Je vous présente la deuxième adaptation française du roman Les inconnus de la maison de Georges Simenon (1940), qui fait suite à la première adaptation par Henri Decoin (1942). Je vous invite à lire leur billet respectif pour vous en faire une idée.
L'inconnu dans la maison de Georges Lautner sortira en salle en 1992. Cinquième film du couple Lautner/Belmondo (après Flic ou Voyou, Le Guignolo, Le Professionnel et Joyeuses Pâques), il marquera une étape décisive aussi bien dans la carrière du réalisateur que celle de son acteur fétiche. A presque 60 ans, Jean-Paul Belmondo sent en effet qu’il est à un tournant dans sa profession d'acteur : lassé et sans doute trop âgé pour continuer à jouer aux casse-cou dans les polars et autres comédies populaires qui ont fait son succès dans les années 80, l’acteur aimerait tourner autre chose. L’inconnu dans la maison marque donc son retour au cinéma dans un registre plus grave, et ce après quatre années d’absence (son précédent film étant Itinéraire d'un enfant gâté de Claude Lelouch, sorti en 1988 et qui marquait déjà une distance par rapport à ses précédents films). Hélas, L’inconnu dans la maison ne va pas rencontrer le succès escompté : mal reçu par la critique, il connaîtra un échec relatif à sa sortie (413 000 entrées). Si l'acteur sera désormais surtout actif sur les planches, le réalisateur Georges Lautner ne s’en relèvera pas et signera ici le dernier film de sa filmographie.
Que penser du film aujourd’hui ? A défaut d’être une œuvre incontournable et ne bénéficiant sans doute pas d’une mise en scène époustouflante, il n’en est pas pour autant un film aussi déshonorant que cela. Si l’adaptation par Henri Decoin était très fidèle au roman (étant également beaucoup plus proche dans le temps - 1942 pour la sortie du film au cinéma, 1940 pour la publication du roman), celle de Georges Lautner est forcément plus librement adaptée afin de mieux coller à son époque. Le scénario est également plus cohérent et plus équilibré que la première monture, qui était par moment bien trop ramassé et parfois même assez invraisemblable dans sa démonstration pour trouver le coupable. A défaut d'être passionnant, le film de Georges Lautner se regarde sans ennui, contrairement à celui d'Henri Decoin, qui rappelons-le ne m'avait pas plus convaincue que cela.
Que dire sur le jeu d'acteur à contre-emploi de Jean-Paul Belmondo, qui arbore désormais ses cheveux blancs ? Et bien il n'a pas du tout à rougir de la comparaison avec son illustre prédécesseur Raimu, tant il nous livre une interprétation tout en sobriété et en retenue. Ceci est d'autant plus remarquable qu'il aurait pu aisément céder à certaines facilités en se livrant à quelques scènes grandiloquentes lors de la plaidoirie, ce qu'il évite soigneusement, offrant une transition tout en douceur à son personnage alcoolique et solitaire de la première partie. Concernant les personnages secondaires, il y a malheureusement une fameuse marge entre les « anciens » acteurs, tous très bons, et les « petits jeunes », qui ont décidément bien du mal à se faire valoir face à leurs ainés.
Je vais maintenant aborder l’élément qui me semble le plus intéressant lorsqu'on compare le roman et les deux films adaptés à partir de l’œuvre de Simenon. Je signale à toute fin utile que je vais copieusement dévoiler le dénouement de chacun d'eux, dans la mesure où il sera question de l'identité du coupable. Dans le roman de Simenon, écrit avant la guerre, le coupable n'est autre qu'Ephraïm Luska, un petit aboyeur juif du Prisunic. Ce choix est d'autant plus étonnant que le roman dénonçait avec beaucoup de virulence la grande bourgeoisie provinciale d'avant-guerre et que tout menait à penser que le coupable n'était autre que le propre neveu de l'avocat. Or le coupable est finalement un juif de condition très modeste. Georges Simenon dressait souvent des portraits relevant de certains archétypes (le bourgeois, la gouvernante, la concierge...) et il ne fera pas exception avec le jeune juif Ephraïm Luska, tant il lui dresse un portrait dont certains traits sont volontiers empruntés au discours antisémite de son époque. Et pourtant il subsiste toute une ambiguïté dans le traitement de ce personnage, que nous retrouvons d'ailleurs chez le juif M. Hire (dans Les Fiançailles de M. Hire), qui fait également office de bouc émissaire, suscitant finalement bien plus de commisération que de haine chez le lecteur. Concernant l’adaptation du réalisateur Henri Decoin, le
coupable emprunte « la gueule de métèque » de Marcel Mouloudji, sans pour autant faire référence à l’origine
du coupable, si ce n’est par la consonance juive de son nom. A la Libération,
le film sera jugé antisémite et le réalisateur sera obligé de modifier le nom
du coupable en le rebaptisant « Amédée » dans une version
re-postsynchronisée. Il faudra attendre l'adaptation de Georges Lautner pour qu'enfin le coupable ne soit plus l'étranger qui cristallise toutes les peurs de la société mais bien le jeune bourgeois issu de la bonne société et qui n'est autre que le propre neveu d’Hector Loursat de Saint-Marc, joué ici par Belmondo. Il en aura fallu du temps pour en arriver là...
Réalisateur : Georges Lautner
Scénaristes : Georges Lautner, Jean Lartéguy, Bernard Stora
Auteur de l'oeuvre originale : Georges Simenon
Producteur : Alain Sarde
Directeur de la photographie : Jean-Yves Le Mener
Compositeur de la musique originale : Francis Lai
Acteurs : Jean-Paul Belmondo, Renée Faure, Cristiana Réali, Sébastien Tavel
Origine : France
Année de production : 1992
Durée : 1h44min
A découvrir également sur ce blog :
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* Les inconnus de la maison par Henri Decoin
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