lundi 16 juillet 2018

Moisson de vieux films (1) : D.W. Griffith, Abel Gance et Jean Vigo

Naissance d'une nation (The Birth of a Nation, 1915) de D.W. Griffith ***(*)
Avec Nate Parker, Armie Hammer, Mark Boone Junior

Extrêmement célèbre pour le génie du réalisateur et la démesure des reconstitutions historiques, mais également très controversé de par son discours raciste, ce film mérite-t-il sa réputation ? Et bien oui, tout à fait.  On est bluffé par cette superproduction, par la virtuosité du montage et de sa mise en scène (étonnamment moderne) et par sa première partie (la durée du film, découpé en deux chapitres, est de 190 minutes), qui se déroule à un rythme effréné et qu'on suit sans peine tant elle ne heurte guère notre sensibilité.  Certes, on tique sur la représentation de l'esclavage dans le Sud (la communauté noire semble être en colonie de vacances et ils s'amusent comme des petits diables pendant leur pause de deux heures sur le temps de midi, on croit rêver) mais on pardonne et on ferme les yeux sur cette vision simpliste, édulcorée et invraisemblable.  L'affaire se corse dans la deuxième partie, dont le contenu est tout simplement honteux et affligeant.  Voir la naissance du Ku Klux Klan et son apologie, voir sa représentation de la communauté noire après la guerre de Sécession est absolument effroyable et on se demande comment D.W. Griffith a pu sérieusement soutenir qu'il n'en était rien à ses détracteurs.  Il tournera par la suite Intolérance en 1916, encore considéré de nos jours comme le chef-d'œuvre de Griffith.  Je le verrai prochainement.


Petite anecdote : on retrouve dans ce film la muse du réalisateur, qui n'est autre que l'une des actrices les plus célèbres du cinéma muet, que les cinéphiles connaissent bien pour son interprétation de Mme Cooper dans La nuit du chasseur de Charles Laughton : Lillian Gish.


La fin du monde (1931) d'Abel Gance *
Avec Abel Gance, Victor Francen, Colette Darfeuil 

Premier film parlant d'Abel Gance et premier film que je vois du réalisateur.  Je gage qu'il ne s'agit pas de son meilleur film, même si je ne remets pas en cause la qualité de sa mise en scène, notamment dans les dernières scènes d'orgie et de panique suite à la peur de la fin du monde consécutive au passage d'une comète qui se dirige en droite ligne vers la terre.  Mais quel discours naïf, quelle interprétation des acteurs décevante (en particulier celle d'Abel Gance, la pire de toutes) et quelle romance ennuyeuse.  La durée du film a été réduite de beaucoup et on se saura jamais si on l'a échappé belle ou si le film aurait été tout autre (un doute m'assaille).  A voir quand même, par curiosité.





Zéro de conduite (1933) de Jean Vigo  **
Avec Louis de Gonzague, Raphaël Diligent, Jean Dasté 

Jean Vigo s'en donne à cœur joie dans ce film foutraque en puisant dans ses souvenirs d'enfance, enfin disons les meilleurs. Le cinéma muet n'est pas loin et cela se voit, notamment dans une première séquence (en forme d'hommage ?) ou le jeu d'un des acteurs (Jean Dasté, très lunaire). Le film semble chaotique, décousu et manque certainement de liant, mais il se voit sans déplaisir tant il prône un esprit libertaire aussi irrévérencieux que réjouissant, et c'est sans doute là que se niche sa plus belle réussite.  Certains personnages sont également très drôles et ils ne manquent pas de finesse à certains moments. 

Ce film sera censuré jusqu'en 1946. Pardi, on ne badine pas avec l'autorité, non mais !  Tout cela nous semble bien dérisoire aujourd’hui, même si cette liberté de ton pourrait sans nul doute encore en déplaire à certains.



10 commentaires:

  1. Bonjour. Naissance d'une nation est un film extraordinaire. Bien sûr une bonne partie est moralement indéfendable. A mon avis là n'est pas la question, tant ce film est fondateur et jette les bases d'un cinéma du XXème siècle. Griffith sera plus tolérant avec Intolérance, film très intéressant également.
    Jamais vu La fin du monde.
    Zéro de conduite, film ahurissant de liberté. Quarante minutes d'une rebellion permanente. Un document, comme toute rebellion, pas forcément très nuancé. Mais à voir, de même que L'Atalante et le génial docu A propos de Nice. C'est tout pour Jean Vigo.
    J'apprécie ces hommages au patrimoine cinéma. A bientôt.

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    1. Bonjour Eeguab,

      Naissance d'une nation est effectivement un film extraordinaire, et malgré le propos indéfendable de la deuxième partie, il serait impensable de le censurer car c'est véritablement un film fondateur. De Griffith, je vais voir prochainement Intolérance mais aussi A travers l'orage et le documentaire "Griffith et le Loup". J'y reviendrai sans doute plus longuement prochainement.

      Zéro de conduite est toujours un film aussi ahurissant de liberté, encore de nos jours je veux dire. L'Atalante est dans mes cartons :)

      Merci Eeuguab. Et je vais encore revenir souvent dans les jours qui viennent à ce patrimoine du cinéma, car je me suis offert un joli cadeau : le Coffret Collection 120 Ans, Vol. 2 : 1930-1944. Je me régale !!! A bientôt.

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  2. Hello Sentinelle. Merci pour cette triple chronique.

    En dépit de sa virtuosité, le Griffith ne m'attire guère. Un jour, peut-être que je changerai d'avis. J'aurais plutôt cherché à voir le Abel Gance, mais tu refroidis mon enthousiasme. De ce même réalisateur, je n'ai vu que "Paradis perdu", un joli film classique que je peux te recommander.

    Pour ce qui est de Jean Vigo, je vais faire sa connaissance en septembre, à l'occasion d'un cycle "Rentrée des classes" organisé dans la bibliothèque où j'interviens parfois.

    Effectivement, comme tu le disais à Eeguab, tu sembles t'être fait un joli cadeau ! J'ai hâte de lire la suite… et me demande si tu oseras investir pour t'offrir aussi les autres coffrets ;-)

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    1. Hello Martin,

      Cela fait longtemps que j'avais envie de découvrir Abel Gance. Je pense qu'il y a mieux à voir du réalisateur mais comme j'ai eu l'opportunité de regarder ce film en premier... Ceci dit, j'ai eu un aperçu de sa mise en scène, qui m'encourage à découvrir d'autres films.

      Le Griffith, je t'encourage à le voir, car ce film est vraiment étonnamment moderne pour "son âge". Ou alors un autre de ses films. Comme Intolérance, par exemple.

      Tous les coffrets de la collection ne me tentent pas, mais le coffret III et le IV, je ne dirai pas non. Mais mon prochain achat sera probablement le Coffret Louis Feuillade, les Sérials noirs (Fantomas & Les Vampires). Cela fait tellement longtemps que j'ai envie de les voir :)

      A bientôt, pour de prochains billets !

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  3. D.W. Griffith, fils d'un officier de l'armée confédérée, est un réalisateur auquel je me suis beaucoup intéressé il y a quelques années. Bien sûr, ce "blockbuster" au propos indéfendable qu'est "Birth of a Nation" reste comme la référence la plus politiquement incorrecte de l'histoire du cinéma (Tarantino en fera une séquence parodique dans son "Django" tant il exècre le propos de ce film). Pourtant, il faut aussi considérer son film suivant, "Intolérance", qui fut paradoxalement un échec cuisant pour lui, mais aussi tous ses films courts précédents qui disent beaucoup de la fibre sociale qui animait Griffith.

    J'ai vu le film de Gance mais je n'en garde que peu de souvenirs. Quant au Vigo, honte sur moi, je ne l'ai toujours pas vu :-(

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    1. Je suis très contente du triple DVD + bonus de D.W. Griffith, encore de nombreuses heures de plaisir et de découverte en perspective. Quant à Vigo, je te conseille L'Atalante, vu depuis ce billet. J'en parlerai prochainement. Vigo est mort très jeune, il a aussi une histoire douloureuse derrière lui.

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  4. J'ai vu "l'Atalante" une fois, mais c'était il y a trop longtemps.

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    1. Et bien, je t'encourage à le voir une deuxième fois.

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    2. Comme quoi, on n'enterrera jamais "Naissance d'une Nation", Spike Lee vient de le remettre sur le tapis dans "Blackkklansman". Griffith immortel… mais pas forcément pour de bonnes raisons hélas.

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    3. La "suprématie blanche" est de retour, plus que jamais. Les américains payent le prix fort pour avoir eu Obama comme président, quelle désolation de trouver un Trump à la place, qui caresse dans le sens du poil son électorat. J'ai remarqué que tu avais chroniqué le film de Spike Lee sur ton blog, mais je ne te lis pas avant de le voir à mon tour ;-)

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