en reprenant l’intitulé du titre d’un chapitre du roman : « Avant toute chose, déterminer ce qu’on ne veut pas être ».


Quatrième de couverture

"Soyez imprudents les enfants", c'est le curieux conseil qu'on a donné à tous les Bartolome lorsqu'ils n'étaient encore que de jeunes rêveurs - et qui explique peut-être qu'ils se soient aventurés à changer le monde. "Soyez imprudents les enfants", c'est ce qu'aimerait entendre Atanasia, la dernière des Bartolome, qui du haut de ses 13 ans espère ardemment qu'un événement vienne bousculer sa trop tranquille adolescence. Ce sera la peinture de Roberto Diaz Uribe, découverte un matin de juin au musée de Bilbao. Que veut lui dire ce peintre, qui a disparu un beau jour et que l'on dit retiré sur une île inconnue ? Atanasia va partir à sa recherche, abandonner son pays basque natal et se frotter au monde. Quitte à s'inventer en chemin. Dans ce singulier roman de formation, Véronique Ovaldé est comme l'Espagne qui lui sert de décor : inspirée, affranchie et désireuse de mettre le monde en mouvement.

Véronique Ovaldé est née en 1972. En 2000, elle publie son premier roman aux éditions du Seuil, Le sommeil des poissons. Suivront ensuite chez Actes Sud Les hommes en général me plaisent beaucoup ou Déloger l’animal. Elle rejoint les éditions de l’Olivier en 2008 avec Et mon coeur transparent, qui obtient le prix France Culture-Télérama. En 2009, Ce que je sais de Vera Candida reçoit un accueil enthousiaste de la critique et du public, et obtient le prix Renaudot des lycéens, le prix France Télévisions, et le grand prix des lectrices de Elle. Depuis, elle a également publié Des vies d’oiseaux en 2011 et La Grâce des brigands en 2013. 



4 commentaires:

  1. Je n'ai toujours rien lui de Véronique Ovaldé...

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    1. Il n'est jamais trop tard Edyta :) Soyez imprudents les enfants, son dernier roman, n'est sans doute pas son meilleur roman, mais je trouve de toute manière que ce n'est pas vraiment une bonne idée de commencer par le meilleur roman d'un auteur. Du coup, il constitue à mon avis une bonne porte d'entrée à son univers. Ma bibliothécaire, qui n'avait jamais lu Véronique Ovaldé auparavant, l'a d'ailleurs beaucoup aimé. Maintenant il fait la part belle à la digression, allant du Congo et du crime des colonisateurs à l'étude contemporaine des méduses (le spectre est donc large). Si tu es particulièrement réfractaire aux digressions, je te conseille de commencer par un autre de ses romans : Le sommeil des poissons (un conte assez noir), Les hommes en général me plaisent beaucoup (peut-être son roman le plus sombre), Ce que je sais de Vera Candida ou Des vies d’oiseaux (mes préférés). Je te déconseille par contre de commencer par Déloger l’animal, même si je l'ai bien aimé. Mais il est vraiment particulier. Et pour finir, je n'ai pas aimé Et mon corps transparent. Mais je me suis promise de le relire, car je ne suis pas certaine de lui avoir donné toutes ces chances. Voilà pour mes petits conseils. Comme tu peux le constater, j'aime beaucoup Véronique Ovaldé. Et je ne serai pas étonnée que tu l'apprécies à ton tour ;-)

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    2. Merci pour tes précieux conseils, je comptais justement commencer par Ce que je sais de Vera Candida ou Des vies d'oiseux.

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    3. Avec plaisir Edyta. Je te souhaite d'ores et déjà une excellente lecture et une belle rencontre avec un nouvel auteur pour toi :)

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