mardi 4 mars 2014

Quand tout est déjà arrivé de Julian Barnes

Ils ont vécu ensemble pendant trente ans. Julian Barnes en avait trente-deux quand ils sont se rencontrés, soixante-deux quand elle est morte. Trente-sept jours entre le diagnostic et la mort. Son épouse, sa compagne, sa moitié. Le cœur de sa vie ; la vie de son cœur.

Julian Barnes va devoir affronter l’expérience la plus cruelle qui soit, celle de la perte de l’être aimé. Les réactions de l’entourage (« les amis sont mis à l’épreuve ; certains passent le test, d’autres échouent. De vieilles amitiés peuvent être renforcées par un chagrin ; ou paraître soudain bien légères ») : les donneurs de conseils, les silencieux ; ceux qui évitent d’en parler, qui n’osent même plus la mentionner.

Désorienté et bouleversé par cette absence et cette souffrance, l’auteur se rend compte à quel point il a bien peu de pouvoir sur les choses. Il se retrouve seul dans la nacelle, pris dans les nuages, comme immobilisé, sans repères, délesté bien malgré lui. Prendre de la hauteur, du recul, de la distance. S’élever enfin. Comme Nadar, ce grand échalas à la crinière rousse (« la flamme de ses cheveux semblaient capables de propulser à eux seuls un ballon dans les airs »), plein d’énergie et de vitalité. Un homme volage mais aimant jusqu’à son dernier souffle sa tendre épouse. L’homme qui, à bord d’un ballon, prendra les premiers clichés aérostatique en 1858. Viennent ensuite les amours de Sarah Bernhardt avec un bel officier anglais, amour passionné de Fred Burnaby qui ne sera pas payé en retour par la belle.

« Chaque histoire d’amour est une histoire de chagrin potentielle. Sinon sur le moment, alors plus tard. Sinon pour l’un, alors pour l’autre. Parfois pour les deux. »

Un court roman en trois parties, les deux premières parties plus légères comme introduction à celle qui s’avèrera la plus intime, la plus profonde, la plus touchante. L’amour, comme l’art ou la religion, peuvent nous élever et nous faire prendre de l’altitude. Mais il y a peu d’atterrissages en douceur, et ce qui nous élève pour aussi nous écraser. Car perdre un amour, c’est aussi « tomber de la plus grande hauteur » qui soit.

« Alors comment vous sentez-vous ? Comme si vous étiez tombé d'une hauteur de plusieurs dizaines de mètres, conscient tout du long, et que, sous la violence du choc, vos jambes s'étaient enfoncées jusqu'aux genoux dans un parterre de roses et que vos organes internes, rompus, avaient jailli de votre corps. Voilà quel effet ça fait [...]. »

La question du suicide :
« J’ai compris que, dans la mesure où elle vivait encore quelque part, elle vivait dans mon souvenir. Bien sûr, elle restait aussi puissamment dans l’esprit d’autres personnes ; mais j’étais celui qui se souvenait le mieux d’elle. Si elle était quelque part, elle était en moi, intériorisée. C’était normal. Et il était également normal – et irréfutable - que je ne pouvais pas me tuer car alors je la tuerais aussi. Elle mourrait une seconde fois, mes chatoyants souvenirs d’elle s’estompant tandis que l’eau du bain se teinterait de rouge. Cela fut donc, finalement (ou, du moins, pour le moment), simplement décidé. »

Nadar en ballon

Titre : Quand tout est déjà arrivé
Auteur : Julian Barnes
Traduction : Jean-Pierre Aoustin
Editeur : Mercure de France
Collection : Bibliothèque étrangère
Publication : 9 janvier 2014
Broché: 144 pages


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En cours de lecture du roman Quand tout est déjà arrivé de Julian Barnes


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