mercredi 1 août 2018

Six-Quatre de Hidéo Yokoyama

Six-Quatre est le nom de code d'une affaire qui s'est passée il y a quatorze ans, en référence à l'année 64 du règne de l’empereur Shôwa (1989). Une affaire non résolue dans laquelle une fillette a été retrouvée assassinée alors que les parents avaient versé une rançon au ravisseur, dans une région du Nord de Tokyo. Il se fait que la prescription des faits approche. L’inspecteur Mikami, qui faisait partie de l’équipe chargée de la traque à l'époque et qui dirige aujourd'hui le service des relations presse dans le même commissariat, n'a pas oublié cet échec cuisant. D'autant plus qu'il est lui-même confronté à la récente et mystérieuse disparition de sa propre fille...

« La police n’est pas le monde entier, elle n’en est pas non plus le centre. »


« Nous sommes des individus et en même temps des éléments d’un tout. »


« Il y a des choses qu’on peut dire et d’autres pas. » 

Je ne vais pas vous résumer plus en détails la suite du roman, car non seulement je risquerais de vous emmêler les pinceaux mais cela deviendrait rapidement assez fastidieux à lire.  Sachez juste que ce - très gros - roman est une immersion totale dans la culture japonaise et les arcanes de sa police, avec tous ses services, départements, secrétariats, directions générales et que sais-je encore.  La police est une grande famille qui doit inspirer à ses membres de la reconnaissance et de la fierté d'appartenir à cette gigantesque organisation. Mais les conflits entre les provinces et la capitale, les faiseurs de carrière, les rivalités entre les différents services, les marchés truqués et la corruption engendrent également du découragement, de la colère et du dépit.  La soumission, l'humilité et le respect envers la hiérarchie d'un côté, le sens de la justice et la nécessité d'assumer ses responsabilités envers le citoyen de l'autre côté, il arrive parfois que les valeurs se percutent de plein fouet. Tout est finalement une question de choix et le lecteur accompagne l'inspecteur Mikami dans ses nombreux questionnements, retranchements et autres tergiversations lorsqu'il hésite entre la fidélité à son nouveau service, l'aboutissement de sa carrière ou son sens du devoir.  Mais envers qui ? Envers la police, la société, les victimes, sa famille ou envers lui-même ?  Car il s'agit aussi de savoir faire des sacrifices.  A cela s'ajoute toute une réflexion sur l'importance de la presse, capable du meilleur comme du pire mais qui constitue la seule porte communicante entre le citoyen et la police. Tout est encore une question de dosage millimétrique entre le droit à l'information et la protection de la vie privée, sans porter atteinte au bon déroulement de l'enquête en cours.

Vous l'aurez compris, nous sommes très éloignés du polar "facile à lire" à emporter sur la plage : nous sommes aux prises avec la culture japonaise dans un tempo qui prend tout son temps pour mieux fouiner dans les moindres recoins de la psyché humaine et de la société japonaise.  Ce qui peut se révéler fastidieux ou passionnant, selon le type de lecteur que vous êtes.  Une intrigue policière qui passe donc volontiers au second plan mais qui donnera lieu à un surprenant assouvissement d'un profond désir de vengeance. Décidément,  Hidéo Yokoyama est un écrivain étonnant.

Pour les cinéphiles de passage, il y a quelques éléments présents dans ce roman (enlèvement d'un enfant contre une rançon, le travail en détails de la police) qui me faisaient parfois penser au film Entre le ciel et l'enfer par Akira Kurosawa.  Petit hommage discret de la part de l'écrivain envers le réalisateur ? La question reste ouverte.

Pour les littéraires de passage, le type d'écriture de Hidéo Yokoyama n'est pas sans faire penser à celle de Henry James, Virginia Woolf, ou James Joyce : c'est le fameux courant de conscience ou flux de conscience, dans lequel on suit le processus de pensée du narrateur.  Ceci dit, la ponctuation est parfaitement respectée, ce qui aide pas mal à la lecture, mais elle se mérite tout même.

Six-Quatre de Hidéo Yokoyama ***, traduit du japonais par Jacques Lalloz,  les Éditions Liana Levi dans la Collection Policiers, date de parution 21-09-2017, 624 pages

J'ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Marilyne : son avis est ICI 

6 commentaires:

  1. Tout est dit. C'est vrai que la lecture est à la fois fastidieuse et passionnante, ce n'est pas un roman qui se dévore mais quel roman japonais ! Il dit beaucoup de cette société, pas seulement de la police. Je crois que pour qui s'intéresse à cette littérature, il est incontournable. Merci pour cette lecture !

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    1. C'est exactement ça, une lecture fastidieuse et très intéressante à la fois. Difficile de conseiller ce roman mais je suis très contente de l'avoir lu jusqu'au bout, et savoir que nous nous étions engagées ensemble pour le lire m'a motivée pour ne pas abandonner la partie :) Merci à toi, on s'en souviendra en tout cas de notre première LC commune, je dois dire que nous avons d'emblée placé la barre très haute :-D

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  2. Tu as réussi à la fois à me donner grave envie et à me faire fuir !! ;)
    Si l'aspect psychologique m’intéresse, tout ce qui touche au fonctionnement intérieur du service et aux us et coutumes de la société japonaise me rebute assez (par manque de connaissance) et je crains de ne pas tenir le choc sur 600 pages.

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    1. Si le Japon t'intéresse et que le fameux "flux de conscience" ne te fait pas peur, alors je pense que tu peux y aller. Le fonctionnement du service en tant que tel n'est pas compliqué, mais suivre les méandres de la pensée du narrateur, faut quand même s'accrocher :) C'est vrai que cette lecture se mérite mais il faut parfois se lancer des petits défis personnels. Je trouve que nous avons été très ambitieuses, Marilyne et moi, ou alors très inconscientes de ce qui nous attendait :-D

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  3. Bonjour Chez Sentinelle, la lecture de ce roman peut être fastidieuse mais la résolution est remarquable. Je ne l'ai pas vu venir. Ce n'est pas un roman qu'on lit en diagonale. Je ne regrette pas le temps que j'y ai passé. http://dasola.canalblog.com/archives/2018/01/27/36083933.html Bonne journée.

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    1. Bonjour Dasola,

      La fin m'a surprise également. Je ne regrette pas du tout non plus le temps passsé à le lire. Bon we !

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