mardi 3 juillet 2018

Citation : à propos de James Dean, par François Truffaut

Le jeu de James Dean contredit cinquante ans de cinéma, chaque geste, chaque attitude, chaque mimique sont une gifle à la tradition psychologique. Il joue autre chose que ce qu’il prononce, il joue à côté de la scène, son regard ne suit pas sa conversation, il décale l’expression et la chose exprimée comme, par sublime pudeur, un grand esprit prononcera de fortes paroles sur un ton humble comme pour s’excuser d’avoir du génie, d’en importuner autrui.

Dans ses grands moments, Chaplin atteint à l'extrême point du mimétisme ; il devient arbre, lampadaire ou descente de lit carnassière.  Le jeu de James Dean est plus animal qu'humain et c'est en cela qu'il est imprévisible : quel sera le geste qui va suivre ? James Dean peut, en parlant, se mettre à tourner le dos à la caméra et terminer la scène de cette façon, il peut rejeter brusquement la tête en arrière ou bouler en avant, il peut lever les bras au ciel ou les lancer vers l'objectif, paumes vers le ciel pour convaincre, paumes vers la terre pour renoncer. Il peut, au cours d'une même scène, apparaître comme un fils de Frankenstein, un petit écureuil, un bambin accroupi ou un vieillard cassé en deux.  Son regard de myope accroît le sentiment de décalage entre le jeu et le texte, vague fixité, demi-sommeil hypnotique.

(...)

James Dean est à côté de tout, l'essence même de son jeu est telle que le courage ou la lâcheté n'y ont aucune part, non plus que l'héroïsme ou la peur.  Il s'agit d'autre chose, d'un jeu poétique qui autorise toutes les libertés et même les encourage.  Jouer juste ou jouer faux, ces deux expressions n'ont plus de sens avec Dean puisqu'on attend de lui une surprise de tous les instants ; il peut rire là où un autre acteur pleurerait et inversement puisqu'il a tué la psychologie le jour même où il est apparu sur scène.  

En James Dean, tout est grâce et dans tous les sens du mot.  Le secret est là.  Dean ne fait pas mieux que les autres, il fait autre chose qui est le contraire et le pare d'un prestige qu'il conserve dès lors jusqu'à la fin du film.

Les films de ma vie de François Truffaut
Extrait du chapitre IV, Quelques outsiders
James Dean - James Dean est mort (article écrit en 1954)



James Dean, A l’Est d’Eden, 1954, Californie
Photo Michael Ochs Archives

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4 commentaires:

  1. Coucou Sentinelle.

    Voilà un joli compliment qui donne envie de plusieurs choses: lire le livre, voir les films de James Dean et surtout ceux qu'il a tournés sous la direction de Truffaut. Oh, wait...

    Amitiés cinéphiles... un peu décalées, elles aussi.

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    1. Coucou Martin,

      Un bien joli compliment, effectivement, dans lequel je me retrouve dans ce que je ressens lorsque je regarde les films avec James Dean. Je trouve que François Truffaut a vraiment bien trouvé les mots pour en parler.

      Ahah, oui, on peut toujours imaginer les films qu'il aurait pu tourner sous la direction de Truffaut :)

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  2. J'aime les cinéastes cinéphiles. Ils ne sont pas si nombreux.Truffaut était de ceux-là.

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    1. Tout à fait, je pense qu'il regardait au moins deux films par jour. Je reviendrai probablement vers ce livre pour les références qu'il cite, histoire de m'en inspirer.

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