samedi 27 août 2016

Le fracas du temps de Julian Barnes : Extraits


Comment était-il possible de ne pas aimer Shakespeare ? Shakespeare, après tout, avait aimé la musique. Ses pièces en sont pleines, même les tragédies. Ce moment où Lear revient de sa folie au son de la musique… Et ce moment, dans Le marchand de Venise, où Shakespeare dit que l’homme qui n’aime pas la musique n’est pas digne de confiance ; qu’un tel homme serait capable d’un acte aussi vil que le meurtre ou la trahison. Alors bien sûr les tyrans détestent la musique, malgré tous leurs simulacres d’appréciation. Mais ils détestent encore plus la poésie. Il aurait aimé être là le jour où, lors de cette lecture publique de leurs œuvres par des poètes de Leningrad, voyant Anna Akhmatova monter sur scène, tout le public s’était instinctivement levé pour l’applaudir. Un geste qui avait incité Staline à demander furieusement qui avait organisé cette ovation debout. Mais, plus encore que la poésie, les tyrans détestent et craignent le théâtre. Shakespeare tendait un miroir à la nature, et qui pouvait supporter d’y voir son propre reflet ? C’est pourquoi Hamlet avait été longtemps interdit ; Staline détestait cette pièce presque autant que Macbeth.

Chostakovitch signant le livre d'or de Staline, peu après le congrès culturel
et scientifique pour la paix dans le monde de 1948 organisé à New York.
Il était l'un des membres de la délégation soviétique, à la demande de Staline

Qu'est-ce qui pourrait être opposé au fracas du temps ? Seulement cette musique qui est en vous - la musique de notre être - qui est transformée par certains en vraie musique. Laquelle, au fil des ans, si elle est assez forte et vraie et pure pour recouvrir le fracas du temps, devient le murmure de l'Histoire. C'était sa conviction.

Dmitri Chostakovitch

Lénine trouvait la musique déprimante.
Staline croyait comprendre et apprécier la musique.
Khrouchtchev méprisait la musique.
Quel est le pire pour un compositeur ?

Prokofiev, Chostakovitch and Khachaturian

Il écrivait de la musique pour ceux qui voulaient l'écouter, pour ceux qui appréciaient le mieux la musique qu'il composait, de quelque origine sociale qu'ils fussent. Il écrivait de la musique pour les oreilles qui pouvaient entendre.




Il avait versé son tribut à César, et César n'avait pas été ingrat. En tout, il s'était vu décerner six fois le prix Staline.


Le Denier de César par Titien, 1516
Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu (réponse de Jésus aux Pharisiens - Marc, XII, 13-17; Matthieu, XXII,21; Luc, XX, 25)

« A qui l'art appartient-il ? »

[...] Ne pas pouvoir répondre à la question était la réponse correcte.   Parce que la musique, en définitive, appartient à la musique. C'était tout ce qu'on pouvait dire, ou souhaiter.
 

Quatrième de couverture

On a beaucoup critiqué les artistes qui ont choisi de cautionner le régime soviétique, qui ont été des «collabos». Mais on ne doit pas oublier que Staline les surveillait de près. Vous deviez obéir, sinon… Un trait de plume du tyran suffisait à vous condamner à mort, ainsi, parfois, que toute votre famille, et à faire disparaître votre œuvre. Alors quel choix aviez-vous? Dans Le fracas du temps, Julian Barnes explore la vie et l’âme d’un très grand créateur qui s’est débattu dans le chaos de son époque, tout en essayant de ne pas renoncer à son art. Que pouvait-il faire? Et, en corollaire, qu’est-ce que moi, j’aurais fait? 

Julian Barnes vit à Londres. Auteur de quinze romans ou recueils de nouvelles, de sept essais ou récits, traduits en plus de trente langues, il a reçu le David Cohen Prize pour l’ensemble de son œuvre et le Man Booker Prize pour Une fille, qui danse.   Il est le seul écrivain étranger à avoir été couronné successivement par le Prix Médicis (Le Perroquet de Flaubert en 1986) et le Prix Femina (Love, etc. en 1992).


Le fracas du temps de Julian Barnes, traduit de l'anglais par Jean-Pierre Aoustin, Éditions Mercure de France, 8 avril 2016, 208 pages

Bibliographie sélective :



Du même auteur, à lire sur ce blog :

* Quand tout est déjà arrivé de Julian Barnes



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