Je vous avais dit tout le bien que je pensais d’ Effigie,
deuxième roman d’Alissa York. J’avais d’emblée annoncé, à la fin du
billet, que j’allais sans nul doute lire son premier roman sans penser à ce moment
là que cette lecture serait si proche dans le temps. Mais lorsque je suis
tombée dessus par hasard dans une bouquinerie d’occasion, je n’ai pas hésité
une seconde à l’acheter. Je pensais qu’il attendrait bien quelques mois dans ma
PAL mais c’était sans compter le fait que j’allais lire les premières pages
dans le métro, premières pages qui m’ont tout de suite ferrée au récit.
Embarquée, je l’étais bel et bien. Et c’est donc très naturellement que j’ai
poursuivi ma lecture, avec plus ou moins de bonheur. Mais avant d’aller plus
loin dans le compte-rendu de mes impressions, je vais vous raconter l’histoire
de ce premier roman d’Alissa York, qui s’intitule très justement
« Amours défendues ».
Thomas était arrivé dans la petite ville de Miséricorde de Manitoba dans
l’intention d’ouvrir sa boucherie et son abattoir. Il savait mieux que personne
qu’abattre les animaux était un métier en soi, et ce n’était pas ses clientes,
pour lesquelles il réservait les meilleurs morceaux et prêtait toujours une
oreille attentive à leur bavardage, qui le contrediraient. Elles vous
diraient même qu’elles étaient impressionnées par ses grandes mains étonnamment
agiles pour leur taille. Il aurait d’ailleurs pu faire son choix dans le
village, ce ne sont pas les occasions qui manquèrent mais Thomas n’avait d’yeux
que pour Mathilda, la première personne à qui il avait parlé en arrivant à
Miséricorde, tout gris de la poussière de la route et empestant le porc.
Mathilda est la nièce de la gouvernante du curé, une jeune fille adoptée par
sa tante qui la retira de l’orphelinat dans lequel l’avait placée son père
volage et disparu depuis lors. Mathilda était trop jeune pour se marier à
l’époque, raison pour laquelle Thomas attendit quatre longues années avant de
la demander en mariage, le jour de ses dix-neuf ans. Une proposition que
Mathilda ne put refuser, sur l’insistance de sa tante :
« Par pitié, Mathilda, souris. Tu t’attendais à un jardin de roses ? A avoir le cœur qui palpite rien qu’en le regardant ?
[…] Tu es la nièce bâtarde de la bonne à tout faire de l’église, tu n’as pas un sou à toi et tu n’es pas non plus d’une grande beauté, mais celui-là, celui-là est venu supplier d’avoir ta main. Elle poursuit, les dents serrées. « Tu devrais rire. Tu devrais te tenir les côtes devant tant de chance, alors fais au moins un sourire ! ».
Mais ce n’est pas facile pour Mathilda d’oublier le sang incrusté sous les
ongles de Thomas, de ne pas sentir les effluves de cette odeur forte d’abats,
d’oignons et de poivres mélangés qu’il pétrissait de ses mains puissantes pour
confectionner les boudins noirs, une odeur qui s’incruste et qui persiste sans
qu’il soit possible de s’en débarrasser même si on se récure à fond.
Ce précaire équilibre se trouvera chamboulé le jour où le père de la
paroisse décèdera, très rapidement remplacé par le jeune père August Day, un
jeune homme qui connut l’enfance humiliée en étant le fils d’une
prostituée. August Day qui récite en latin les paraboles avec tellement
de légèreté et d’emphase que Mathilda ne tarde pas à le regarder non comme un
homme de Dieu mais comme un homme de chair et de sang. Entre les mains
puissantes du boucher et le sang des beaufs qui coule à flots et les mains
délicates du père Day qui offre le sang et le corps du Christ en communion en
déposant l’hostie de ses doigts fins sur la bout de sa langue, Mathilda
n’hésite pas à faire son choix en se rapprochant du père Day. Et si le lit
marital reste froid, le confessionnal quant à lui s’enflamme de la passion
dévastatrice de deux corps qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Le
père Day résiste d’autant moins à Mathilda qu’elle sent la… saucisse, et que
les saucisses avaient toujours été le plat préféré du père Day, avant
qu’il décide d’y renoncer définitivement tellement elles lui inspiraient un
désir si puissant qu’il avait jugé préférable de s’en abstenir.
« Le boucher a dû en fabriquer un lot. Il a l’impression qu’elle les porte en guirlande, tant l’odeur est forte. »
Mais le jour où Mathilda tombera enceinte du père Day, celui-ci n’hésitera
pas à la rejeter avec rudesse…
Un demi-siècle plus tard, une nuit de juin 2003, un autre prêtre, Cari Mann,
un veuf dont la fille de trois ans est autiste, arrive à Miséricorde. Il
souhaite construire un édifice dans les marécages à la lisière de la ville.
Mais ce projet va à l'encontre de la volonté de Mary, la fille de Mathilda,
élevée dans la tourbière.
Quel roman plein de rages, de violences, de trahisons, de
désespérances ! Que de ravages, de tourments, de tentations, de
culpabilités ! Que de sang, de larmes et de souffrances ! Nous voilà bien
dans un roman d’Alissa York : je retrouve tous ses thèmes de prédilection,
qu’elle avait déjà développés dans son deuxième roman
« Effigie ». Le difficile rapport à la foi, les amours
interdites, le tumulte des sensations et des passions dévastatrices, le poids
du passé, l’enfance douloureuse, l’importance du corps et des organes, du sang
et des viscères, même l’indien et le loup ne manquent pas à l’appel ! Il
n’en demeure pas moins que ces thèmes seront traités différemment dans ces deux
romans. Je mesure également la maturité qu’elle a développée entre son premier
roman « Amours défendues » et son deuxième roman
« Effigie », plus abouti et mieux mené.
Il n’en reste pas moins que la première partie d’ « Amours
défendues » est de très bonne facture. J’ai nettement moins apprécié le
deuxième volet qui se situe dans le temps cinquante ans plus tard. Je ne
comprends pas très bien ce que cette partie apporte de plus si ce n’est une
note finale moins négative que celle qui aurait eu lieu si elle s’était
contentée du premier volet.
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