dimanche 29 juillet 2018

L'Atalante de Jean Vigo

L'Atalante (1934) de Jean Vigo ****
Avec Michel Simon, Dita Parlo, Jean Dasté

Juliette (Dita Parlo), fille de paysans de l'Oise, quitte (fuit) son village au bras de son jeune époux, le marinier Jean (Jean Dasté).  Ils vont vivre à bord de L'Atalante, en compagnie d'un mousse et du matelot le père Jules (Michel Simon), inénarrable personnage qui vit au milieu de ses chats. Si le village était déjà minuscule pour une jeune femme qui rêve d'ailleurs, la péniche se révèle à son tour bien exiguë au fil de l'eau.  Lors d'une halte dans la capitale, elle rencontre un camelot chanteur qui lui promet "le grand soir".  La nuit, Juliette quitte le navire, seule et en cachette,  pour découvrir les promesses de cette fameuse Ville Lumière...

Voici en quelques lignes l'histoire du film, qui nous parle tout simplement des difficultés d'un jeune couple à s'adapter l'un à l'autre.  C'est l'histoire d'une grande histoire d'amour, composée de petits moments de bonheur, d'illusions, de déceptions, de tentations, de rupture et de réconciliation. L'Atalante, c'est aussi le petit peuple et le monde de l'eau, naviguant de la campagne aux ports industriels, d'un milieu renfermé sur ses traditions à un monde de tous les possibles, mais également de toutes les séductions les plus triviales. 

Mais ce qui ravit le spectateur, c'est avant tout l'esthétisme du film et la mise en scène de Jean Vigo, tour à tour réaliste, poétique, charnelle, lyrique, onirique.  Puis il faut voir l'acteur Michel Simon, extraordinaire dans le rôle du père Jules, une espèce de faune hirsute et pouilleux,  débauché et jouisseur impénitent totalement libertaire.  

Michel Simon et  Dita Parlo

Il ne le sait pas encore, mais ce rôle sera l'un des plus marquants de sa carrière. Néanmoins, tourner avec Jean Vigo, réputé comme étant un cinéaste maudit,  ne lui portera pas chance dans l'immédiat : "Ca m'a crucifié !  J'ai été mis à pied, cinq ans sans tourner.  Et c'est à cause de cela que je suis devenu un comédien raisonnable.  L'acteur d'avant-garde est mort pour faire place à un honnête bourgeois qui va à son travail comme on va au bureau, poussé par la faim.  Après cela, j'ai fait ce qu'on m'a demandé de faire bien sagement."

Si le scénario de L'Atalante (qui fut un film de commande) porte sur un sujet très moral (les mauvaises tentations de la ville et la rédemption d'une jeune femme qui s'égare en cours de route pour mieux retrouver l'amour conjugal), c'est la façon de raconter cette histoire et de la mettre en scène qui fait toute la différence. En filmant notamment l'amour, les rêves, les pulsions et les désordres du désir.

Dita Parlo et Jean Dasté
 
Considéré de nos jours comme l'un des films les plus importants du cinéma français des années 30 et l'un des premiers chefs-d'œuvre du cinéma parlant, L'Atalante  de Jean Vigo connaîtra pourtant bien des déboires :  le public n'est pas au rendez-vous à sa sortie et  tout le monde se met à tripatouiller le film en proposant plusieurs versions remaniées. Pour ma part, je l'ai vu dans une version restaurée et remasterisée, dans une version que l'on considère la plus proche de la version sortie en 1934 au Palais Rochechouart.  Jean Vigo, gravement malade, meurt à la fin du tournage.  Il a à peine 29 ans, mais il aura marqué durablement le cinéma, alors que la totalité de son œuvre ne dépasse pas deux cents minutes de projection.  

Du même Jean Vigo, je vous avais parlé de Zéro de conduiteici.

12 commentaires:

  1. "Zéro de conduite", c'est presque sûr.
    "L'Atalante", c'est une possibilité...

    Bref, je vais probablement découvrir Jean Vigo d'ici la fin de l'année.
    Le fait que tu aies aimé: 1) ça ne me surprend pas et 2) ça me rend impatient ! ;-)

    Merci, Sentinelle, pour cet "avant-goût".

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    1. Et bien, je ne savais rien du tout sur Jean Vigo (à part son nom, qui me disait tout de même quelque chose) et je découvre coup sur coup deux de ses films, et je suis bien triste d'apprendre qu'il n'a pas pu en tourner d'autres suite à son décès bien trop précoce. Quelle tristesse d'un côté, quelle joie aussi qu'ils ont marqué, chacun à leur manière, le cinéma français. Effectivement, L'Atalante avait tout pour me plaire :)

      Avec plaisir, Martin. J'espère tout de même que tu verras L'Atalante, plus maîtrisé que Zéro de conduite, très foutraque mais il se dégage quelque chose de fort malgré tout.

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    2. "Zéro de conduite" devrait être programmé par la bibliothèque où j'interviens parfois dans le cadre d'un mini-cycle "Rentrée des classes". Avec, je crois, un court de Jacques Rozier en complément. Nous en reparlerons fin septembre ou début octobre, si cela se concrétise comme prévu.

      "L'Atalante", c'est un autre cas de figure. Le président fondateur de mon association a proposé de nous le présenter, mais il semble que les droits soient un peu élevés pour nos modestes finances - la salle qui nous accueille n'étant a priori pas très motivée pour les prendre à sa charge. Reste à voir s'il sont négociables ou non...

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    3. Je comprends mieux pourquoi tu verras plus facilement le premier que le deuxième. La version de L'Atalante que j'ai vue est celle faisant partie de mon fameux coffret 120 ans Gaumont, volume II. C'est drôle car Gaumont a choisi quelques films alors qu'ils étaient à l'époque en grands désaccords avec les réalisateurs concernés. Je pense notamment à Jean Grémillon et son film "Daïnah la métisse", qui n'a même pas voulu être présent au générique de film. Je parlerai de ce film assez étonnant prochainement.

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    4. Oui, je place volontiers Grémillon (que j'ai découvert, lui aussi, à la bibliothèque) comme un réalisateur en avance sur les moeurs de son temps. Tant mieux si nous avons aujourd'hui l'occasion de redécouvrir ces précurseurs ! Autant dire que j'ai hâte de lire ta chronique sur "Daïnah", film maudit s'il en est, d'après ce qu'on m'a expliqué...

      C'est certain que le succès tardif est parfois ingrat, a fortiori quand, comme dans le cas de Vigo, il est largement posthume...

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    5. Daïnah la métisse de Jean Grémillon est malheureusement un film très mutilé, mais il demeure si singulier qu'il reste intéressant, malgré cette mutilation. Je reparlerai très bientôt !

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  2. Suite à une manipulation malencontreuse, j'ai malheureusement effacé le commentaire Eeuguab, au lieu de le publier. Je reprends, de mémoire, son commentaire, qui disait un peu près ceci :
    - A propos de Nice, son documentaire, est à voir car très innovant pour l'époque
    - En réponse à Martin, il te confirmait qu'il était difficile de présenter certaines œuvres vu le coût exorbitant, rendant sa diffusion difficile dans le cadre d'association ou autres

    Encore toutes mes excuses, Eeguab, et n'hésite pas à me corriger si besoin car j'ai bien conscience du fait que mon compte-rendu est assez approximatif.

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    1. C'est une très bonne idée d'attirer mon attention sur ce documentaire, je vais essayer de le dénicher quelque part. Et je pense que notre ami Martin serait bien intéressé également :)

      Tu as tout à fait raison, je trouve par ailleurs que l'accès à la culture est de plus en plus élitiste, je pense notamment au coût d'un billet au musée, qui a flambé - en tout cas à Bruxelles - ces dernières années. Je ne compte plus non plus les petites salles de cinéma qui ont disparu. Je viens encore d'apprendre ce matin, avec beaucoup de tristesse, que le cinéma Actor's Studio fermait ses portes ce mardi 31 juillet. Le foot et le beau temps l'ont achevé définitivement. J'ai toujours connu ce cinéma, et il ferme aussi maintenant. J'ai l'impression de tout disparaît à une vitesse vertigineuse ces dernières années, l'environnement urbain change à vue d’œil et parfois je me demande combien de temps il me sera encore possible de me rendre dans les petites bibliothèques de mon quartier.

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    2. Paradoxe tenace: les coûts de la culture augmentent partout, tandis qu'en parallèle, certains exploitants culturels (pardon pour le terme…) se battent pour proposer des tarifs accessibles au plus grand nombre. Je crois effectivement que, désormais, la démocratie culturelle est un combat ! Mais un combat positif, qui ne tue personne et, parfois, aide au contraire à mieux vivre ! D'où l'intérêt des blogs, à mon avis, pour y apporter notre modeste contribution.

      J'ai eu la chance d'être éduqué à la culture, ce qui a créé en moi une curiosité. Ce n'est pas une chance qui est accessible à tous. Merci donc à vous, entre autres, Sentinelle et Eeguab, pour ces échanges "virtualisés" (et pourtant bien réels)… sur "À propos de Nice" et tout le reste :-)

      Pour tout vous dire, cette histoire de sous autour des films que nous projetons vient aussi du fait que certains petits distributeurs réclament une somme minimale pour accepter de nous faire parvenir un film. Et cette somme, le cinéma qui nous accueille (petit, lui aussi, et financé par une collectivité locale) n'est pas forcément d'accord pour la verser s'il ne s'y retrouve pas en termes de billetterie. C'est frustrant, parfois, mais malgré tout compréhensible si on se met à la place de ceux qui se battent pour diffuser des films issus de petites productions indépendantes.

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    3. Je pense aussi que c'est un combat. Pour tout te dire, très peu de personnes autour de moi sont intéressées par la culture. Moi-même, je n'ai jamais été initiée non plus, mais j'ai eu très tôt des goûts très prononcés et très personnels. D'ailleurs, les films que je vois, on les a toujours qualifiés dans mon entourage "de films à la Véro". Donc, oui, tu as eu beaucoup de chance, car c'est aussi une démarche volontaire des parents, qui demande du temps, de l'investissement et de l'intérêt partagé.

      Je viens d'apprendre aujourd'hui (suite à la fermeture du cinéma) que Bernard Hennebert est un journaliste et écrivain belge spécialisé dans la défense des droits des consommateurs de culture. Nous en sommes là. Donc, oui, c'est un vrai combat.

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  3. L'Atalante est un film étonnant en effet. Je me souviens de mon étonnement devant le film, d'images de corps flottants dans l'eau (ou alors je confonds) et de Simon, plus vrai que nature (tellement nature qu'il n'était pas si loin de ce personnages d'anarchiste dans la vraie vie). Il était mûr pour jouer Boudu. En revanche, je n'ai pas vu Zéro de conduite.

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    1. Tes souvenirs sont justes. Ce film dégage quelque chose de spécial, il a sa petite magie bien à lui. Zéro de conduite est moins maîtrisé et beaucoup moins abouti mais il possède une énergie incroyable et un esprit libertaire assez unique.

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