Avec Valentine Tessier, Max Dearly, Pierre Renoir
Madame se marrie. Madame s'ennuie. Madame rêve. Madame perd ses illusions. Madame déprime.
Quand il n'y a plus d'espoir, il n'y a qu'à mourir.
Madame meurt.
Jean Renoir signe une adaptation fidèle du roman de Gustave Flaubert (j'en parle ici). Frivole, dépensière, superficielle, vaniteuse, égoïste, adultère, la vie semble décidément trop étroite pour cette femme romanesque, qui sera mal payé en retour lorsque l'heure d'honorer ses dettes adviendra. A proximité de cette femme fantasque, une étude sociologique des mœurs provinciales de la Normandie : paysans rustres, commerçants cupides, aristocrates sans le sou,
petits bourgeois intrigants et arrivistes, homme d’église, tous sont
dépeints sans complaisance et ne suscitent à aucun moment notre
sympathie.
Valentine Tessier et Robert Le Vigan |
Les seconds rôles sont en général excellents, en particulier Pierre Renoir/Charles Bovary et l'ineffable Robert Le Vigan/M. Lheureux, le marchand d'étoffes. Mais le choix porté sur
Valentine Tessier pour interpréter Emma Bovary est étonnant. Trop mûre pour le rôle, empâtée par les ans, sa maturité condamne d'office le personnage, alors qu'une femme plus jeune et inexpérimentée aurait pu apporter une circonstance atténuante. Après renseignement, ce choix aurait été imposé à Jean Renoir (Valentine Tessier était la maîtresse du producteur Gaston Gallimard à cette époque). Son jeu pose également question : Valentine Tessier vient du théâtre, ce qui ne passe pas inaperçu non plus dans son interprétation. Bref, il y a quelque chose de décalé dans cette Madame Bovary, et on peut dire que tout est fait pour ne pas susciter une grande empathie chez le spectateur. Au pilori, Madame Bovary !
J'étais une aventurière (1939) de Raymond Bernard ****
L'ex-comtesse russe Véra Vronsky (Edwige Feuillère), jeune comtesse russe ruinée, a toujours vécu sur un grand pied. Elle écume aujourd'hui les palaces de la Côte d'Azur et vit de petites escroqueries à l'aide de deux complices, Desormeaux (Jean Max) et Paulo (Jean Tissier). Un nommé Glorin (Jean Murat) est leur future cible. Mais Véra se laisse prendre au jeu de la séduction et tombe amoureuse de cet homme...
Cette comédie se rapproche fortement des comédies américaines de la même époque, et c'est à multiples reprises que le nom de réalisateur Ernst Lubitsch se rappelle à nous, sans pour autant dépasser le maître. Edwige Feuillère est toujours aussi exceptionnelle : belle, charmante, drôle, élégante. En un mot : délicieuse. Mais il faut reconnaître qu'elle est très bien entourée : Jean Murat, Jean Tissier et Jean Max ne dépareillent aucunement (on constatera que le prénom Jean était très en vogue à cette époque).
Jean Tissier |
Tout cela est finalement très déprimant et nous éloigne grandement de cette comédie très réussie, qui inspirera d'ailleurs plusieurs remake. Dont une version américaine (I Was an Adventuress de Gregory Ratoff, avec les acteurs Erich von Stroheim et Peter Lorre) et une autre du même réalisateur 20 ans plus tard (Le Septième Commandement, avec toujours Edwige Feuillère dans le rôle principal).
Les escrocs en pleine combine, interprétés par Edwige Feuillère, Jean Max et Jean Tissier |
Les Dames du bois de Boulogne (1945) de Robert Bresson ***
Avec María Casares, Paul Bernard, Elina Labourdette
Avec María Casares, Paul Bernard, Elina Labourdette
Quand une femme amoureuse mais déçue et délaissée par son amant se transforme en harpie vengeresse en mettant au point un piège machiavélique, dont elle ne cessera de tirer les ficelles afin de compromettre son ex-amant avec une ancienne danseuse de cabaret, qu’un revers de fortune a conduit à la déchéance et qui lui cache son passé.
Crépusculaire, sobre, austère, venimeux et funeste à la fois. Il y a finalement quelque chose qui rappelle Les liaisons dangereuses dans ce trio femme vengeresse/ancien amant/femme perdue, où seule cette dernière induit chez le spectateur une sympathie certaine. Ce film fut injustement décrié à sa sortie mais très bien défendu par François Truffaut (lire à ce propos Les films de ma vie), qui admirait le réalisateur Robert Bresson, et ce même si Les Dames du bois de Boulogne n'est pas vraiment représentatif de son œuvre. La photographie, les costumes, le cadrage, l'éclairage et les clairs/obscurs sont très travaillés, donnant une patine esthétique qui m'a particulièrement séduite, avec un petit côté désuet qui fait aussi tout son charme.
María Casares |
Inspiré de l'histoire de Mme de la Pommeraye dans "Jacques le fataliste et son maître" de Denis Diderot, les dialogues du film sont de Jean Cocteau.
Quelques mots sur María Casares. Célèbre tragédienne, elle marquera particulièrement le cinéma français dans les années 40, en participant à de nombreux classiques, dont Les Enfants du paradis. Actrice espagnole naturalisée française, elle vivra une intense histoire d'amour, incandescente mais secrète, avec Albert Camus. Cette passion fera l'objet d'un roman, Tu me vertiges de Florence M.-Forsythe, que je n'ai pas encore lu mais qui me tente beaucoup.
Coucou Sentinelle.
RépondreSupprimerJ'aime tellement le roman de Flaubert que je serais assez intéressé par la découverte de cette version de "Madame Bovary", même si je connais l'histoire par coeur (ou presque). Ce que tu dis de l'empathie que peut dégager le personnage est intéressant. On peut effectivement en avoir ou pas pour cette femme qui ne se fait jamais à la vie des campagnes. C'est l'un des intérêts de ce grand roman.
Intéressé aussi par ton texte sur les deux autres films et plus particulièrement par le premier. Merci d'attirer mon regard vers Jean Tissier. Il se trouve que je viens de voir Mireille Balin dans un autre film et cela m'a donné envie d'en voir d'autres avec cette actrice au destin tragique. Toutes ces histoires d'épuration font quand même froid dans le dos, surtout que les pires avanies sont parfois tombées sur des artistes qui ne méritaient pas d'être ainsi discrédités.
Je me régale, avec tes films anciens. Est-on en droit d'espérer un épisode 3 ? ;-)
Hello Martin,
SupprimerCe qui est intéressant, avec Madame Bovary au cinéma, c'est qu'elle peut être aussi sympathique qu'antipathique, tout dépend du regard du cinéaste. Et j'ai bien l'impression que Jean Renoir ne lui donne aucune circonstance atténuante, il la condamne sans cesse, et c'est évidemment la raison pour laquelle je termine mon billet par "Au pilori, Madame Bovary !". Le seul qui trouve grâce à ses yeux semble être Charles Bovary. La faire jouer par une femme mûre la condamne un peu plus à mes yeux, autant de naïveté à son âge, ce n'est plus attendrissant, c'est juste ridicule oups. Visiblement, Jean Renoir n'y est pour rien, mais le fait de lui imposer son actrice l'a peut-être contrarié et cela rejaillit un peu dans le traitement du personnage ;-) Ceci dit, je te conseille volontiers cette adaptation. Tout comme Madame Bovary réalisé par Vincente Minnelli, avec Jennifer Jones. Le regard de Minnelli sur Madame Bovary est évidemment tout autre.
J’ai vraiment eu un coup de cœur pour Jean Tissier et j’étais triste d’apprendre par la suite qu’il avait connu une fin de vie aussi tragique. Quand il a été arrêté à la fin de la guerre, il a vite été relâché mais il semblerait que tous les grands réalisateurs l’ont boycotté par la suite, raison pour laquelle il n’a plus tourné de rôles ni de films intéressants. Je suppose qu’il y a des éléments qui m’échappent mais comme je ne les connais pas, cela me désole. Le destin de Robert Le Vigan (grand copain de Louis-Ferdinand Céline), qui lui a été condamné pour antisémitisme et collaborationnisme, n’est pas plus heureux non plus. Je peux me tromper mais Robert Le Vigan m’a toujours semblé être plus « un doux dingue » qu’autre chose. C’est drôle mais j’ai d’abord connu Robert Le Vigan via la littérature (Le château de Sigmaringen de Pierre Assouline) et la bande dessinée (La cavale du Dr Destouches). Toute une époque. A ce propos, il faudrait tout de même que je m’achète « Continental Films : Cinéma français sous contrôle allemand », qui m’intéressera très certainement.
Je te promets qu’il y aura un épisode 3 prochainement 😊
C'est bien agréable en tout cas de regarder tous ces vieux films, et je suis contente si cela te donne envie de les regarder à ton tour !
Tout à fait d'accord pour Valentine Tessier, pas vraiment l'idée que l'on se fait d'Emma Bovary. Les seconds rôles dans le cinéma de cette époque sont la plupart du temps "énormes". J'ai eu l'occasion en 2017 de faire une conférence sur Robert Le Vigan, personnage fascinant et démesuré. J'avais rencontré l'un de ses biographes, Claude Beylie. J'ai lu aussi Sigmaringen. J'ai failli faire un billet là-dessus et puis le temps passant... Il faut reconnaitre que Le Vigan a parfois donné lui-même les verges pour se faire battre. Par ailleurs j'aime bien la version de Minnelli et un peu moins celle de Chabrol.
RépondreSupprimerJe ne connais pas ce film de Raymond Bernard. J'ai vu Les dames du bois de Boulogne mais il y a trop longtemps pour que j'en parle correctement.
J'aime vraiment beaucoup tes chroniques du patrimoine. A bientôt.
Je n'en ai pas terminé non plus avec Robert Le Vigan, tant le personnage m'intéresse également. Et je dois dire qu'il joue très bien dans Madame Bovary, je pense qu'il pouvait donner le meilleur de lui-même quand il était bien dirigé par le réalisateur (je dis ça parce qu'il me donne aussi l'impression d'être passablement dérangé et illuminé parfois).
SupprimerJe ne suis pas non plus totalement fan de la version de Chabrol. J'apprécie Isabelle Huppert mais elle a trop d'angles aigus et de côtes saillantes pour interpréter Madame Bovary, déjà très chargée au niveau caractère. Une personnalité plus ronde pour enrober le personnage est à mon sens préférable pour aborder ce rôle.
Merci Eeguab, et à bientôt !
Il est certain que la trajectoire dramatique de tous ces acteurs et ces actrices de la collaboration prennent aujourd'hui un jour fascinant, surtout au regard des rôles qu'ils ont pu interpréter durant leur carrière. Quand je pense à Le Vigan, je vois le mouchard de la Bandera. Réflexe téléologique certainement.
SupprimerJe pense plutôt à son rôle de Jésus dans Golgotha de Julien Duvivier (1935). Je ne l'ai pas encore vu mais c'est un contraste surprenant. Il parait d'ailleurs que ce rôle a beaucoup perturbé l'acteur.
SupprimerCe qui me fascine, c'est la trajectoire des acteurs/réalisateurs/écrivains accusés de collaboration. Certains s'en sortent plus ou moins facilement, d'autres pas du tout. Et je crains malheureusement que ce soit les plus faibles qui n'en sont jamais revenus....
De ces trois films appartenant désormais au "patrimoine", je n'ai vu que celui de Bresson, mais il y a maintenant une éternité (j'ai presque l'impression que je l'ai vu à sa sortie… mais mon acte de naissance me contredit). J'adore Renoir et j'aime aussi beaucoup "les Croix de Bois" du fils de Tristan Bernard, ton article tout en finesse est donc une merveilleuse invitation à la rétrospective.
RépondreSupprimerIl y a encore beaucoup de découvertes à faire en ce qui me concerne, tant je connais mal le cinéma allant du muet aux années 70. A partir des années 80, je m'en sors beaucoup mieux. Que de richesse en perspective, c'est vraiment un plaisir pour moi et c'est aussi un plaisir de vous le faire partager :)
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