Je suis une femme coupable, a dit Lucie, et moi, je n’ai pas osé la contredire, je n’ai pas osé l’interrompre parce qu’elle s’est mise à parler du passé, ça m’aurait paru indécent de lui couper la parole pour lui raconter des mensonges auxquels je n’aurais pas cru moi-même. La vérité qui sort de la bouche des enfants est une chose, celle qui se fraie un chemin à travers les années en est une autre, elle découpe des ombres denses comme la matière, prêtes à se déchirer, c’est à la noirceur de ses contours qu’on la reconnaît toujours trop tard. La vérité me fascine, c’est mon point faible, j’aurais dû l’arrêter pendant qu’il était encore temps, comme on arrête une hémorragie.
Citation
Non, le temps ne passe pas. Il arrive qu’il disparaisse, pour mieux réapparaître là où on ne l’attend pas, le temps se replie sur lui-même, puis se détend jusqu’à la transparence, plus loin d’une chose, trop près d’une autre, limpide comme une méduse, le temps avance comme ça, contracté, déplié, invisible, urticant comme les anciennes formes de vie qui semblaient flotter dans l’œil de Lucie.
Mon avis
Le dernier roman d’Isabelle Sorente, qui vient de sortir dans la foulée de la rentrée littéraire, reprend un thème récurrent dans la littérature, à savoir celui du prédateur qui se nourrit de ses victimes. Mais nous ne sommes pas dans un conte pour enfants et le méchant loup prend ici le visage d’un homme que nous pourrions qualifier de pervers narcissique. Faites un test et taper ces deux mots dans un moteur de recherche, et vous seriez étonné du nombre de liens qui y font référence, démontrant à quel point ce sujet est plus que jamais d’actualité, y compris au cinéma (je fais ici référence au film "Mon roi" réalisé par Maïwenn). La séduction, la fascination, l’emprise et la manipulation sont donc de mises dans ce roman, qui ne se refuse pas quelques ellipses et sauts dans le temps pour mieux appréhender ces relations d’ascendance et de dépendance. L’auteur aborde également avec beaucoup de finesse un autre type d’affinité sélective, qui prend ici la forme de l’amitié naissante entre deux jeunes filles de classes sociales différentes, et qui se retrouveront à l’âge adulte.
Dans quelle mesure le prédateur et sa victime consentante sont complémentaires en partageant une même faille, tout en cherchant à la compenser différemment ? Isabelle Sorente y apporte sa réponse dans un roman dense et touffu, qui mérite amplement que nous nous y attardions pour y découvrir les méandres psychologiques de deux êtres qui ne sont pas trouvés par hasard. Et si la première victime du pervers narcissique n’était autre que lui-même ? Hélas, cela ne consolera guère leurs proies, qui n'en ressortiront pas indemnes.
Quatrième de couverture
Lucie Scalbert était la plus belle fille du lycée. Avec un je ne sais quoi de dingue dans le regard. Je n’ai pas été surprise qu’elle devienne comédienne, je l’ai perdue de vue alors que le succès semblait l’attendre. Voilà que je la retrouve cinq ans plus tard. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle a abandonné sa carrière, elle prononce le nom de VDA, son mari, avec un mélange d’effroi et de rancœur. Ce vieillissement précoce, cette voix enfantine, ce rire désespéré : je comprends que c’est cela, une relation d’emprise. Ce qui fascine une romancière, en l’occurrence, Mina Liéger, mon double fictionnel, c’est ce lien étrangement raisonnable qui unit une femme à un homme qui la rend folle. À mesure que je reconstituais l’histoire de Lucie Scalbert, il devenait évident que ce lien relevait moins de la psychologie que de la possession : une force mettait Lucie à la merci des hommes dont elle tombait amoureuse. Ce rapport destructeur produisait chez ceux qui en étaient témoins un sentiment de déjà-vu, comme si nous en reconnaissions l'empreinte dans nos faux-semblants et nos secrets de famille, et jusque dans les événements qui bouleversaient nos vies. L'emprise de VDA sur Lucie obéissait à des lois trompeuses, cruelles et romanesques qui tissaient la toile dans laquelle nous étions pris.
Lucie Scalbert était la plus belle fille du lycée. Avec un je ne sais quoi de dingue dans le regard. Je n’ai pas été surprise qu’elle devienne comédienne, je l’ai perdue de vue alors que le succès semblait l’attendre. Voilà que je la retrouve cinq ans plus tard. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle a abandonné sa carrière, elle prononce le nom de VDA, son mari, avec un mélange d’effroi et de rancœur. Ce vieillissement précoce, cette voix enfantine, ce rire désespéré : je comprends que c’est cela, une relation d’emprise. Ce qui fascine une romancière, en l’occurrence, Mina Liéger, mon double fictionnel, c’est ce lien étrangement raisonnable qui unit une femme à un homme qui la rend folle. À mesure que je reconstituais l’histoire de Lucie Scalbert, il devenait évident que ce lien relevait moins de la psychologie que de la possession : une force mettait Lucie à la merci des hommes dont elle tombait amoureuse. Ce rapport destructeur produisait chez ceux qui en étaient témoins un sentiment de déjà-vu, comme si nous en reconnaissions l'empreinte dans nos faux-semblants et nos secrets de famille, et jusque dans les événements qui bouleversaient nos vies. L'emprise de VDA sur Lucie obéissait à des lois trompeuses, cruelles et romanesques qui tissaient la toile dans laquelle nous étions pris.
Cité en exergue
Les contraires s’embrassent, se regardent dans les yeux et se confondent l’un avec l’autre. Ils reconnaissent leur unité en une jouissance pleine de tourments.
Cart Gustav Lung, Le Livre rouge.
☆☆☆☆
La faille d’Isabelle Sorente, Editions JC Lattès, Collection Littérature française, 2 septembre 2015, 520 pages.
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